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En Thaïlande, la junte « ajuste le comportement » des opposants

Publie le mercredi 10 février 2016 par Open-Publishing

Mai 2014. Comme de nombreuses fois auparavant, l’armée thaïlandaise tape du poing sur la table, reprenant le pouvoir après un énième coup d’Etat. Ce pays, le seul du Sud-Est asiatique à n’avoir jamais été colonisé par une puissance étrangère, connaît alors son douzième renversement manu militari depuis 1932. La routine, en somme, à ceci près que cette fois-ci la junte semble s’enraciner au pouvoir, la perspective d’élections libres s’éloignant chaque jour un peu plus. Une situation critique, creuset d’exactions toujours plus nombreuses. Le pays du sourire est en train de le perdre.

Le paysage politique thaïlandais est divisé entre les « chemises jaunes » et les « chemises rouges ». Les chemises jaunes, militants conservateurs et fervents soutiens de la monarchie, sont souvent membres des classes aisées de Bangkok et du sud de la Thaïlande. Les chemises rouges elles, représentent les masses rurales et urbaines populaires. Cette polarisation de la vie politique locale offre une grille de lecture certes schématique, mais néanmoins pratique de la situation en Thaïlande : en reprenant le pouvoir par la force, les chemises jaunes s’attachent à anéantir toute forme de démocratie dans le pays, le peuple étant invité à ne plus manifester son avis.

Cette censure de la vox populi se manifeste de diverses manières. Ainsi, en Thaïlande, si l’on se réfère au dernier projet de Constitution en date, rédigé en ce moment, les sénateurs ne seront à l’avenir plus élus mais désignés par la junte, tandis que leurs prérogatives seront étendues. En plus de rédiger et de voter les lois, les 200 membres du Sénat contrôleront et piloteront l’exercice de l’exécutif et auront leur mot à dire sur la nomination des membres d’un certain nombre d’institutions jusqu’à présent indépendantes (les juges de la Cour constitutionnelle, le Comité électoral, la Commission nationale contre la corruption, etc.). Autant de pouvoirs qui vont à l’encontre des principes d’une démocratie, et contribuent à institutionnaliser une certaine forme d’autoritarisme.

Mais ce qui inquiète le plus, c’est l’apparition d’une répression beaucoup plus agressive, mise en place au cours de l’année passée. Les manifestations ont été interdites. Le Premier ministre a ouvertement menacé les journalistes qui ne “rapporteraient pas la vérité” ou “n’aideraient pas à la réconciliation nationale”. La version thaïlandaise du New-York Times s’est vue à plusieurs reprises censurée : parfois c’est un article qui disparaît, parfois le journal entier.

Pire encore, l’armée a mis en place un système ”d’ajustement du comportement” pour toute personne critiquant le régime. Journalistes, activistes, étudiants et académiciens sont régulièrement invités à ces séances. Certaines de ces “invitations” se font sous la forme d’un enlèvement classique, où les opposants sont jetés brutalement dans un van les yeux bandés. Lors de leur détention arbitraire, ces éléments perturbateurs sont retenus soit dans un camps militaire, soit dans une petite cellule, en fonction de leur « courbe d’apprentissage ». Les plus attentifs lors de la procédure d’ajustement pourront sortir après quelques heures, à la condition d’avoir signé un document attestant de leur abandon de toute activité contrevenant aux intérêts de la junte. Pour les autres, la durée peut dépasser largement les 7 jours, pourtant annoncés comme durée limite.

Kritsuda Khunasen, militante du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD), prétend avoir été torturée au cours d’une séance de 29 jours. Dans une interview à Amnesty International, elle raconte que les militaires l’ont rouée de coups avant de lui placer un sac plastique sur la tête pour la faire suffoquer. L’objectif étant de la forcer à établir un lien entre l’ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra et des groupes extrémistes de l’opposition.

Enfin, pour les absents, ceux qui parviennent à échapper à ces stages, la junte leur promet une lourde amende, bien souvent accompagnée de deux ans derrière les barreaux.

Malgré cette violente répression, c’est à l’université que l’on trouve le dernier bastion de la contestation. Les écoles fréquentées par des élèves qui ont eu l’occasion de passer un semestre à l’étranger regorgent d’étudiants à la conscience politique aiguisée. Ces derniers, qui ont connu la démocratie le temps d’un échange, refusent de laisser la dictature s’installer. Aujourd’hui encore, ils continuent de débattre au sein des établissements, et d’organiser des manifestations pour mettre en exergue les abus du régime. La junte militaire, en représailles, met en scène l’arrestation de ces étudiants dans des quartiers habités par les chemises jaunes, supporters du régime. Ces derniers n’hésitent pas à bombarder d’insultes et de projectiles les jeunes militants pro-démocratie arrêtés pour l’exemple.

La situation thaïlandaise, de plus en plus critique, est aussi de plus en plus connue. Après l’incrédulité, la communauté internationale a bien été forcée, face aux centaines de témoignages dans ce sens, de reconnaître les abus dont la junte militaire se rend coupable. Pourtant, sa condamnation de la dictature thaïlandaise reste timorée. Combien faudra-t-il d’arrestations arbitraires et de dénis de démocratie supplémentaires pour que le concert des Nations finisse par réagir ? Bien malin qui saura le deviner. D’ici là, pas de problème, vous pouvez continuer de voyager en Thaïlande, les touristes y sont toujours aussi bien accueillis, les plages toujours aussi somptueuses, et quand vous croiserez une patrouille de militaires dans la rue, il vous suffira de détourner le regard.