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DES FINS DU CAPITALISME – Possibilités I – Hierarchie, rébellion, désir. De David Graeber – Manuels Payot, 2014.

par Nemo3637

Publie le dimanche 3 mai 2015 par Nemo3637 - Open-Publishing
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David Graeber s’est fait connaître par son livre sur « La Dette 5 000 ans d’histoire » paru en France en 2013. Cet ouvrage a été remarqué par nombre de critiques. Mais autant et peut-être plus que ses livres, l’histoire de l’auteur lui-même, homme d’action, est passionnante. Instigateur du mouvement « Occupy Wall Street », ce qu’il écrit peut donc être rattaché à une pratique.

L’ouvrage évoqué ici se compose de quatre essais. Et d’emblée on peut lui trouver les défauts qui marquent les œuvres construits à partir d’écrits antérieurs, et recomposées, à posteriori, par d’autres pour diffuser et faire connaître la pensée d’un auteur. On pense à « Marx et Keynes » publié en 2010, reprenant des textes essentiels de Paul Mattick (1).

Pourtant ni l’œuvre ni la pensée de David Graeber ne se retrouvent ici réduites ou déformées. Tout au contraire ; cet ouvrage décapant correspond bien à l’un des objectifs de l’auteur : nous permettre de prendre en compte les fondements du capitalisme, l’histoire de son évolution, et sa fin annoncée. L’anthropologie est ici l’outil dont l’auteur se sert pour faire des comparaisons et mieux comprendre les évolutions.

Le premier essai traite de la hiérarchie et de sa conception. Il induit la question de sa disparition : et si telle ou telle attitude n’avait qu’une signification relative à une situation donnée ? La déférence obligée fait penser à ce spectacle sur le pets et les flatulences d’un clown inconvenant (2). Le capitalisme en se développant a progressivement imposé un mode de vie inévitable, un nouvel ordre arasant les vieilles cultures. Graeber note judicieusement ici le changement rapide des modes de vie dans la société anglaise entre le XVIe et le XVIIe siècle. On pense à Max Weber mais Graeber va plus loin en multipliant les exemples de ces évolutions ailleurs qu’en Grande-Bretagne.
La disparition de la culture ouvrière avec le fordisme et la montée de la société dite de consommation n’aurait-elle pas aussi méritée une attention ?

L’essai suivant est justement une réflexion sur la consommation où Graeber croit voir un dépassement né des contradictions, de la nécessité de destruction et des évolutions qu’elle engendre.

Le mode de production est l’objet d’une réflexion dans le troisième essai. L’auteur veut le redéfinir en pointant de prétendues insuffisances chez Marx. Ces arguments ne sont pas nouveaux et nous paraissent un peu faibles à l’heure où l’on redécouvre justement une véracité dans la notion de baisse tendancielle du taux de profit. Néanmoins, comme toujours chez Graeber, des questions pertinentes sont posées même si l’on peut être en désaccord avec certains prémisses.

Le quatrième et dernier essai évoque le fétichisme dont parlait Marx. Celui de la société capitaliste est bien la marchandise, mettant à bas toutes les idéologies. Que se passerait-il si elle disparaissait ou si elle était simplement amoindrie ? Une telle évolution à la lumière de la crise ne semble pas impossible.
Le lecteur français qui aime une certaine rigueur dans la composition d’un ouvrage, se trouvera peut-être déconcerté par un apparent éparpillement où l’on a parfois l’impression de sauter du coq à l’âne. Mais n’oublions pas justement que l’on a affaire à quelqu’un qui se fout de toutes les conventions.
L’ouvrage est donc une suite d’exemples historiques, de faits sociétaux judicieusement cités. Graeber envoie ainsi quelques uppercuts bien sentis. Ainsi « il n’y a jamais eu d’Occident » (p.47). Et dans la société capitaliste le salariat est l’héritier direct de l’esclavage (p.208).

Ne cachons pas certaines faiblesses dans les œuvres de Graeber. Sa définition du capitalisme est contestable si l’on se réfère trop simplement à une origine née de la nuit des temps. Ce qui n’est pas faux si l’on considère que l’histoire de l’humanité nait de la préoccupation du lendemain et d’un combat contre la nature. Mais ce que l’on appelle la société capitaliste est un aboutissement apparu au XIXe siècle. Auparavant elle n’existe pas. D’autre part « la dette », condamné comme un mal par l’auteur , n’est-elle pas simplement, acceptée par tous, un rouage indispensable de la société capitaliste. Quand celle-ci n’est pas en crise, l’endettement n’est pas toujours vécu comme une souffrance mais au contraire comme un pari indispensable et réaliste sur l’avenir (3).

David Graeber a connu Bourdieu. Celui-ci a disparu trop tôt pour qu’une quelconque collaboration ait pu voir le jour. Comme Bourdieu, sociologue, il a été amené par l’anthropologie à se radicaliser, à concevoir de plus en plus clairement le capitalisme et ses fondements. Il a vécu dans la dèche à Paris. Il a manifesté et lancé des slogans bien sentis sur le trottoir à New-York. Encore un effort, osera t-on dire, pour se dégager, se différencier des Thomas Piketty, Paul Jorion et autres néo-post keynésiens tiedasses (4).

(1) « Marx et Keynes , les limites de l’économie mixte » – Paul Mattick, éditions Gallimard, 2010.

(2) Un spectacle de clowns comme « la petférence » de Stuk et Gépéta, joué dans le Sud-Ouest, illustre ici à mon avis, le propos de Graeber sur le Plaisanterie et la Déférence, thèmes évoqués dans le premier essai.

(3) « Quand David Graeber étale la dette… Même David Graeber entend ne tenir que des promesses déjà faites » Article publié dans le magazine autrichien Streifzuege. L’auteur, Franz Schandl, rappelle à David Graeber, avec d’ autres notions de base, que l’économie de marché n’est pas le capitalisme

(4) Dans "Tchok", essai écrit début 2014, j’essaie de montrer que les keynésiens n’ont en réalité aucune solution à la crise actuelle...

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