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Krach dur ou krach mou ; il faudra bien que ça sorte.

par Nemo3637

Publie le mercredi 10 février 2016 par Nemo3637 - Open-Publishing
4 commentaires

Les récentes fluctuations boursières ont ravivé les inquiétudes des observateurs (1) sur la santé de l’économie mondiale. Ainsi la Bourse de Paris a perdu près de 1000 points ces derniers mois sans parvenir à reconquérir le terrain perdu. Pourtant, TINA (2) oblige, l’optimisme reste de mise de mise sur les médias. Jusqu’à présent on serinait l’antienne : là reprise était là. Il fallait avoir confiance en nos bergers. Même si le commun des mortels, sans doute trop stupide ( !) ne voyait que ses conditions de vie se détériorer. Tous les facteurs n’étaient-ils pas réunis pour que « la croissance soit de retour ». Dans son ensemble l’opinion montrait lassitude et incrédulité qui tournaient à l’exaspération, au grand dam de ces mêmes observateurs stigmatisant ces Français, paresseux et incorrigibles pessimistes.

Le mythe de la reprise

Depuis la crise de 2008 aucune perspective sérieuse de reprise économique n’est apparue. Son aspect financier n’était que l’iceberg d’une maladie beaucoup plus grave pourtant décelable plusieurs années auparavant (3). Mais il devenait clair qu’aucune solution à court ou à long terme n’apparaissait, ne pouvait naître d’un système refusant sa mise à mort. Restait la com’, c’est-à-dire le mensonge organisé et unanime.

Ne s’en sortait-on pas mieux ailleurs ? L’Allemagne était régulièrement citée en exemple. En Espagne même, nous disait-on, durement touchée par une crise provoquée et accentuée par la spéculation immobilière, la reprise était là. On allait même jusqu’à nous montrer un PIB en augmentation et une baisse du chômage. A travers des chiffres qui ne signifiaient rien ou pas grand-chose, on progressait, il est vrai, en véritable artiste, dans la manipulation, nous assénant les fadaises les plus énormes avec le plus grand aplomb …devant un public de plus en plus clairsemé.

Ainsi la reprise était là également aux Etats-Unis. Argument de plus : le chômage baissait.

Et la Chine et les Chinois, cette gigantesque armée de réserve, allaient nous sauver, en achetant des bagnoles, en buvant du pinard…

Tout allait si bien dans ce décor de carton pâte !
Sauf que les investisseurs et les spéculateurs, eux, doivent connaître la vérité pour orienter et continuer leur business. On s’aperçut rapidement que les chiffres du chômage aux Etats-Unis (4) étaient grossièrement falsifiés. En Espagne seules certaines exportations étaient reparties, le marché intérieur restant atone, avec un revenu salarial moyen oscillant entre 500 et 1000 euros mensuels. Certes, comme aux Etats-Unis, et comme dans toute période de crise, certains avaient pu néanmoins s’enrichir comme le montrait les légères fluctuations des PIB. Mais quoiqu’on en dise, l’Allemagne aussi, malgré une masse de salariés gagnant moins de 600 euros par mois, peinait. Quant à la Chine, étouffant sous la pollution de ses usines, elle décevait par la faiblesse de sa croissance tombée aujourd’hui en dessous des 7% fatidiques (5).
Pour provoquer cette fameuse reprise les décideurs avaient pourtant mis le paquet, entendez le paquet de billets. Aux Etats-Unis d’abord, bénéficiant de la prééminence du dollar, puis dans l’Union européenne ensuite, on avait fait marcher la planche à billets, espérant investissement et consommation. Mais sans surprise l’argent filait tout droit dans la spéculation financière, seule activité aujourd’hui lucrative. Les Bourses grimpaient donc tranquillement tandis que s’accentuait le déficit des états.
Un apparent bon sens ne nous suggérait-il pas qu’il faudrait plutôt investir dans « l’économie productive » ?

Crise du capitalisme et crise de la pensée.

Avec la chute du Mur de Berlin et la faillite du capitalisme d’état grossièrement présenté « communisme » ou « socialisme », comme le proclamait eux-mêmes ses anciens propriétaires, l’idéologie libérale triomphait. On s’apercevait néanmoins que ce système « modèle » avait ses failles. Les crises, comme celle de « l’économie du net », née en 2001, se succédaient avec toujours plus d’intensité. Celle de 2008, dite des « subprimes », fut encore plus retentissante. A chaque fois, à postériori, chacun y allait de son analyse à courte vue, de son idée de replâtrage « indispensable ». Rien n’y faisait.

Pourquoi les mesures si nécessaires n’étaient-elles jamais mises en application ? Pourquoi les idées pleines de bon sens d’un Piketty, d’un Paul Jorion n’étaient elles jamais prises en considération ? Manquait-il aux décideurs financiers, gage de survie pour tous, ce minimum d’intelligence, cette philae aristotélicienne ?
Constatons tout d’abord que le déclin du capitalisme s’accompagne naturellement d’un affaiblissement de la pensée et des institutions. Et on peut rappeler le désarroi et l’inanité des réponses de la part de tous les « spécialistes » face à la crise financière de 2008. Ils n’avaient rien vu venir (6). Il n’existe plus d’hommes d’état susceptibles de contrer la Finance. C’est impossible car c’est elle qui commande, de façons aveugle et répétitive, sans pouvoir intégrer les critiques. Certes des penseurs et de vrais analystes subsistent. Mais ils sont marginalisés, au mieux cantonnés au rôle de faire valoir d’une société libérale où chacun peut « bien sûr » donner son opinion. Comparaison n’est pas raison, et les causes ne sont pas les mêmes, mais on ne peut s’empêcher de penser à la fin de l’Empire Romain.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait Rabelais. C’est ce que pourrait méditer nombre de trader prolo au chomdu, exhibé comme bouc émissaire (7).

Où sont les Tocqueville d’aujourd’hui ? Il ne reste que les tristes nains traditionnellement exhibés dans les médias pour faire leur numéro…
Comme c’était voulu, toute pensée critique a disparu. Et la relégation de la Raison au profit de la Foi produit des êtres incapables de penser, d’avoir un sens critique, facilement manipulables. Le merveilleux ou plutôt l’horreur ayant envahi notre quotidien dans un monde vide de sens, on se plait à imagine des complots fantastiques qui évitent d’affronter la réalité de notre condition, d’imaginer justement ce qui pourrait rationnellement nous en sortir

Vers l’ultra libéralisme et le règne de la Finance

Pourquoi cette Finance est-elle désormais si prégnante ?
Les crises du système capitaliste sont récurrentes et aucune, jusqu’à présent, ne s’est révélée mortelle. Bien au contraire, chaque fois de nouveaux champs d’exploitation se sont révélés et la machine est repartie de plus belle. La crise de 1929, s’éternisant jusqu’à la seconde guerre mondiale, avait jeté les prémisses d’un nouveau démarrage possible. C’était les travailleurs eux-mêmes auparavant cantonnés au rôle de producteur, qui devenait un marché en tant que consommateurs. On commençait à produire en masse des automobiles, des appareils électro ménagers, des services. Ce dernier secteur, où aucun bien matériel n’est produit, deviendra prépondérant. Mais dans l’euphorie de la reprise de l’après-guerre les perspectives sont celles d’une croissance sans fin où le crédit, l’endettement, ne sont qu’un simple outil nécessaire accepté par tous. La solvabilité parait incontestable. Sont ici appliqués quelques préceptes du pragmatique John Maynard Keynes.

Le premier accroc retentissant survient au début des années 1970 avec Le premier choc pétrolier. Des pays producteurs s’unissent pour augmenter le prix du pétrole. Le prix du baril passe de 2 à 35 dollars. Une crise s’ensuit naturellement, totalement imprévue par les penseurs keynésiens. Car alors l’inflation qui apparait se développe en même temps que s’accroit le chômage. Situation que n’avait pas prévue Keynes. En effet, d’après lui, si le chômage est du à un manque de demande, alors les prix ont tendance à baisser. Et donc, pour Keynes, le chômage est directement lié à une déflation. Et s’il y a inflation et donc excès de demande, l’excès de cette demande tire l’offre globale vers le haut, et plus l’offre a donc tendance à réduire le chômage.

Mais que s’était-il passé alors pour que coexistent chômage et inflation ?
Cette inflation qui apparait en 1973, n’est pas une inflation due à une « demande agrégée » (8) excessive, c’est-à-dire, selon la définition de Keynes, une augmentation de la consommation des ménages, des investissements, des dépenses de l’Administration, mais une inflation due aux coûts. Les prix montent parce que le prix de l’énergie et du pétrole montent. Malgré un manque de demande et un contexte de crise économique et donc de chômage, l’inflation s’est transformée en une inflation des coûts et Keynes ne donne pas de réponse sur la manière de combattre une telle inflation. Cette explication est importante ici car elle indique les limites de la pensée keynésienne et pourquoi d’autres voies, ultra libérales, celles-là, ont été ensuite choisies par le système.
On en n’était pas encore alors au choix de Charybde ou de Scylla c’est-à-dire entre inflation ou déflation. Nous y reviendrons plus loin. Ces péripéties nées des chocs pétroliers des années 1970 sont simplement un signe nous rappelant pourquoi les politiques keynésiennes ont été abandonnées pour un ultra libéralisme destructeur des politiques sociales. Il faut rentabiliser au mieux avec une vision qui ne peut être qu’à court terme.

Mais cette augmentation du prix de l’énergie ne doit pas occulter la tendance à une réduction continue des taux de profit dus à l’augmentation de la productivité.

L’absence de nouveaux marchés traduit une crise de valorisation du capital.

Il devenait de plus en plus difficile de trouver des marchés porteurs équivalents à ce qu’avait pu être, par exemple l’automobile. L’obsolescence nécessairement programmée a même fini par être contre productive dans un marché comme celui de l’informatique. Les clients potentiels restent à l’affut de produits qui se renouvellent sans cesse, où l’on préfère attendre, au gré d’une concurrence féroce, que les prix baissent.

On se rend compte que l’argent ne peut être investi dans « l’économie productive » car le produit ne trouverait pas d’acheteur solvable. On peut fabriquer des millions de brosses à dents en pensant que nombre d’utilisateurs démunis en ont réellement besoin. Mais ces millions de consommateurs potentiels ont-ils les moyens de s’en acheter ? C’est le même raisonnement qui pourrait faire penser que les chômeurs devraient être embauchés, leur travail étant utile, voire indispensable à la communauté. Sauf que le travail n’existe dans cette société non pas à cause de son utilité sociale mais seulement s’il peut générer directement ou indirectement le profit. Et c’est pourquoi très logiquement, les libéraux cherchent à se débarrasser du « fardeau » des emplois à caractère social.

Quant à la Chine, elle ne semble pas au rendez-vous. Alain Minc, jadis invité sur tous les plateaux pour nous faire la leçon sur l’essor irrésistible de ce pays, se fait aujourd’hui beaucoup plus discret.
Au passage, rappelons quand même que le Céleste Empire reste une dictature, capable, il n’y a pas si longtemps, de sacrifier des millions d’individus comme lors de la grande famine des années 1960. Même si depuis Deng Hsiao Ping, on a fait des petits sauts sur les pierres permettant de franchir la rivière, celui-ci rappelait aussi que si ça tournait mal, on pouvait toujours faire demi-tour pour revenir sur la berge. Concrètement cela veut dire qu’en cas de crise économique grave la dictature chinoise tentera de sauver ses intérêts en se repliant sur elle-même comme c’était encore le cas voici une vingtaine d’années.

L’argent, lui, reste donc dans sa sphère, celle de la spéculation financière, celle du jeu et des paris. Grace à la manne versée par la Réserve Fédérale américaine, suivie bientôt par la Banque Centrale européenne, les actions boursières « étaient reparties vers une hausse vertigineuse sans relation avec les valeurs qu’elles prétendent représenter. Tout se joue, sur un fil, à la confiance. Les traders, jouets jetables, appuyés sur l’outil informatique, sont ici à la manœuvre.

Les taux directeurs qui définissent le loyer de l’argent sont au plus bas, creusant les déficits budgétaires laminant la valeur des monnaies. Les relever ne produirait rien de plus qu’une déflation aboutissant à une crise similaire à celle de 1929. Et la confiance, sur laquelle tout repose, peut se désagréger pour un rien. Le fameux battement d’ailes de papillon. A l’heure où nous écrivons ces lignes la Bourse de Paris a perdu en deux jours plus de 5%.

La crise qui touche le système est mortifère car il s’agit d’une crise de valorisation du capital.

Mis à part la spéculation, plus rien n’est jouable. Et c’est cela, dans l’histoire du capitalisme, qui est inédit.

La chute de la Bourse s’est poursuivie en février 2016, jusqu’à crever la barre des 4000 points. Descendre voir ce qui se passe là-dessous, dans les gravats ? A chaque fois un petit rebond précède un nouveau craquement. Cela tiendrait à un petit creux sur la belle route, une conjoncture provisoire où les banques sont mises à mal de par les investissements dans l’industrie pétrolière alors que les cours baissent, condamnés à stagner pendant des années malgré le retour de l’Iran dans la partie.

« Il ne se passe rien » nous disait, ce mardi 9 février, Nicolas Doze, l’amusant chroniqueur de BFM Télévision, qui trouvait la réaction à la baisse des marchés irrationnelle puisque rien de nouveau, semble t-il, n’était apparu. Mais cela fait très longtemps que les animateurs de télévision ne voient rien venir…
Krach boum hue !

1. Sur France2, le 4 février, le journaliste Jean-Pierre Chapel évoque « un krach boursier bien plus grave qu’en 2008 ».

2. TINA : There Is No Alternative, politique ultra libérale initiée par Margareth Thatcher et Ronald Reagan dans les années 1980. qui la justifiait en affirmant qu’il n’y avait pas d’autre voie.

3. Ainsi le ralentissement drastique des échanges commerciaux à l’échelle mondiale était visible dès 2006

4. Le calcul du nombre des chômeurs aux Etats-Unis, officiellement de 5,1% ne prend en compte que les demandeurs d’emploi. Il ne concerne pas tous ceux qui ne s’inscrivent plus ou qui sont désinscrits en tant que tel, pour diverses raisons. Hormis le travail à temps partiel qui est généralisé, le véritable taux du chômage aux Etats-Unis s’établirait autour de 20%. Voir l’article de Fabien Pirollo du 10/09/2015 sur Economie Matin « Quel est le vrai taux du chômage aux Etats-Unis » et celui de Quentin Georges du 03/02/2013 sur AgoraVox « Les vrais chiffres du chômage aux Etats-Unis ».
Quant aux chiffres mirifiques des créations d’emplois, ils omettent de spécifier qu’il s’agit d’emplois à temps partiel…
Mais on pourrait également évoquer les chiffres du chômage en France qui sont eux aussi le résultat de manipulations.

5. Voici encore quelques mois, on se rassurait en évoquant la croissance chinoise à 7,5%. Ce chiffre était considéré comme la limite à ne pas franchir ; en deçà la crise mondiale repointerait son nez…
Cette croissance est aujourd’hui estimée autour de 4% . Ce qui reste une évaluation discutable puisqu’aucun chiffre officiel n’est fiable…

6. Rappelons les propos d’Alan Greenspan, ancien président de la Réserve Fédérale américaine, devant le président de la commission de contrôle de l’action gouvernementale en 2008.
"Henry Waxman, venait de rappeler à M. Greenspan les propos qu’il avait tenus dans le passé, selon lesquels "des marchés libres et concurrentiels sont de loin la meilleure façon d’organiser les économies, sans équivalent".
L’ancien patron de la Fed a aussi admis avoir "fait une erreur en croyant que le sens de leurs propres intérêts, notamment chez les banquiers, était la meilleure protection qui soit". "En d’autres termes, vous trouvez que votre vision du monde, votre idéologie, n’était pas la bonne, ne fonctionnait pas ?", a renchéri M. Waxman. "Absolument, exactement, a répondu M. Greenspan. C’est précisément la raison pour laquelle je suis choqué, parce que cela faisait quarante ans et même plus que de façon très évidente cela fonctionnait exceptionnellement bien." (Journal Le Monde du 25/10/2008)

7. Jérôme Kerviel est un cas type où l’on se rend compte que les traders ne sont que des rouages que l’on peut éliminer ou mettre en pâture au gré des intérêts du moment. Les financiers américains avaient trouvé Madoff à clouer au pilori. La Société Générale, elle, se contente d’un menu fretin à offrir en pâture. Comme si le petit mitron était responsable d’un mauvais pain confectionné avec la mauvaise farine que son patron lui avait ordonné d’utiliser… Solidarité prolétarienne avec Kerviel !

8. Ainsi pour Keynes, le niveau d’emploi dans une économie ne dépend pas du fonctionnement du marché du travail mais dans la capacité de la demande globale à être suffisamment importante pour égaler l’offre. Pour plus de détails voir les chapitres 3 et 4 de la « Théorie Générale »…

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