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François Ruffin : Lettre ouverte à un futur président déjà haï...

par François Ruffin

Publie le vendredi 5 mai 2017 par François Ruffin - Open-Publishing
3 commentaires

Monsieur Macron, je regarde votre débat, ce soir, devant ma télé, avec Marine Le Pen qui vous attaque bille en tête, vous, « le candidat de la mondialisation, de l’ubérisation, de la précarité, de la brutalité sociale, de la guerre de tous contre tous », et vous hochez la tête avec un sourire. Ça vous glisse dessus. Je vais tenter de faire mieux.

D’habitude, je joue les petits rigolos, je débarque avec des cartes d’Amiens, des chèques géants, des autocollants, des tee-shirts, bref, mon personnage. Aujourd’hui, je voudrais vous parler avec gravité. Vraiment, car l’heure me semble grave : vous êtes détesté d’emblée, avant même d’avoir mis un pied à l’Elysée.

Lundi 1er mai, au matin, j’étais à la braderie du quartier Saint-Maurice, à Amiens, l’après-midi à celle de Longueau, distribuant mon tract de candidat, j’ai discuté avec des centaines de personnes, et ça se respire dans l’air : vous êtes haï. Ça m’a frappé, vraiment, impressionné, stupéfait : vous êtes haï. C’était pareil la veille au circuit moto-cross de Flixecourt, à l’intuition, comme ça, dans les discussions : vous êtes haï. Ça confirme mon sentiment, lors de mes échanges quotidiens chez les Whirlpool : vous êtes haï. Vous êtes haï par « les sans-droits, les oubliés, les sans-grade » que vous citez dans votre discours, singeant un peu Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes haï, tant ils ressentent en vous, et à raison, l’élite arrogante (je ne vais pas retracer votre CV ici).

Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Je vous le martèle parce que, avec votre cour, avec votre campagne, avec la bourgeoisie qui vous entoure, vous êtes frappé de surdité sociale. Vous n’entendez pas le grondement : votre heure, houleuse, sur le parking des Whirlpool, n’était qu’un avant-goût. C’est un fossé de classe qui, face à vous, se creuse. L’oligarchie vous appuie, parfait, les classes supérieures suivent.

Il y a, dans la classe intermédiaire, chez moi, chez d’autres, encore un peu la volonté de « faire barrage », mais qui s’amenuise de jour en jour, au fil de vos déclarations, de votre rigidité. Mais en dessous, dans les classes populaires, c’est un carnage. Les plus progressistes vont faire l’effort de s’abstenir, et ce sera un effort, tant l’envie les taraude de saisir l’autre bulletin, juste pour ne plus vous voir. Et les autres, évidemment, le saisiront, l’autre bulletin, avec conviction, avec rage.

Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Et c’est dans cette ambiance électrique que, sans concession, vous prétendez « simplifier le code du travail par ordonnances ». C’est dangereux. Comme si, le 7 mai, les électeurs vous donnaient mandat pour ça.

Dimanche 30 avril, sur France Inter, une électrice de Benoît Hamon regrettait votre « début de campagne catastrophique », votre « discours indigent », votre « dîner à La Rotonde », votre manque d’« aise avec les ouvriers ». Nicolas Demorand la questionna : « Et vous allez voter au deuxième tour, Chantal ? » « Plus c’est catastrophique, plus je vais y aller, parce que j’ai vraiment peur de l’autre », lui répondit l’auditrice en un fulgurant paradoxe.

A cet énoncé, que répliqua votre porte-parole, l’économiste Philippe Aghion ? Il recourut bien sûr à la tragique Histoire : Shoah, négationnistes, Zyklon B, Auschwitz, maréchal Pétain. En deux phrases, il esquissa toute l’horreur du nazisme. Et de sommer Chantal : « Ne pas mettre un vote, s’abstenir, c’est en fait voter Mme Le Pen. Il faut que vous soyez bien consciente de ça. » Contre ça, oui, qui ne voterait pas ?

Mais de ce rejet du pire, vous tirez un blanc-seing. Votre économiste parlait, le 30 avril, comme un missionnaire du FMI : « Réduire la dépense publique », « les coupes d’abord dans le social », « sur l’assurance-maladie », « la tarification à l’acte », « l’assurance-chômage », « les collectivités locales ». Tout y passait.

Et d’insister sur le traitement de choc : « C’est très important, le calendrier, il faut aller très vite. Il faut miser sur le capital politique de l’élection pour démarrer les grandes réformes dès le début, dès le début. Quand on veut vraiment aller vite sur ces choses-là, je crois que l’ordonnance s’impose. Je vois la France maintenant, un peu un parallèle avec l’après-guerre, je crois que nous sommes à un moment semblable à la reconstruction de 1945. » Rien que ça : la comparaison avec une France à genoux, qui a servi de champ de bataille, qui n’avait plus de ponts, plus d’acier, plus d’énergie, bref, ruinée, alors que le CAC 40 vient, cette année, de verser des « dividendes record » aux actionnaires.

Mais de quel « capital politique » parlez-vous ? La moitié, apparemment, de vos électeurs au premier tour ont glissé votre bulletin dans l’urne moins par adhésion à votre programme que pour le « vote utile ». Et pour le second, si vous obtenez la majorité, ce sera en souvenir d’Auschwitz et du « point de détail ». Des millions de Français ne se déplaceront pas, qui ne veulent pas choisir entre « la peste et le choléra », qui vous sont d’ores et déjà hostiles.

C’est sur cette base rikiki, sur cette légitimité fragile que vous comptez mener vos régressions à marche forcée ? Que ça passe ou ça casse ? Vous êtes haï, monsieur Macron, et je suis inquiet pour mon pays, moins pour ce dimanche soir que pour plus tard, pour dans cinq ans ou avant : que ça bascule vraiment, que la « fracture sociale » ne tourne au déchirement. Vous portez en vous la guerre sociale comme la nuée porte l’orage. A bon entendeur.

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Messages

  • Ces deux convoitants du pouvoir , c’est la violence économique dans toute son horreur à coup sûr ! Quant à la violence physique nous verrons comment seront traitées les manifs. contre les voleurs, les corbeaux, les vautours . Les monstres surgissent , la couleur de leur programme est annoncé, plus ce qui’ils gardent cachés pour tenter d’écraser un peu plus dans la misère, les travailleurs qui ne vivent que de revenus de leur travail !Les actionnaires verront encore leurs dividendes gonflés, plus riches seront encore les nantis, les privilégiés ! La bourse du CAC40 au lendemain du 1er tour gagne plus de 4%, c’est dire la confiance de la finance quelque soit le nouveau locataire de l’Elysée pour la sauvegarde intacte de son pouvoir économique renforcé par le pouvoir politique à son ordre !

  • Salut à toi meg
    nous nous sommes croisés dans la foule de la manif de la Bastille ...
    Je connais le quartier de St Leu à Amiens pour y avoir travaillé avec la dernière teinturerie textile du coin ; une entreprise créee dans les années 1870 qui avait encore, dans les années 2000, les savoir faire pour les teintures végétales .
    Quand j’allais boire un coup, je croisais alors, dans les bistrots, des gens dont, à l’évidence, le seul espoir était de gagner au loto ...
    Juste pour te dire que tu me bottes et qu’il faut que ça bouge
    Tu bouges bien

  • Toujours aussi juste et percutant le camarade François ! *

    J’ai moi, choisi d’aller voter, car aller voter est mon droit, et c’est aussi mon devoir.
    Par respect pour les millions d’humains dans le monde qui rêvent d’avoir un jour ce privilège.
    Evidemment je ne voterai pour aucun des deux finalistes ; entre La Peste Noire, et Le Choléra aux yeux bleu-lagon. Comment choisir ? Chacun des deux ayant pour seul projet de nous " entuber " un peu plus que leurs prédécesseurs, qui ont déjà trop nuit aux classes inférieures, au seul profit des nantis et des puissants.
    Alors avec convictions, et aussi du dépit j’irai joindre mon bulletin aux centaines de miliers d’électrices et d’électeurs négligés, les fameux " blancs ou nuls ".
    Je n’ai pas du tout envie que dimanche soir le vainqueur m’inclue d’office dans les 70 ou 80 % qui auront selon lui soutenu son néfaste projet, alorq que beaucoup voulaient juste éviter la catastrophe fasciste à ce beau pays appelé la France.

    * un prénom de président !!! ;o)