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ODAS, une société du Ministère de la Défense dans la tourmente

par Julien Fournier

Publie le jeudi 3 septembre 2015 par Julien Fournier - Open-Publishing

ODAS est une société peu connue dont la fonction est de favoriser les exportations d’armements à destination de l’Arabie Saoudite. En particulier, tous les contrats d’Etat à Etat doivent passer par elle. Notre confrère Intelligence Online dans son édition du 26 aout détaille par le menu comment l’office d’armement s’est décrédibilisé en s’étant mis à dos d’une part les autorités saoudiennes et d’autre part les industriels de la défense. ODAS ne semble donc plus jouer pleinement son rôle de d’intermédiaire dans cette région alors que les enjeux pour l’industrie française sont très importants et que nombreux emplois en dépendent. Décryptage.

ODAS, un lourd héritage de la SOFRESA

Créée en 2008, ODAS n’est pas véritablement une nouveauté, car elle n’est que la transformation de la Société Française d’Exportation de Systèmes d’Armes (SOFRESA) fondée en 1974. Initialement destinée à assurer la commercialisation des matériels militaires, la Sofresa surfe dans un premier temps sur l’héritage des excellentes relations entre le général de Gaulle et le roi Fayçal d’Arabie Saoudite. Mais aux débuts des années 1990, les partis politiques des deux bords semblent réaliser que la Sofresa permet aussi le transit discret de sommes considérables. Cette manne financière, sous la forme de montages off-shore et de rétro-commissions, aurait permis le financement des partis mais aussi quelques cas d’enrichissements personnels (1, 2).

Bien connu pour avoir servi aux paiements discrets des intermédiaires lors des ventes d’armes des années 1980 aux années 2000, le nom de la SOFRESA est ainsi associé de près ou de loin à la plupart des grands scandales français de corruption : contrats SAWARI 2 de vente de frégates à l’Arabie Saoudite et vente de sous-marins Agosta au Pakistan notamment, auxquels s’ajoutent les tentatives ratées de ventes de Rafales au Maroc et à la Lybie. Certains noms connus, comme Ziad Takieddine, reviennent ainsi régulièrement dans les documents bancaires (3) aux côtés de celui de la Sofresa. Il semblerait, selon le site Frenchleaks, que l’homme d’affaires ait été un intermédiaire dument rémunéré par l’entité qui deviendra par la suite ODAS. L’instruction de l’ensemble de ces affaires n’est pas terminée, mais face aux mises en cause de plus en plus insistantes, l’équipe Sarkozy décide au tournant des années 2007-2008 de dissoudre la sulfureuse Sofresa et de créer sur ses cendres l’ODAS, « organisme employant une centaine d’agents et codétenu par l’Etat (34 %), et les grands industriels du secteur (EADS, MBDA, Dassault, Thales, DCNS, Nexter...) ». (4)

Pour résumer, ODAS est un intermédiaire obligé des ventes d’armes et de matériels militaires lorsqu’un pays étranger achète en France pour réaliser des contrats d’Etat à Etat. Mais en fait de pays étrangers, il s’agit surtout, encore et toujours, de l’Arabie Saoudite, dont les initiale AS font parties intégrantes du nom de cette officine parisienne (les deux première lettre se référant au premier PDG, l’amiral Oudot de Dainville (5)). Nombre de hauts fonctionnaires et responsables militaires lorgnent sur ce poste pour pantoufler, avec d’après nos informations, un salaire particulièrement attrayant approchant les six zéros. La place n’est cependant pas de tout repos et politiquement sensible. En 2014, pour ménager les saoudiens, François Hollande nomme l’ancien Chef d’Etat-Major des Armées, l’amiral Guillaud, à ce poste.

Du Liban à l’Irak

Mettant rapidement le pied à l’étrier, le nouveau chef d’ODAS prend en main la liste de courses libanaises du contrat DONAS, alors en cours de discussions. D’une valeur de près de 3 milliards d’euros, ce contrat entièrement financé par l’Arabie Saoudite (DONAS signifiant « Don-Arabie-Saoudite ») vise à rééquiper l’armée libanaise de pieds en cap. Ce contrat constitue une opportunité considérable pour nombre d’entreprises françaises puisque la France décide partiellement de ce qu’elle va vendre. Mais retirant certains produits, en ajoutant d’autres, sur la base de critères que seule ODAS connait, l’entreprise d’intermédiation s’attire rapidement les foudres des sociétés françaises devant l’absence de cohérences industrielles du projet. Compte tenu des enjeux financiers, on comprendra aisément que les industriels trouvent discutable un tel pouvoir entre les mains d’une seule personne.

La partie libanaise semble de même très réservée sur les choix qui lui sont imposés : « L’amiral Edouard Guillaud, qui a suivi la naissance et la progression du programme, en assure le suivi technique et opérationnel via ODAS, sous l’autorité de l’Elysée et de la Défense, avec un enthousiasme incertain », explique ainsi Middle East Strategic Perspectives (6), cabinet de conseil libanais. Financé par l’Arabie Saoudite sunnite, destiné à armer les forces armées libanaises (au détriment du Hezbollah, chiite), avec des matériels choisis par la France selon des modalités inconnues, le contrat suscite bien des réserves (7) dans un pays encore en proie à de vives tensions internes d’origine confessionnelle.

Mais ODAS ne compte pas se limiter au Liban. Cette première incursion hors d’Arabie Saoudite a donné des idées et une seconde affaire va lui donner l’opportunité d’élargir son cercle d’influence. Début 2015, l’ODAS est contacté par la société Gallice. La société de sécurité de Gilles Sacaze et Frédéric Gallois était sur le point de signer un contrat de formation des unités de forces spéciales irakiennes. Mais la partie irakienne demandant le tampon et des garanties de l’Etat français, Gallice se tourne alors vers ODAS pour faire un contrat G to G (8). Bien mal lui en a pris puisqu’ODAS décide rapidement de faire cavalier seul (9). L’affaire se passe loin de sa juridiction saoudienne, mais qu’importe, les ambitions des cadres de l’ODAS sont grandes et certains se voient déjà en passage obligé vers l’ensemble du Moyen-Orient. Le ministère de la défense français doit intervenir pour réfréner les ardeurs d’ODAS, et lui rappeler sa zone première de travail (10).

Si l’Irak est politiquement trop sensible, c’est parce qu’ODAS travaille exclusivement, en théorie, avec la sunnite Arabie Saoudite. Le client Saoudien pourrait mal prendre le soutien ainsi apporté à une puissance chiite de la région. ODAS est priée de rester confinée dans la Péninsule Arabique jusqu’à nouvel ordre. Sur place, la situation politique évolue d’ailleurs très vite.

Des saoudiens passablement agacés par ODAS

Suite au décès du Roi Abdallah bin Abdelaziz d’Arabie Saoudite début janvier 2015, le prince Salman lui succède, nommant dans le même temps l’un de ses fils Mohamed bin Salman ministre de la défense. La réorganisation politique à la tête du pays donne lieu à une nouvelle répartition des pouvoirs. Mais aucun changement de politique n’est attendu à brève échéance. L’actuel PDG d’ODAS entend bien dès lors conserver la main sur les exportations françaises d’armements vers l’Arabie Saoudite. A défaut de régenter le commerce sur le Moyen-Orient, il espère bien verrouiller sa place en se déclarant intermédiaire exclusif en Arabie Saoudite. Il y a quelques mois, le 13 juin 2014, selon nos sources, l’amiral Guillaud s’est même fendu d’un courrier officiel de sa société au nouveau ministre saoudien de la défense indiquer qu’ODAS demeurait le seul intermédiaire des discussions entre la France et l’Arabie Saoudite. Pourtant, si ODAS est en effet incontournable pour les contrats d’Etat à Etat, ce n’est pas le cas dans des négociations plus classiques. Certains industriels français sont très remontés à l’encontre de l’Amiral Guillaud. Pire, certains soulignent le fait que dès lors ou il y a plusieurs offres françaises pour équiper l’armée Saoudienne, l’intervention d’ODAS aboutit à une distorsion de concurrence dans la mesure où c’est l’office français qui fait le choix en amont de la société française pouvant concourir. Curieux procédé en effet pouvant rappeler certaines mauvaises habitudes de la SOFRESA.

Devant la récurrence des embrouillaminis et des difficultés avec les français, la partie Saoudienne est en train de perdre patience. La nouvelle équipe n’est pas satisfaite de la façon dont a été financièrement monté le contrat DONAS, et entend le renégocier. Elle a également averti Paris que le contrat ne serait pas annulé à la condition qu’ODAS soit exclue des nouvelles discussions (11). Il est vrai qu’un autre dossier, celui des patrouilleurs rapides (12), empoisonne depuis plusieurs années les relations entre la France et Riyad. Les Saoudiens mettent ouvertement en cause la capacité d’ODAS à arbitrer entre les soumissionnaires à l’appel d’offres, et demandent là encore à la France de faire le ménage de son côté. Quand une société dont l’objet est de faciliter les négociations entre entreprises industrielles et Etat Saoudien perd la confiance de celui ci, il convient de s’interroger sur la pertinence de la laisser continuer à représenter les intérêts économiques de la France.

ODAS est il encore un acteur légitime pour les contrats avec l’Arabie Saoudite ?
L’idée d’un interlocuteur unique pour un pays client est séduisante sur le papier, mais uniquement pour des contrats d’Etat à Etat. Dans des négociations plus classiques, quelle est la légitimité d’ODAS et quelle est sa valeur ajoutée ? Nos industriels peuvent piloter directement leurs propres relations commerciales. Pourquoi la France a-t-elle fait le choix volontaire d’ajouter un intermédiaire rémunéré dans des négociations commerciales, au risque de renchérir ses propositions dans les appels d’offre, et ostensiblement ponctionner les marges déjà malingres des industriels français ? Derrière tout cela et la volonté farouche de protéger ce dinosaure, se profilent des questions sensibles sur l’utilisation des fonds générés par ODAS et des nombreux agents payés sur le terrain.

Par ailleurs, compte tenu de l’hostilité de Mohamed Bin Salman ministre saoudien de la défense, ODAS représente désormais un danger pour la poursuite des bonnes relations entre la France et les monarchies du Golfe, qui pour critiquables qu’elles soient, n’en restent pas moins des alliés dans la région la plus instable de la planète. Ayant réussi en un temps record à froisser l’allié et client saoudien, ODAS peine à convaincre de son efficacité ou même de son utilité, preuve que confier la direction d’affaires diplomatico-économiques à des militaires n’est pas toujours un choix judicieux. Sa survie est maintenant selon notre confrère Intelligence Online une question de semaines.

(1) Armes de corruption massive, Secrets et combines des marchands de canons, Jean Guisnel, édition La Découverte

(2) http://www.sudouest.fr/2011/10/12/la-corruption-est-tres-bien-armee-523880-4961.php

(3) https://www.frenchleaks.fr/La-Sofresa-et-Takieddine-s.html

(4) http://www.challenges.fr/monde/20120913.CHA0732/la-verite-sur-les-deboires-de-la-france-en-arabie.html

(5) http://blogs.mediapart.fr/blog/hedy-belhassine/180114/francarabie-lhomme-qui-vaut-des-milliards

(6) http://www.mesp.me/2015/05/24/liban-france-arabie-saoudite-donas-et-sa-dangereuse-politisation/

(7) http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?fromval=3&cid=18&frid=18&seccatid=23&eid=160664

(8) ODAS : les forces spéciales de la discorde, Intelligence On Line, 25 mars 2015

(9) Forces spéciales irakiennes : ODAS avance en solo, Intelligence On Line, 29 avril 2015

(10) Qui formera les forces antiterroristes irakiennes ?, Intelligence On Line, 25 juin 2015

(11) Arabie Saoudite, Irak : ODAS attaqués de toutes parts, Intelligence On Line, 26 aout 2015

(12) Les patrouilleurs français dans le brouillard, Intelligence On Line, 22 juillet 2015

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