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Emmanuel Macron, pourquoi ça flotte ?

par Nathalie Raulin et Guillaume Gendron

Publie le mercredi 26 avril 2017 par Nathalie Raulin et Guillaume Gendron - Open-Publishing

Depuis son discours raté de dimanche soir, le leader d’En marche peine à rassembler un large front anti-Le Pen. Un retard à l’allumage qui alimente les critiques envers un candidat parfois soupçonné de manquer d’épaisseur.

Ils l’admettent, off the record, c’était « une faute de carre ». Les proches d’Emmanuel Macron se sont réveillés avec la gueule de bois lundi matin. Le discours trop tardif et si peu solennel du candidat au Parc des expositions de Paris, ponctué par des « Brigitte ! Brigitte ! » aussi incongrus que la présence de sa femme sur scène, puis sa soirée privée à la Rotonde, sa brasserie fétiche du quartier Montparnasse, ont semé le doute. Face à la présence du FN au second tour, Macron aurait manqué d’épaisseur, tout à sa « joie », certes « grave et lucide », mais loin de la solidité et de la sobriété attendues de la part du dernier rempart républicain. Sa traversée de Paris à tombeau ouvert et feux rouges brûlés, ses « V de la victoire », sa réponse à l’emporte-pièce à la sortie du restaurant (« je n’ai pas de leçons à recevoir du petit milieu parisien »), tout cela sentait par trop l’amateurisme et le triomphe déplacé, prêtant le flanc aux parallèles bling-bling avec la soirée au Fouquet’s de Sarkozy en 2007. Quant à son allocution, elle n’avait rien de la fougue du « guerrier » autoproclamé.

« Populisme mondain »

Le discours était bien de sa main, sans recours à ses plumes habituelles - il a, de toute façon, l’habitude de les reprendre. La parade avec sa femme Brigitte n’était pas préméditée, mais le candidat n’aurait pas eu le cœur de lâcher la main de son épouse au moment fatidique. En revanche, il a imposé, contre l’avis de plusieurs proches, son rendez-vous à la Rotonde, excluant même de dîner dans un endroit à l’abri des regards. Macron a fait de l’indifférence au qu’en-dira-ton une marque de fabrique, voire une règle de vie, eu égard à son couple atypique. Au risque de l’autisme social, du caprice personnel qui conduit à la faute politique.

Un proche, qui a pris ses distances avec le candidat, se dit le premier surpris de l’avoir entendu « taper sur les journalistes sur le trottoir » de cette manière, et d’avoir ainsi cédé au « populisme mondain, alors qu’il a choisi lui-même une brasserie aux vitres transparentes ». La volonté de Macron de ne s’adresser qu’aux télés et aux radios lui est revenue en boomerang : filmé en permanence, il donne à voir ses fautes. Mardi, en déplacement à l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), le leader d’En marche a campé sur cette posture « jupitérienne » : « Je n’ai jamais suivi le diktat des médias. Les Français se sont exprimés dimanche, à 20 heures. Nous sommes mardi après-midi. Que ça n’aille pas assez vite pour vous, grand bien vous fasse. Moi, je veux construire sur cinq ans et même au-delà. Je suivrai le rythme que j’ai décidé. » A ceux qui lui reprochent d’avoir enjambé le second tour, il rétorque : « Je n’ai jamais considéré que quoi que ce soit était gagné. »

Macron n’en est pas à son premier gadin : ses propos sur l’existence ou non de la « culture française » ou le besoin d’empathie envers les opposants au mariage gay « humiliés » avaient déjà troublé. Jusqu’à présent, il a réussi à se relever à peu près indemne avec, à chaque fois, le même mode opératoire : d’abord, il franchit la ligne, ensuite, il rationalise à froid, hurle à la déformation de ses propos ou de ses actes en sous-entendant un manque de professionnalisme des journalistes incapables de saisir la complexité de son être. Parfois avec une mauvaise foi flagrante, comme quand l’ex-ministre lance en meeting à Toulon, après ses propos sur la colonisation décrite comme un « crime contre l’humanité », un « je vous ai compris », utilisant à contresens la phrase de De Gaulle. Gaffe ou provocation ultime ? Macron laisse les autres trancher.

Mardi, le New York Times a appelé le centriste français à retenir les leçons de l’arrogance mortifère de la campagne Clinton, enjoignant le candidat au « travail » et à « l’humilité ». En aparté, lors d’un déplacement à Laval, François Hollande a lui aussi distribué les mauvais points (lire page 4-5) : « Il n’y a pas eu de prise de conscience de ce qui s’est passé dimanche. […] Rien n’est fait parce qu’un vote, ça se mérite, ça se conquiert, ça se justifie, ça se porte. » Sur RTL, Jean-Christophe Cambadélis a également joué l’arbitre des élégances : « Le Pen est en marche, si je puis dire, donc il faut peut-être s’en occuper et je n’ai pas trouvé que les quarante-huit heures du candidat républicain étaient à un niveau tel qu’il repoussait l’attaque. » Interrogé sur France Inter mardi, Richard Ferrand a plaidé le bon droit de son candidat. Pour le secrétaire général d’En marche, il serait temps « d’arrêter de faire de la mousse ». Au sein du mouvement, pas de mea-culpa pour le « repas de 140 personnes facturé 7 000 euros » : « On a le droit à l’euphorie », nous fait-on savoir. « Chez lui, il y a l’ambition et la conviction, mais aussi le plaisir », ajoute un ami de l’ex-banquier.

Alors que Le Pen la jouait travailleuse et matinale à Rungis, il y avait comme un flottement du côté macroniste. Lundi, un député rallié à En marche se désolait de n’avoir ni planning ni éléments à faire circuler. « L’agenda n’était pas vide, répond un proche, mais c’est vrai que les décisions se prennent souvent le jour pour le lendemain. » Après une journée de « débriefing » et de calage de l’agenda de campagne, interrompu par le candidat le temps d’assister à la commémoration du génocide arménien, le déminage a commencé.

« Front à front »

Lundi soir, il a remobilisé ses troupes et notamment les bénévoles de son QG. Mardi soir, avec quarante-huit heures de retard à l’allumage, Macron était au JT de France 2 pour éteindre la polémique et se projeter sur la quinzaine à venir. Il a répété à cinq reprises qu’il « assumait totalement » la soirée de la Rotonde, contre « la bien-pensance triste » de ceux qui la lui reprochent.

Pour les jours à venir, son équipe veut mettre en scène son combat « front à front avec le FN » qui a été, selon l’entourage du candidat, « l’étincelle » de son engagement. Déjà lors de sa déclaration de candidature fin novembre, plus inspiré qu’au soir du premier tour, il s’était posé en recours face au Front national, le « pire à venir, [qui] propose le repli, la guerre civile ou les recettes du siècle dernier ». Il y a un mois, en meeting à Marseille, il avait attaqué violemment le FN, « un parti qui salit la République », lançant en cri de ralliement : « Il faut chasser le parti du mépris et ceux qui nous font honte. Sortons-les. » Macron a choisi de l’affronter sur le terrain frontiste : la France rurale et périphérique, avec un accent mis sur la vie quotidienne et le travail. « Ce sera son axe de campagne de second tour : aller directement à la rencontre des gens, dans le cadre de leur métier, de leurs difficultés », décrypte François Bayrou. Des déplacements quotidiens et calibrés, avec priorité aux grandes télés et aux agences de presse, afin de verrouiller les images et la communication.

Mercredi, il se déplace dans le bassin minier nordiste où le FN s’enracine. D’abord dans sa ville natale d’Amiens (Somme). L’occasion d’honorer une promesse en rencontrant les ouvriers en grève de Whirlpool, soutenus par François Ruffin (Merci patron) qu’il a affronté lors de l’Emission politique de France 2. Puis il partira pour Arras (Pas-de-Calais) donner le meeting qu’il avait annulé vendredi à cause de l’attaque des Champs-Elysée. Un déplacement risqué qui, s’il se déroule sans encombres, l’aiderait à faire passer la séquence post-scrutin. Un proche résume : « C’est un type rapide, il fait des coups. Parfois ça marche, parfois non. Ce qui est sûr, c’est qu’il doit évoluer et arrêter de vivre sur ses acquis. »

http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/25/emmanuel-macron-pourquoi-ca-flotte_1565371

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