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Ce que la CIA pourrait apprendre du Venezuela : l’affaire Luis Posada Carriles

Publie le lundi 23 mai 2005 par Open-Publishing

de Eva Golinger**

L’émoi suscité par les informations récentes à propos d’une demande d’asile politique soumise par un certain Luis Posada Carriles, de nationalité cubaine et terroriste recherché internationalement, a placé l’administration Bush face à un dilemme. Si elle accorde l’asile à Posada Carriles, elle nie sa déclaration universelle de « guerre contre le terrorisme » comprenant « ceux qui hébergent ou accueillent des terroristes ». Mais, si elle refuse l’asile à ce même Posada Carriles, non seulement le gouvernement américain tourne le dos à un ancien serviteur de ce pays - puisque Posada a été un agent de la Central Intelligence Agency (CIA) depuis les années 60 jusqu’à une date inconnue -, mais elle se place également dans la situation particulièrement délicate d’avoir à décider si, oui ou non, elle va l’extrader vers le Venezuela, dont il fuit la justice, ou l’envoyer dans quelque pays du tiers monde considéré comme neutre, où il pourrait être jugé pour ses crimes, ou encore lui conférer un statut de protection aux Etats-Unis qui lui accorderait le droit de résider et de travailler librement dans les limites territoriales de la superpuissance mondiale et de la principale nation en guerre contre le terrorisme. Accepter l’extradition de Posada Carriles vers le Venezuela serait exploité par les médias comme une victoire pour le président Hugo Chávez, une pilule très dure à avaler pour une administration Bush qui a appuyé nombre d’efforts visant, ces dernières années, à évincer le dirigeant vénézuélien.

Suite à cette situation plutôt difficile à laquelle est confronté le second mandat du gouvernement Bush, le département d’Etat et les porte-parole de la Maison-Blanche ont refusé de reconnaître la présence de Posada Carriles aux Etats-Unis, en dépit du fait bien connu que sa demande d’asile a été soumise au Département américain de la Citoyenneté et des Services d’Immigration. Il y a environ six semaines, de nouveaux récits présentés sur les chaînes locales de Floride ont commencé à diffuser des informations sur l’arrivée clandestine de Luis Posada Carriles sur le sol américain. Peu après, son avocat, Eduardo Soto, annonçait que Posada Carriles allait demander l’asile en s’appuyant sur ses états de service, en cas de poursuites politiques, d’avoir à être déporté à Cuba, son pays natal.

Une demande d’asile politique ne peut être présentée que lorsqu’un individu est entré aux Etats-Unis et elle doit être présenté dans l’année qui suit son entrée. Afin d’entrer en considération pour le droit d’asile, un individu doit répondre à la définition de « réfugié » telle qu’elle est reprise dans la Loi américaine sur l’Immigration et la Nationalité (IMA) et dans les termes suivants : « une personne incapable ou non désireuse de retourner dans son pays d’origine et de se livrer à la protection de ce dernier ou, si elle est apatride, dans son dernier pays de résidence en raison de poursuites ou de craintes bien fondées de poursuites pour des motifs de race, de religion, de nationalité ou d’appartenance à un groupe social particulier, ou pour ses opinions politiques ».

Toutefois, un individu qui répond à la définition de « réfugié » telle que reprise dans l’INA, peut se voir refuser l’asile politique conformément aux paragraphes suivantes de l’INA :

Une personne demanderesse se verra refuser l’asile en fonction du § 208(b)(2) de l’INA si elle :

1. A commandé, incité, assisté ou participé d’une façon ou d’une autre à la poursuite de quelque personne pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d’appartenance à un groupe social particulier ou pour des opinions politiques ;

2. A été déclarée coupable d’un crime particulièrement grave (y compris avec circonstances aggravantes) ;

3. A commis un grime non politique grave à l’extérieur des Etats-Unis ;

4. Constitue un danger pour la sécurité des Etats-Unis ;

5. S’est réinstallée pour de bon dans un autre pays avant d’arriver aux Etats-Unis (voir 8 CFR § 208.15 pour une définition d’« installation définitive »).

Une personne se verra également refuser l’asile en fonction du § 208 de l’INA si elle n’est pas admissible en fonction du § 212(a)(3)(B) de l’INA ou si elle extradable en fonction du § 237(a)(4)(B) de l’INA si elle :

1. S’est engagée dans des activités terroristes ;

2. S’est engagée ou est susceptible de s’engager, après son entrée, dans la moindre activité terroriste (un fonctionnaire consulaire ou l’attorney général sait, ou a des raisons valables de croire, que c’est le cas) ;

3. A, dans quelques circonstances que ce soit révélant une intention de provoquer la mort ou de graves dommages corporels, provoqué une activité terroriste ;

4. Représente (a) une organisation terroriste étrangère, dans les termes repris par le secrétaire d’Etat dans la section 219 de l’INA ou (b) un groupe politique, social ou autre similaire dont la perpétration publique de faits d’activité terroriste telles que les a définis le secrétaire d’Etat sape les efforts des Etats-Unis en vue de réduire ou d’éliminer les activités terroristes ;*

5. Est membre d’une organisation terroriste étrangère, telle que l’a désignée le secrétaire d’Etat dans la section 219 de l’INA, ou dont vous savez, ou auriez dû savoir, qu’elle est une organisation terroriste ;

6. A utilisé une position d’avant-plan dans quelque pays que ce soit pour avaliser ou embrasser des activités terroristes, ou persuader des tiers de soutenir des activités terroristes ou une organisation terroriste, qui, de la façon définie par le Secrétaire d’Etat, sape les efforts des Etats-Unis en vue de réduire ou d’éliminer les activités terroristes.*

* Ces deux catégories ont été ajoutées par la loi USA PATRIOT (Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism - Unir et renforcer l’Amérique en mettant à sa disposition les outils nécessaires pour intercepter et contrecarrer le terrorisme), P.L. 107-56, du 26 octobre 2001, loi qui fut promulguée en réponse aux attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Luis Posada Carriles a fui la justice du Venezuela et il est un terroriste international, conformément à la définition du Federal Bureau of Investigations (FBI), et, par conséquent, il ne peut se voir accorder l’asile politique en fonction des lois des Etats-Unis. En 1985, il s’évadait d’une prison à sécurité minimale située au Venezuela. Il était déguisé en prêtre et avait bénéficié de l’aide de la Cuban American National Foundation, financée par le gouvernement américain, après neuf années de détention suite à son implication dans un attentat à la bombe contre un appareil de la Cubana de Aviación, attentat qui avait tué les 73 personnes se trouvant à bord. A l’époque de son évasion, le procès contre Posada Carriles pour son rôle en tant que coauteur de l’attentat contre les lignes cubaines, en compagnie de son compagnon le terroriste anti-castriste cubain Orlando Bosch, était traité en appel. En tant que tel, une condamnation ne fut jamais prononcée, malgré plus de preuves qu’il n’en fallait pour mettre Posada Carriles derrière les barreaux pendant quelques décennies. Bosch fut emprisonné durant onze ans pour son implication dans l’attentat à la bombe et fut relaxé par des juges corrompus qui avaient conclu des marchés avec l’ambassadeur américain au Venezuela, M. Otto Reich, lequel, avec l’important soutien financier et politique de la Cuban American National Foundation et de la première administration Bush, assura l’entrée de Bosch aux Etats-Unis. Remarquez que, dès l’arrivée de Bosch aux Etats-Unis, en 1988, il fut placé en détention par les services de l’immigration, puisqu’il avait également été répertorié comme « terroriste » par le FBI, mais le président George H.W. Bush (le père de l’actuel) lui donna un « sauf-conduit le libérant de prison », une grâce, dès lors, lui permit de vivre librement à Miami.

Deux des autres complices de l’attentat à la bombe, Freddy Lugo et Hernan Ricardo Lozano, connus comme étant les deux Vénézuéliens qui avaient en fait placé la bombe à bord de l’appareil ayant décollé de la Barbade, le 6 octobre 1976, furent condamnés pour leur rôle dans cet acte terroriste et passèrent plus de 20 ans de prison au Venezuela. Tant Logo que Lozano ont purgé toute leur peine et ils résident toujours au Venezuela actuellement.

Des documents récemment déclassés de la CIA et du FBI, obtenus les Archives de la Sécurité nationale, une association sans but lucratif installée à Washington, fournissent d’amples preuves confirmant l’implication de Posada Carriles dans l’attentat à la bombe contre l’avion de ligne cubain ainsi que dans d’autres actes de terrorisme, de même que son statut d’agent de la CIA. Un document secret de la CIA, daté d’octobre 1976, déclare : « Nous avons déterminé que cette agence était en relation avec une personne dont le nom a été mentionné à propos de l’attentat à la bombe en question. L’employeur de Lugo et de Lozano à Caracas est Luis Posada Carriles, ancien chef de la Division de contre-espionnage du Directorat des Services de Renseignements et de Prévention (DISIP), c’est-à-dire le service de sécurité civile du Venezuela. Posada est un ancien agent de la CIA. Son contrat s’est terminé à l’amiable en juillet 1987, mais le contact fut rétabli en octobre 1987. Nous avons maintenu des contacts occasionnels avec lui depuis. »

Un autre document du gouvernement américain confirme le statut de Posada avec la CIA : « Luis Posada, avec qui la CIA a des intérêts opérationnels, reçoit environ 300 dollars par mois de l’agence. »

Un document du FBI, daté de novembre 1976, affirme que Posada Carriles a participé à au moins deux réunions de préparation de l’attentat à la bombe contre l’avion de ligne cubain : « Certains plans concernant un attentat à la bombe contre un appareil des lignes aériennes cubaines ont été discutés au bar de l’hôtel Anauco Hilton, à Caracas, au Venezuela. Frank Castro, Gustavo Castillo, Luis Posada Carriles et Morales Navarrete étaient présents lors de cette réunion. Morales Navarrete a déclaré qu’une autre réunion prévoyant un attentat contre un appareil cubain avait eu lieu dans son propre appartement de l’Anauco Hilton. Cette réunion fut elle aussi antérieure à l’attentat contre l’avion de ligne cubain, le 6 octobre 1976. Les personnes présentes à cette réunion étaient Morales Navarrete, Posada Carriles et Frank Castro. »

Outre ces preuves récemment révélées, Posada Carriles, selon ses propres dires au cours d’une interview donnée au New York Times voici sept ans, a été impliqué dans une série de missions visant à « faire sauter des ressortissants cubains ou certains sites cubains ». Il organisa plusieurs attentats à la bombe dans d’importants sites touristiques de La Havane, dont l’un provoqua la mort d’un touriste italien. En novembre 2000, le président cubain Fidel Castro accusa Posada Carriles d’avoir prévu de l’assassiner à Panama durant une conférence internationale. Posada fut arrêté et trouvé en possession de 33 livres (15 kg) de plastic C-4. Il se fit infliger une peine de prison de 8 ans pour « avoir compris la sécurité publique ». Le président panaméen sortant, Mireya Moscoso, un allié de la communauté cubaine anti-castriste de Floride, amnistia Posada Carriles. Ce fut son dernier acte avant de quitter ses fonction, et la libération d’un terroriste international aussi dangereux souleva un tollé au niveau international.

Il existe de nombreuses preuves établissant que Posada Carriles a exercé de nombreuses activités terroristes. Le Venezuela a un mandat d’arrêt en cours prévoyant son arrestation sur accusation d’homicides dans l’affaire de l’attentat contre les lignes aériennes cubaines. Les propres documents de la CIA et du FBI confirment la participation de Posada Carriles à plusieurs organisations terroristes et autres activités. La Cour suprême du Venezuela a autorisé la requête d’extradition sous la loi vénézuélienne, affirmant que les charges contre l’homme étaient toujours valables.

Conformément au traité d’extradition de 1922 entre les Etats-Unis et le Venezuela, « toute personne pouvant être accusée ou convaincue de délits commis dans le cadre de la juridiction de l’une des parties contractantes et spécifiés dans l’article II de cette convention, et se trouvant soumis à cette juridiction au moment où le délit a été commis, et qui demandera asile ou sera découverte sur le territoire de l’autre », sera « livrée à la justice de la nation appropriée ». L’article II du traité inclut les délits de « meurtre, assassinat, homicide et tentative de meurtre ». Posada Carriles a été accusé de plusieurs cas d’homicides, de meurtres par les tribunaux vénézuéliens pour son rôle d’auteur intellectuel de l’attentat contre l’avion de ligne cubain qui tua 73 personnes. L’attentat, comme l’ont confirmé les documents déclassés de la CIA et du FBI, avait été préparé par Posada Carriles et les conspirateurs de l’hôtel Anauco Hilton de Caracas. Par conséquent, les exigences du traité d’extradition sont manifestement remplies.

Dans ce cas, si les exigences légales ont été remplies, pourquoi les Etats-Unis sont-ils indécis et éludent-ils la question ?

L’administration Bush pouvait elle réellement croire qu’elle se doit de « protéger » Posada Carriles en raison des années durant lesquelles il a défendu les intérêts du gouvernement américain, d’abord en tant que soldat dans l’armée américaine, de février 1963 à mars 1964 et, ensuite, comme agent de la CIA ? Osama bin Laden, lui aussi, a été un agent entraîné et payé par le gouvernement américain durant la guerre d’Afghanistan contre l’ancienne Union soviétique. Mais l’administration Bush a très rapidement mis une récompense sur sa tête et déclaré qu’il était un terroriste international après les attentats du 11 septembre 2001 en territoire américain. Posada Carriles pourrait-il recevoir un traitement spécial du fait que ses activités terroristes n’ont jamais été dirigées contre les intérêts américains ? Peut-être tout ce blabla vise-t-il à apaiser la communauté cubano-américaine de Miami, qui soutient depuis très longtemps la famille Bush, y compris le très important gouverneur de Floride, Jeb Bush, dont le boulot serait compromis si l’on venait à faire un affront aux Cubains de Miami.

Posada Carriles fut aussi jadis directeur du contre-espionnage au Venezuela, le DISIP, l’équivalent du FBI. Il s’agissait certainement d’un poste plus élevé que celui de simple agent du FBI à 300 dollars par mois. Pourtant, le Venezuela n’a nullement l’impression d’être redevable à Posada Carriles de la moindre « protection » ni de quelque traitement spécial que ce soit. Dès que le gouvernement vénézuélien découvrit son rôle dans l’attentat à la bombe de 1976, il sortit un mandat réclamant son arrestation. Il ne se vit accorder la moindre faveur pour ses « services rendus » au Venezuela en tant qu’agent des renseignements. Et même si les intérêts vénézuéliens ne furent pas directement affectés par l’attentat contre l’avion cubain, le gouvernement vénézuélien saisit très bien la notion de « terrorisme international » et de « crime contre l’humanité ».

Il n’est pas surprenant qu’une nation qui est revenue sur sa signature de la Cour pénale internationale et qui n’a jamais ratifié les conventions et traités internationaux en matière de droits de l’homme et de terrorisme est potentiellement disposée à accorder l’asile à un terroriste international. Ce qui surprend, c’est que les citoyens américains continuent de tolérer qu’on ne remette pas en question une telle hypocrisie de la part de leur gouvernement. Les membres de la communauté américaine vont-ils permettre à leur gouvernement de condamner des actes de terrorisme contre d’autres nations et d’accorder l’asile à des terroristes internationaux aussi longtemps que ceux-ci ne s’en prennent pas à des citoyens américains ?

Orlando Bosch avait déjà été catalogué de terroriste par le FBI dans les années 70. N’empêche qu’aujourd’hui, il réside en toute liberté à Miami et avec la bénédiction de la famille Bush. L’hôte d’autres anciens dictateurs et bourreaux s’est vu accorder l’asile dans le « pays de la liberté ». Posada Carriles va-t-il bénéficier du même traitement ?

Le gouvernement vénézuélien est assez mûr pour accepter que son ancien directeur des services de renseignements doit être livré à la justice pour avoir commis un crime. La CIA devrait se fourrer la queue entre les jambes et suivre le bon exemple du Venezuela. Il ne s’agit pas que Bush sauve la face devant Chávez et Castro, il s’agit simplement qu’un homme responsable de morts horribles d’innocentes victimes paie pour ses crimes de sorte que ces victimes mêmes et leurs familles puissent enfin connaître la paix.

**Eva Golinger est une avocate vénézuélienne et américaine spécialisée dans les lois internationales et dans les questions d’immigration. Elle est l’auteur de The Chávez Code : Cracking U.S. Intervention in Venezuela (Le code Chávez : Déjouer l’intervention américaine au Venezuela), disponible sur son website, www.venezuelafoia.info , et sur Amazon.com. Les documents du FBI et de la CIA concernant Luis Posada Carriles et mentionnés dans cet article peuvent être consultés à la page web des Archives de la Sécurité nationale :

http://www2.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB153/index.htm