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Emmanuel Macron rencontre les Whirlpool : visite à (très) haut risque

par Corinne Bouchouchi

Publie le mercredi 26 avril 2017 par Corinne Bouchouchi - Open-Publishing
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Emmanuel Macron rencontre à la chambre de commerce et d’industrie d’Amiens les salariés de Whirlpool. Une visite à haut risque finalement bien balisée.

l l’a promis avant le premier tour de la présidentielle. On y est. Il va devoir s’y coller. C’est ce mercredi 26 avril qu’Emmanuel Macron rencontre à Amiens les salariés en grève de l’usine Whirlpool. Après l’épisode de "La Rotonde" et une image, qu’il s’en défende ou qu’il l’assume, plus "héraut de la finance" que "travailleurs de tous pays unissez-vous", la visite du favori à la magistrature suprême au pays de son enfance n’a rien d’une promenade de santé. Pour autant, et probablement pour éviter une confrontation à haut risque, le candidat d’En Marche ! n’approchera pas l’usine de sèche-linges.

Ce qui l’attend : des salariés à cran, remontés à bloc, et peu sensibles aux sirènes macronistes.

Depuis janvier, les 290 salariés de cette usine de fabrication de sèche-linge, qui appartient à l’américain Whirlpool, numéro un mondial de l’électroménager (20 milliards de chiffre d’affaires), vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Leur employeur leur a annoncé qu’il fermerait en juin 2018 cette unité de production, la dernière usine du groupe en France, pour la délocaliser à Lodz, en Pologne, et ainsi s’adapter "à un contexte de marché de plus en plus concurrentiel". La pilule a du mal à passer. Car ce n’est pas la première restructuration qu’entreprend le groupe en France. En 2002, 1.300 personnes travaillaient pour Whirlpool à Amiens. Il s’agit du troisième plan social que subissent les salariés et ils ont fait beaucoup de sacrifices pour rien.

De plus, aux dires des syndicats, les négociations concernant ce PSE se passent mal. Cécile Delpirou, déléguée CFR-CGC, constate :

"Les négociations traînent. La direction est même en train de durcir le ton."

Depuis lundi, les salariés font grève et bloquent l’entrée poids lourds du site pour obliger la direction à entamer un dialogue constructif.

Une région très touchée par le chômage

Amiens, et plus généralement Les Hauts-de-France, est loin de se résumer aux macarons de la famille Trogneux ou à ses bucoliques hortillonnages.

Selon l’Insee, l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais-Picardie (aujourd’hui Hauts-de-France) est la région métropolitaine la plus touchée par le chômage. Au troisième trimestre 2015, 12,8 % de la population active régionale était sans emploi, contre 10,2 % en France métropolitaine. Entre 2008 et 2015, le taux de chômage y a progressé de plus de trois points et touche plus les femmes que les hommes (une tendance qui s’est inversée).

Au-delà des chiffres, les habitants de la région vivent au quotidien le drame du chômage et voient les usines fermer les unes après les autres : Goodyear, plus de 1.000 emplois directs en moins il y a trois ans ; Continental (à Clairoix), près de 700 salariés au chômage ; le fabricant de matelas Sapsa-bedding, entreprise liquidée en décembre 2015 avec ses 156 salariés…

La région a voté à plus de 31% pour Marine Le Pen

Dans un tel marasme, il va sans dire que le candidat perçu comme l’ami des startupers et des Français qui vont bien aura du mal à faire son trou. Ainsi, au premier tour de l’élection présidentielle, la région a voté à 31,03% pour Marine Le Pen ; à 19,59 % pour Jean-Luc Mélenchon. En troisième position, juste derrière le candidat de la France insoumise, arrive l’enfant du pays : avec 19,50% des voix.

Pour résumer, si les Hauts-de-France étaient la France, Emmanuel Macron n’aurait rien eu à fêter à La Rotonde… Dans la Somme, c’est un peu mieux pour lui, puisqu’En Marche ! arrive en deuxième position avec 21,75% des voix. Mais Marine Le Pen y caracole toujours en tête avec 30, 37-% des voix. A Amiens, il monte sur la première marche du podium mais ne dépasse pas les 30%. Il flirte avec les 28 %, devant Jean-Luc Mélenchon (24,87%) et, enfin, Marine le Pen (18,42%).

Un terrain miné

"Je n’y serai pas. Pour moi, c’est trop tard. Pourquoi Emmanuel Macron n’a t-il pas bougé avant ? Il est quand même d’Amiens ! Ici, les gens disent qu’il vient gratter les voix du FN", s’énerve Frédéric Chanterelle, élu CFDT, pourtant très à la pointe du combat contre la multinationale et son projet de délocalisation. A titre personnel, il pense voter blanc au deuxième tour et exprime un dégoût certain de la politique :

"Les gens en ont ras-le-bol de cette droite et de cette gauche corrompues, de ces histoires d’emplois fictifs et de détournements d’argent. Ici la réalité c’est 1.500 euros et on survit". Le "ni droite ni gauche" d’Emmanuel Macron ne le convainc pas, c’est le moins qu’on puisse dire :
"Avoir un président de la République pro-finance qui a fait passer la loi Travail, j’en passe et des merveilles.[...] J’espère que le peuple va se retourner contre ces monarques qui nous jettent des miettes."

Un discours très dur, probablement accentué par ces trois mois de combat et des négociations pénibles, mais qui reflète peu ou prou le sentiment général sur le site d’Amiens.

La peur de lendemains toujours plus sombres

Une salariée qui préfère rester anonyme regrette :

"Je pense que sur Whirlpool, Marine Le Pen sera a 60%. Cela fait des mois que le FN tisse sa toile et vient tracter à la sortie de l’usine. Et ce matin, sur le parking, on avait d’un côté François Ruffin (La France insoumise) qui crachait sur Emmanuel Macron et de l’autre un jeune élu de la Somme qui faisait la retape en toute discrétion.
Marine Le Pen dit qu’avec elle il n’y aura pas de délocalisation. Si j’y croyais, moi aussi je pourrais être tentée de voter pour elle."

Face aux attentes des salariés et à la peur de lendemains toujours plus sombres, le discours du réalisme, tel qu’Emmanuel Macron l’a tenu dans "l’Emission politique" face à François Ruffin, risque d’avoir du mal à passer. "Une campagne présidentielle n’est pas pour faire des propos d’estrade, faire des propositions qu’on ne peut pas tenir. Je vais faire quoi, je vais monter sur un camion ?", avait-il rétorqué au réalisateur de "Merci Patron !" en rappelant une vaine séquence de la campagne de François Hollande à Florange.

S’il est évident, et nous l’avons écrit dans "l’Obs", que les promesses de la candidate du Front national ne pourront être tenues, il faudra qu’Emmanuel Macron trouve de bons arguments pour vendre à ces futurs délocalisés un projet européen qui tienne la route.

Il lui faudra aussi ne commettre aucun impair et éviter ses précédentes et désastreuses références à l’illettrisme, à l’alcoolisme ou à la couleur du tee-shirt d’un militant de la CGT… Le choix d’une rencontre en terrain neutre, plutôt qu’aux abords de l’usine, lui permettra d’éviter de genre de confrontations à haut risque. On peut le regretter.

http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170425.OBS8542/emmanuel-macron-rencontre-les-whirlpool-visite-a-tres-haut-risque.html

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