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Le consensus transversal dont jouit le premier ministre britannique

Publie le samedi 14 mai 2005 par Open-Publishing

Ils sont tous fous de Tony. Mais pourquoi ?

de Rina Gagliardi traduit de l’italien par karl&rosa

Nous accordons au député Clemente Mastella (si souvent vitupéré pour sa tendance bien connue à occuper des postes) qu’il a dit, cette fois, la chose juste : arrêtons de poursuivre un Modèle xénophile, a plus ou moins dit le leader de l’Udeur. Qu’il soit allemand, anglais, américain ou brésilien. Et essayons de nous en construire un - modèle politico social - tout à nous, même original, même capable de faire école chez les autres. Des mots qui tombent à pic au milieu de l’engouement blairiste dont a été prise - re-prise - notre gauche modérée.

Dans l’ordre, s’y sont mis Piero Fassino, Massimo D’Alema et Giuliano Amato à couvrir le leader du New Labour d’éloges démesurés, excessifs, exagérés. A expliquer que la guerre en Irak - couronnement d’une politique internationale tout à fait subalterne aux Usa de Bush - n’est qu’un petit accident de parcours. Et à décrire la Grande Bretagne, plus ou moins, comme l’Eldorado : pas comme le lieu des privatisations les plus désastreuses (du genre de celle des Chemins de fer), de la réorganisation au rabais du Welfare ainsi que de tous les services publics et d’une contre reforme du système d’instruction qui fait pâlir celle de Letizia Moratti (ministre de l’Education du gouvernement Berlusconi, NdT) ; mais justement comme le monument de la renaissance industrielle et de la justice sociale.

Or, il est vrai qu’en politique la tentation de la propagande est dure à mourir. Mais pourquoi ce retour de flamme si ardent ? Et pourquoi précisément au moment où une image - celle de Tony Blair - s’est acheminée de toute façon sur la voie du déclin et, malgré la troisième victoire électorale et les records historiques, n’a devant elle aucun avenir important ?
La première réponse est aussi la plus évidente : en tout cas, Blair est un gagnant. Et il est notoire que pour la majorité du groupe dirigeant de l’Olivier l’important est de gagner, avant que de participer. D’accord : même nous, nous ne sommes pas dégoûtés par l’idée de gagner, tôt ou tard.

Mais, le premier ministre espagnol Zapatero est lui aussi un gagnant : et en plus il a non seulement gagné de manière surprenante, mais en s’engageant à retirer les troupes de son Pays de la malheureuse guerre de l’Irak. Et à amorcer un programme de modernisation de la société espagnole qui n’est pas seulement très avancé, mais même ponctuellement respecté. Pourquoi, alors, Zapatero n’est-il même pas devenu un "petit modèle", même tout petit, sur deux terrains - la politique étrangère et les droits civils - sur lesquels il est en train de donner ce qu’il y a de mieux en lui ? Et pourtant le leader du Psoe est tout sauf un extrémiste, ou un subversif, comme on peut le déduire de ses choix de politique économique et sociale. Donc, il y a autre chose, pas seulement le goût de la Realpolitik.

En effet, il y a une autre réponse à notre interrogation du départ, qui met en cause l’identité profonde de la gauche "réformiste" ainsi que les désirs d’un plus ample rassemblement néo-modéré : Tony Blair reste en tout cas l’emblème incarné de ce que chez nous on appelle l’esprit de la troisième voie. D’une gauche qui a mis au placard presque tout son patrimoine politique et idéologique et qui grâce à cela a gagné : parce qu’elle s’est faite Pur Centre, jusque dans ses bases. Parce qu’elle n’a jamais mis en discussion - en utilisant même avec une désinvolture pragmatique les contrevérités d’Etat - sa fidélité au Seigneur américain et à la cause de l’Occident. Et parce qu’elle a pratiqué un néolibéralisme authentique, avec quelques corrections : héritées en partie de l’ancien et exaltant système de Welfare britannique (très réduit, oui, mais à partir d’un standard que l’Italie n’a jamais eu), partiellement introduites en période préélectorale (une avalanche d’embauches, qu’on y fasse attention, toutes dans le secteur publique, en contradiction flagrante avec tous les préceptes du blairisme et des manuels de Giddens).

Et, du reste, ce sont bien là les raisons spécifiques qui rendent tout le monde - en commençant par Silvio Berlusconi - "fou de Tony". Et qui inspirent au Corriere della sera une véritable campagne blairienne, pour pousser les "réformistes" de chez nous à assumer définitivement cette identité, cette stratégie, ce rôle. Une gauche qui a coupé ses racines, en commençant par celle de classe - le vrai, grand cadeau (aussi dit "sale boulot") que Margaret Thatcher a fait à ses héritiers néo travaillistes, un Pays où le pouvoir des syndicats avait été presque effacé (et d’une façon expéditive, sans concertations bon enfant et sans aucun embarras).

Est-ce pour cela, peut-être, que le secrétaire des Ds (le parti social-démocrate issu du Pci, Ndt) arrive à dire, entre un soupir et un désir, que cela serait un rêve d’arriver à faire en Italie aussi les "réformes" que Tony Blair a fait en Grande Bretagne ? Un rêve bipartisan, pour le dire schématiquement, auquel au fond de leur cœur les Ds ne renoncent pas : devenir une gauche de gouvernement qui d’abord obtient du peuple italien un mandat dense d’espérances de changement et reçoit ensuite plein d’éloges d’Angelo Panebianco, Ezio Mauro et Marcello Sorgi (les directeurs respectifs de Il Corriere della Sera, La Repubblica et La Stampa, les trois plus importants quotidiens italiens, NdT). Ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar.

http://www.liberazione.it/giornale/050510/archdef.asp