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L’échec du Plan « Patriota » qui avait pour objectif l’anéantissement des FARC

Publie le lundi 23 mai 2005 par Open-Publishing

de Miguel Urbano Rodrigues

La démission, la fin avril 2005, de quatre généraux colombiens, Jairo Duvan, Luis García, Roberto Pizarro et Hernán Cadavid, a ouvert une grave crise dans les forces armées de ce pays. Ces généraux, qui étaient responsables de commandements importants, ont été écartés parce qu’ils ont critiqué la stratégie du Plan « Patriota » imposée par les Etats-Unis.

L’influent quotidien El Tiempo de Bogotá, très proche de l’oligarchie, a profité de l’occasion pour publier pour le premier anniversaire du Plan « Patriota » un supplément dans lequel ses rédacteurs spécialistes de la question font le bilan du projet du président Álvaro Uribe pour détruire les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple. L’éditrice en chef, María Alejandra Villamizar, après avoir rappelé que ce plan « est l’opération militaire la plus ambitieuse de l’histoire colombienne et a été pendant quelques mois un des secrets d’Etat les mieux gardés », ajoute que « jamais auparavant n’avait été mobilisée une force de 18 000 hommes pour une mission » et que « jamais auparavant les Etats-Unis ne s’étaient impliqués si directement dans la guerre contre les insurgés ». Le haut commandement de l’Armée a réagi négativement à l’initiative de El Tiempo parce qu’il s’agit d’un journal très prestigieux au sein de l’oligarchie, et surtout parce que le supplément fait la lumière sur l’échec de la stratégie d’Uribe Vélez, soutenue par la Maison Blanche et par le Pentagone, et il confirme une évidence : les FARC, loin d’avoir été détruites, gardent intacte leur capacité de combat sur les 60 fronts où sont répartis leurs 17 000 guérilleros. Dans l’article principal, signé Judith Bedoya Lima, El Tiempo apporte au public des détails inédits sur le développement du Plan « Patriota ». Elle révèle par exemple que l’un des objectifs de l’Opération JM -hommage à l’ex-commandant de l’Armée, le général Jorge Mora- était la capture du comandante Jorge Briceño, chef du Bloc Oriental des FARC et membre du Secrétariat de l’Etat Major. Il faut préciser que Briceño, connu comme le Mono Jojoy, est le grand stratège des FARC et un guérillero légendaire dont la mort a déjà été annoncée à plusieurs reprises par différents gouvernements colombiens.

Le projet de l’Opération, élaboré dans une atmosphère de secret, visait dans un premier temps à la réalisation d’un cordon militaire infranchissable qui aurait isolé une zone de 300 000 km² (trois fois et demi le Portugal [plus de la moitié de la France]) sur les départements de Caquetá, de Meta, de Guaviare, plus une partie du Putumayo. En trois mois un centre d’opérations sophistiqué a été installé dans la Base Militaire de Larandía, dans le Caquetá ; il recevait des informations provenant des satellites nord-américains et des hélicoptères Black Hawk. Trois centres similaires ont été montés à San Vicente del Caguán, à Solano, et à San José dans le département de Guaviare. Dix brigades mobiles, sous le commandement du général Castellanos, appuyées par des unités d’élite de la marine et de la Force aérienne, ont commencé à consolider l’encerclement. Enfin Miraflores, dans le Guaviare, Puerto Cachicamo, dans le Caquetá, ainsi que d’autres municipalités dans Meta où les FARC étaient fréquemment présentes, ont toutes été occupées. Il y a eu des combats, mais les FARC ne défendent pas le terrain. L’Armée a eu de lourdes pertes, malgré l’énorme supériorité de son armement. La guérilla disposait d’à peine quelques fusils, de mitrailleuses et elle a utilisé des cylindres explosifs montés avec du matériel tiré des oléoducs, des mines et des pièges artisanaux de type vietnamien.

En juin 2004, le président Uribe Vélez a reçu l’information, aussitôt communiquée à Washington, selon laquelle une grande victoire était imminente, un grand coup susceptible de briser la colonne vertébrale des FARC. Les hélicoptères des services d’intelligence, avec la coopération de satellites nord-américains, avaient en effet localisé le campement de Jorge Briceño, dans la partie la plus dense des impénétrables forêts. Une force d’élite puissamment armée pénètre dans les grande verdure vers l’endroit précis dont on connaît la latitude et la longitude avec la plus grande précision. Le campement a été bombardé puis occupé. Mais le résultat a été décevant. Mono Jojoy et 70 autres guérilleros -d’autres ont pris des directions différentes- ont quitté les lieux à temps. La troupe se trouvait à 12 mètres du lieu où il était caché, sur le bord d’une rivière. « Est-ce à dire que Dieu aussi est communiste ? », criaient les militaires, selon El Tiempo. Le gouvernement et l’Armée ont présenté l’occupation du campement comme un grand succès, mais les communiqués officiels ont omis de préciser que le Mono Jojoy n’a même pas été localisé.

Dans une ambiance chauffée à blanc la deuxième phase de l’Opération JM a commencé en septembre 2004, trois mois plus tard. Objectif : poursuivre et capturer les commandants des FARC dans une zone réduite à 150 600 km² de pure forêt. L’offensive, qui est encore en cours, a été un échec dès le départ. Le moral des troupes est au plus bas. El Tiempo révèle des épisodes éclairants de l’état d’esprit des soldats jetés dans l’enfer amazonien. Un exemple : 18 militaires de la Vème Brigade, après deux mois de combat à El Billar, dans le Caquetá, contre un ennemi presque toujours invisible, ont pris de force un hélicoptère qui apportait le ravitaillement. Ils ont appréhendé les pilotes et ils les ont contraint à emmener le groupe à San Vicente del Caguán, au Bataillon Cazadores. Là, ils ont déclaré à la psychologue de cette unité : « Nous ne voulons pas rester là-bas plus longtemps, la forêt est en train de nous rendre fous ! ».

Le général Ospina, commandant en chef, a expliqué que la moitié des militaires impliqués dans l’Opération JM exige de revenir de la forêt. En décembre dernier la Brigade mobile 10 avait déjà 884 hommes hors de combat, c’est-à-dire 76% de ses effectifs. Rien que dans le département de Guaviare 671 soldats victimes du paludisme ont été évacués. La liste officielle des pertes est falsifiée tous les mois, pour ne pas alarmer la population. Au commandement de l’Opération JM, par ailleurs, le général Castellano a été remplacé par le général Carlos Fracica. Castellano doit aujourd’hui répondre d’ accusations d’« extorsion et enlèvement » dans le département de Huila.

L’intervention des Etats-Unis

Dans le contexte de la stratégie qui implique le contrôle de l’Amazonie par les Etats-Unis, le Plan Colombie a été conçu comme un instrument indispensable pour le financement de la lutte contre l’insurrection armée.

Officiellement, le Plan Colombie -dont le texte en espagnol est une traduction de l’original en anglais rédigé à Washington- avait été conçu pour promouvoir le développement économique et social et pour combattre le narcotrafic. Mais le véritable objectif était autre. Pour le système impérial la persistance en Colombie depuis des décennies d’une organisation guérillera avec une aura d’invincibilité représente un défi intolérable. Les FARC démontrent que dans des conditions historiques, géographiques et sociales particulières, il est possible en Amérique latine de résister par les armes au pouvoir d’un Etat oligarchique allié aux Etats-Unis. Détruire une guérilla qui se conçoit comme parti marxiste-léniniste était une priorité pour Clinton, puis pour Bush. Le masque est tombé lorsque le Congrès des Etats-Unis a approuvé le transfert de sommes importantes du Plan Colombie pour de actions militaires de combat contre l’insurrection.

Les Forces armées de Colombie sont aujourd’hui, avec environ 300 000 hommes, les plus puissantes de toute l’Amérique latine ; elles disposent d’armes et de technologies que les Etats-Unis ne fournissent normalement qu’à Israël. La puissance de feu de la Force aérienne de Colombie est supérieure à celles du Mexique et du Brésil réunis. Le Plan « Patriota » a surgi comme un complément du Plan Colombie. Au début de l’année 2003 une mission militaire colombienne s’est rendu au Commandement Sud [SouthCom] des Etats-Unis pour demander de l’aide. La visite était secrète. Il s’agissait de porter « le coup de grâce » aux FARC en attaquant et en détruisant ses « sanctuaires ». Le projet et le langage -inspirés de celui des généraux américains au Vietnam- ont plu à Washington. Le général James Hill, alors chef du Commandement Sud, avait informé Bush du fait que « la situation en Colombie arrivait à un point critique et le Plan ‘‘Patriota’’ pouvait être un apport décisif dans la lutte contre les narcoterroristes ».

Selon El Tiempo, Washington a offert, dans une première phase, 100 millions de dollars pour le Plan « Patriota », avec des armes, des transports, du matériel de communication, ainsi que l’entraînement des personnels. Plus tard, le général Bantz Cradock, successeur de Hill, a demandé au Congrès davantage de fonds pour aider les « alliés » colombiens, faisant valoir que le soutien logistique des Etats-Unis étaient indispensable pour remporter « de nouvelles victoires avec le Plan ‘‘Patriota’’ ». Le versement suivant devrait être de 50 millions de dollars.

Il restait encore un obstacle. Le haut commandement colombien en était arrivé à la conclusion que le nombre de conseillers militaires américains était insuffisant. Le haut commandement a donc demandé un renfort parce que les militaires américains et les personnels des forces privées de sécurité sous contrat, dont la présence dans le pays était autorisée, étaient déjà occupés par diverses missions du Plan Colombie. Le général Hill, dans un mémorandum envoyé au Congrès, a demandé l’augmentation du contingent. « Lorsqu’ils m’ont montré le Plan (« Patriota ») et quand j’ai vu comme il était ample et complexe, j’ai compris que nous devions augmenter nos équipes, leur donner un soutien logistique pour la planification des combats en permanence sur le terrain, en communication, en intelligence et en transport ».

Le style du général est rude, mais il a fonctionné. Le Congrès a autorisé l’augmentation de la présence militaire nord-américaine en Colombie dans le cadre du programme Joint Planing Assistance Teams-l’euphémisme ne trompe personne. Au début de l’année 2005 le nombre de militaires des Etats-Unis arrivait à 800 -des éléments des forces spéciales, des pilotes, des ingénieurs- et les personnels privés sous contrat étaient 600. « Les demandes de la Colombie sont satisfaites quasiment avec le même empressement que celles qui émanent de l’armée des Etats-Unis », a déclaré un analyste militaire interviewé par El Tiempo. Le Plan « Patriota » compte maintenant avec des techniciens qui contrôlent les communications par satellite et qui parviennent à obtenir des images permettant de localiser des campements des FARC et les mouvements de leurs colonnes.

L’intervention militaire des Etats-Unis dans le conflit est impossible à cacher

Le supplément de El Tiempo, comme c’était prévisible, a eu un fort impact sur l’opinion publique. Il est paru presque au moment de la visite à Bogotá de mademoiselle Condoleezza Rice, connue en Amérique latine comme « La sorcière impériale ». La démission des quatre généraux colombiens ne leur a pas rendu la tâche facile. Elles confirment que la crise dans les Forces armées résulte de l’échec du Plan « Patriota ». Fin avril 2005 les FARC ont lancé une offensive dans le sud-ouest du pays et l’Opération JM sur le front oriental inspire des anecdotes à Bogotá.

Il est significatif que jusqu’à aujourd’hui les seuls commandants des FARC qui soient tombés au mains du gouvernement -Simón Trinidad et Rodrigo Granda- aient été séquestrés à l’étranger avec l’aide de la CIA. La solidarité avec l’organisation révolutionnaire de Manuel Marulanda est une exigence internationaliste dans le combat pour la mondialisation de la lutte des peuples contre la mondialisation néolibérale.

Serpa, le 10 mai 2005

Rebelion.org, pour la version en espagnol

http://www.rebelion.org/noticia.php?id=15117

(source originale en portugais : resistir.info )

Traduction à l’espagnol : Pável Blanco Cabrera

Traduction en français (à partir de la version espagnole) : Numancia M. Poggi