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Les petites combines des grands patrons

par Sylvie Garcia

Publie le lundi 8 février 2016 par Sylvie Garcia - Open-Publishing
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« La vie d’un entrepreneur est souvent bien plus dure que celle d’un salarié », s’est récemment ému Emmanuel Macron (1). Vraiment ? Une chose est sûre, pour quelques dirigeants de grandes entreprises françaises, cette pression est parfois compensée par de gras avantages octroyés par leurs actionnaires, ou par des droits qu’ils n’hésitent pas à s’arroger directement. Patrons tout-puissants ? En tout cas, certains d’entre eux ne manquent pas d’imagination pour gonfler des rémunérations pourtant indécentes.

Ponts d’or et autres parachutes

Les années se suivent…et se ressemblent. Malgré la crise financière et l’apparente volonté de réinjecter un peu de morale dans un capitalisme à la dérive, le système semble toujours bien rodé. Et profiter aux puissants dirigeants, chéris à coup de millions d’euros au moment de leur départ. Les retraites chapeaux (2) sont régulièrement dénoncées au vu des montants exorbitants : 2 millions d’euros par an provisionnés pour Franck Riboud par le groupe Danone, 21 millions mis de côté pour Philippe Varin chez PSA. Des rentes en somme, versées en complément de la retraite légale et qui permettent aux bénéficiaires de « préserver un niveau de vie » équivalent à celui qu’ils menaient auparavant.

Autres scandales, ceux des parachutes dorés ou autres indemnités de départ perçus par les dirigeants français comme Michel Combes, ex dirigeant d’Alcatel-Lucent (3). L’affaire a fait grand bruit : l’entreprise est bien connue pour les ponts d’or qu’elle érige à la gloire de ses dirigeants. Déjà en 2013, Ben Verwaayen avait quitté l’entreprise avec près de 5 millions d’euros en poche. Avant lui, Serge Tchuruk s’était consolé de son départ avec 5.7 millions d’euros, alors même que le groupe avait annoncé une perte trimestrielle de 1.1 milliard d’euros et un chiffre d’affaires en baisse de plus de 5%. De son côté, Franck Esser, ancien patron de SFR a été grassement remercié avec un chèque de près de 4 millions d’euros. Un cadeau pour avoir maladroitement sous-estimé l’arrivée de Free et contraint 850 salariés à quitter l’entreprise ?

Car ces « indemnités de départ » sont octroyées généreusement même en cas de gestion calamiteuse avérée. Le cas Jean-Marie Messier (4), qui a caché les dettes du groupe Vivendi qu’il dirigeait et démissionné en empochant 20 millions d’euros, résonne encore plus de dix ans après. Il semblerait donc que les grands patrons s’affranchissent aussi bien des règles du jeu que de celles de la décence. Et ces pratiques ne semblent choquer personne dans le milieu, pire, elles seraient un dû que s’octroient ces patrons élus parmi les élus. Chacun à leur tour.

Haro sur les conseils d’administration

Le copinage, voire la consanguinité au sein du capitalisme français, sont régulièrement dénoncés. Il faut bien voir que les grands patrons du CAC 40 siègent aux Conseils d’administration des sociétés dirigées par leurs pairs. 39 des 40 entreprises du CAC 40 ont au moins un administrateur en commun les unes avec les autres et certains administrateurs siègent même dans six conseils à la fois, comme le précise un article de Jean-Marc Delaunay, publié sur Alternatives Economiques et intitulé « Les cumulards du Cac40 » (5). Et dans ces hautes sphères, le temps c’est de l’argent et même beaucoup d’argent, à l’instar de l’épineux dossier des jetons de présence qui refait régulièrement surface.

Des jetons avec lesquels les grands patrons empochent à tous les coups, un pactole estimé en moyenne à 2750 euros (6) de l’heure…pour ne rien faire, ou presque. De l’aveu même de Gilles Pélission qui cumulait deux mandats chez Bic et Tf1 en plus de son poste de directeur d’Accor, « les réunions du Conseil d’administration de TF1 demandent peu de préparation et durent deux heures en moyenne ». Record battu donc !

Lors d’une audition auprès de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, Michel Pébereau, le président du conseil d’administration de BNP, expliquait même que ce cumul était nécessaire au bon fonctionnement des grandes entreprises françaises. Il met en avant les compétences très techniques des grands patrons qui ont alors intérêt à se conseiller les uns les autres. Confortablement installés à l’arrière de leurs berlines, les patrons ne se cachent même plus et veillent jalousement à perpétuer leurs privilèges.

Le fait du Prince

Les combines atteignent des sommets lorsque les patrons sont les propriétaires ou les héritiers de l’empire qu’ils pensent pouvoir « gérer » en toute impunité. Le cas Arnaud Lagardère est édifiant à ce sujet. « Il est évident qu’il n’est pas au niveau. C’est un Mickey » déclarait un responsable patronal interrogé par l’hebdo Marianne (7) en avril 2010. Les attaques se sont accélérées avec la mise en scène pour le moins ridicule de son idylle avec une jeune mannequin qu’il a depuis épousé. Mais qu’importe pour le patron qui se comporte comme un enfant gâté et se croit tout permis. Les couacs sont nombreux, comme le jour où il était absent à l’assemblée générale d’EADS qui devait le nommer à la tête du conseil d’administration parce qu’il avait "des choses importantes à faire ».

"J’ai le choix entre passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent. […] J’assume cette deuxième version », déclare Arnaud Lagardère (8) pour sa défense. Pourtant l’un ne semble pas exclure l’autre si on en croit la retentissante affaire EADS. Le patron a cédé une grande partie de ses parts dans le groupe peu avant que l’action ne chute en Bourse après l’annonce de retards dans le lancement de l’A380 d’Airbus. Bien que l’Autorité des marchés financiers (AMF) ait enquêté sur l’affaire, Arnaud Lagardère n’a jamais été sanctionné et a échappé à une amende de quelques 7 milliards d’euros. Mais Arnaud Lagardère n’est pas du genre à regarder à la dépense surtout si c’est l’argent du groupe qui sert à nourrir ses projets jugés illisibles (notamment la branche divertissement Lagardère Unlimited). Ce que le prince veut…

Dans un autre registre, la Lettre A a récemment montré du doigt des pratiques pour le moins surprenantes de Laurent Lévy (9), président fondateur de la société Optical Center dans un article intitulé « MDD : le don de double vue de Laurent Lévy chez Optical Center ». Le groupe affiche en effet une santé assez exceptionnelle au vu de la crise que traverse le secteur de l’optique : 450 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015 (contre 332 millions d’euros en 2011). De quoi jeter le trouble sur le marché ? Ses concurrents seront heureux d’apprendre que Laurent Lévy a trouvé des combines assez opaques pour gonfler sa rémunération. Le système est simple : Le patron d’Optical Center crée des marques de distributeur (MDD) et les dépose en son nom propre. Ensuite, il les revend à prix d’or à la société. Ainsi, Lukkas et Lyris ont ainsi été achetées par son groupe pour les sommes respectives de 17 et 6 millions d’euros. En 2008, la marque l’Infini avait été vendue…32 millions €. « Incroyable mais vrai » aurait dit Jacques Martin, avec de simples noms déposés, Laurent Lévy se serait fait 55 millions d’euros à titre personnel ! Ce d’autant plus que les spécialistes s’accordent pour dire que ces fameuses MDD n’ont pas de valeur puisqu’elles ne peuvent être utilisées que par le distributeur. Le patron se voit également verser, par Optical Center, quelques 2 millions d’euros au titre des droits d’auteur pour « Les sept clés pour réussir », utilisées lors des formations au sein de… l’Optical Center Academy. Il faut reconnaître que ce Laurent Lévy a tout compris pour réussir. La clé : il faut savoir jouer avec les biens sociaux avec des montages fiscaux et juridiques. Preuve que là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.

Au terme de cet article, une question me taraude : Que fait la puissance publique et l’Etat face à des pratiques que l’on peut qualifier de prédatrice de la part de ces patrons ? Un smicard de Peugeot se verra imposer des sacrifices sur le thème « les temps sont durs » alors que Philippe Varin le PDG devait toucher 21 million, un petit cafetier oubliant de payer sa TVA se fera immédiatement sanctionner alors le patron d’Optical Center va se prendre 55 millions d’euros avec des montages juridiques en toute impunité, etc. Ce système est il juste ? Il est en tout cas devenu fou et pourri. Il est temps d’y mettre de l’ordre et de laisser les salariés contrôler les organisations collectives que sont les entreprises. Rappelons que celles ci sont des « biens sociaux » c’est à dire qu’elles constituent des collectivités dans lesquelles chacun y a un intérêt.

(1) http://www.leparisien.fr/politique/macron-la-vie-d-un-entrepreneur-est-souvent-plus-dure-que-celle-d-un-salarie-20-01-2016-5468381.php
(2) http://www.humanite.fr/les-retraites-dorees-des-patrons-du-cac-40
(3) http://www.latribune.fr/economie/les-10-plus-gros-parachutes-dores-percus-par-des-dirigeants-francais-501559.html
(4) http://www.lefigaro.fr/societes/2013/10/28/20005-20131028ARTFIG00343-l-ex-pdg-de-vivendi-jean-marie-messier-de-retour-au-tribunal.php
(5) http://www.alternatives-economiques.fr/les-cumulards-du-cac-40_fr_art_633_49410.html
(6) http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/grand-patron-2750-euros-de-l-heure-a-ne-rien-faire_1345955.html
(7) http://www.marianne2.fr/Comment-et-pourquoi-Arnaud-Lagardere-est-devenu-une-cible-1_a190016.html
(8) http://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/arnaud-lagardere-gros-doutes-sur-un-grand-patron_101183.html
(9) http://www.lalettrea.fr/strategies-d-entreprise/2016/01/28/mdd%C2%A0-le-don-de-double-vue-de-laurent-levy-chez-optical-center,108127674-ARL

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