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CE QUE LE MACRON FAIT A LA CULTURE

par Diane Scott

Publie le lundi 17 juillet 2017 par Diane Scott - Open-Publishing

CE QUE LE MACRON FAIT A LA CULTURE

(bienvenue à Donald et Melania)

 1.

On a tout faux : « Macron » n’est pas l’anti-Le Pen, c’est l’anti-Sarkozy. « Macron » a avant tout une fonction dans l’histoire de la droite française : il est son moment de rédemption contemporain. C’est peu dire que de la « Princesse de Clèves » aux mises en scène semi-doctes du macron disant des vers il y a un gap. Un gap qui fait battre des mains. Ce retournement de produit que la droite nous sert est frappant. D’abord il y a eu le gain extraordinaire des années 2000 nommé « Sarkozy », cette percée dans l’importation de l’extrême-droite, l’acclimatation décisive des signifiants du FN au jeu politique « normal ». Et dix ans plus tard, « Macron » vient jouer le rôle de celui qui rachète la droite de son infamie fasciste. Gageons que c’est le peuple plus que le fascisme qui tache. (N’a-t-on pas entendu après l’élection de Trump que son anglais était « si vulgaire » ?) On reviendrait alors à cette fameuse présidence « normale » que Hollande avait promise et qui arriverait par son dauphin, un quinquennat plus tard : le gentil gars qui-dit-bonjour-à-la-dame versus l’incarnation de la racaille elle-même. Macron est là pour fournir la figure de cette opération de séparation. Réconcilier néo-libéralisme et normalité politique. Non, la droite d’aujourd’hui ça n’est pas que les rednecks de l’Amérique inculte, c’est aussi cette bonne vieille tradition du conservatisme de province qui couvre d’un plaid de sous-préfet aux champs les petites frappes du néo-thatchérisme européen.

 Sarkozy : le plus-de-cru de la droite républicaine, l’obscène de l’ambition petite-bourgeoise, le gant retourné de l’arrivisme, le cauchemar du représentant de commerce en sueur qui met le pied dans ta porte et dont tu ne te débarrasseras jamais. Macron, c’est tout le contraire : le fils de famille spectral lavé de tout soupçon, le beau-fils blabla, le bienvenu sorti des eaux, sorte de Pompidou de farine à la voix délavée. Tout le contraire c’est-à-dire le même. Voit-on que l’on a affaire aux deux faces de la même médaille ? Entre le corps de l’un, grimacé de pulsions, éternel trépignant agrippé aux milliards de sa femme, candidat à la berlusconnade ayant traîné dans toutes les magouilles du RPR et des Hauts-de-Seine, et le corps de l’autre, Jésus de la politique, jamais élu-jamais sali actualisant le fantasme royaliste et antidémocratique à pleins tubes, héritier comme à son insu, l’éternel khâgneux aux dents du bonheur : voit-on les correspondances contraires et symétriques ? Le brouillage déclaré entre gauche et droite – brouillage de droite - est évidemment à inscrire dans cette stratégie de blanchiment. Pile : la bombe pulsionnelle toujours en débord d’elle-même. Face : l’oint de la souveraineté retrouvée qui rachète la politique de ses péchés. D’un côté une espèce d’érection ambulante, de l’autre un costard asexué qui débite de l’alexandrin. Que certains regardent cela d’un œil attendri laisse pantois, et pour la politique et pour le reste (l’alexandrin). On a effectivement affaire à un rêve de restauration de la droite après le tunnel amer de la Sarkozie. Le choix d’un premier ministre venu directement de Juppé le dit. Macron est le strict prolongement de Sarkozy : la même histoire, un chapitre plus bas. Sarkozy a vu juste : « Macron, c’est moi en mieux ! » Car la violence sociale est la même, la vulgarité refoulée ne tarde jamais à ressortir que ce soit au nom du « costard », du mépris des « illettrées », des « rien » ou des « kwassa-kwassa ». Cet atroce proverbe français du racisme social trouve ici sa meilleure application : la caque sent toujours le hareng. Le macron exsude le sarkozy mal gré qu’il en ait.

 2.

On voit alors la fonction stratégique que la culture dite savante vient jouer. « Ricœur », madame professeur de Lettres, cette actualisation de la culture légitime venue des humanités que l’on pensait à jamais perdue avec l’arrivée d’un personnel politique formé à l’entreprise : voilà la légende que ce quinquennat nous sert. On a troqué le mannequin people et son incompressible vulgarité d’âpre-au-gain contre la bourgeoisie de province et son lycée catholique. Les épouses valent à ce niveau partage des eaux. Nous renouerions aujourd’hui avec quelque chose d’une vieille France pompidolienne que l’on a cru historiquement liquidée mais que revoilà proprette. D’où l’insistance sur la jeunesse du machin : non, ce n’est pas le pétard mal éteint de la province contre-révolutionnaire et du moisi thatchérien dont nous mourrons depuis quarante ans, c’est une nouvelle ère, c’est Vénus sortie des eaux. Dans Macron y’a du Fumaroli caché. Du coup tout a été bon pour virer l’odeur de naphtaline : Julien Sorel, Boris Vian. « Un philosophe à l’Elysée ? » s’interroge RFI. Sérieusement… On en était presque à le comparer à Rimbaud, faut quand même prendre la mesure du ridicule. Je regrette la présidence inculte qui avait au moins l’avantage de ne pas abîmer tout ça. Sarkozy avait plus de respect dans sa haine pour le savoir que ces rodomontades adressées à BMF-TV. Pourrait-on avoir la lucidité de se sidérer de la vulgarité de ces références dites savantes ?

 La culture savante a une fonction : elle vient décoller la violence néo-libérale de la figure fasciste. Car la culture légitime – distinguons en l’espèce d’avec la culture savante - est la seule chose qui distingue Macron de Trump. L’élection présidentielle française a été marquée par celle qui avait eu lieu aux États Unis quatre mois avant. L’équivalence FN-Trump était l’évidence et Macron a bénéficié de l’effroi suscité en Europe par le résultat de l’élection américaine. Celle-ci a consacré à la sidération générale le mariage de la plouquerie intellectuelle et du capitalisme. Mais entre le redneck et le Rastignac picard il n’y a aucune différence politique. Même politique étrangère - des électeurs d’En Marche pour protester contre la trahison du programme de la présidentielle en ce qui concerne la Syrie ? Même politique économique de dérégulation, même effet de bonds de joie de Wall Street pour l’un et du CAC 40 pour l’autre. En matière de racisme, on sait la fonction tactique de paratonnerre idéologique de celui du petit peuple qui permet de garder intouché celui des autres. La bienséance supposée du grand garçon n’a en l’occurrence cessé de se craqueler sous les effets d’impensés et l’aisance du petit blanc sûr de son bon droit. Que dire de la commune aversion décomplexée de ces nouveaux présidents pour la liberté de la presse ? On a insisté pendant la campagne des présidentielles sur le fait que Mélenchon aurait été le représentant d’une forme de néo-souverainisme mais que dire de ce début de quinquennat ? Les mises en scène du « Louvre » et de « Versailles » suscitent une sorte d’euphorie suspecte dans l’opinion proprement anti-démocratique, entre émoustillement chauvin et soulagement de sujet soumis. Saupoudrer l’ensemble des signifiants qui brillent permet d’avancer masqué : ça n’est pas brutal puisque c’est savant. On comprend du coup l’insistance à débiter l’alexandrin, le souci de citer Fernand Braudel et Georges Bataille (!) La culture a été inventée pour suturer la politique. En France en 2017 il est sidérant de voir à quel point la confiture ça s’étale et ça sucre.

 3.

Volte-face sur la Syrie[1], inscription de l’État d’urgence dans la loi commune sous couvert de sa suppression tant attendue : ces deux faits sidèrent non seulement par la violence des choix politiques qu’ils actent mais par la violence faite à la valeur de la parole. Parler n’a plus de rapport à la vérité. Il y a ce qui a fait élire Macron et ce pour quoi il a été élu, entre les deux une pellicule visqueuse où la parole se retourne, glisse, ne mord plus sur rien. Le macron actualise le mensonge a un degré qui n’a d’égal que l’adhésion médusante qu’il suscite. Il y a un effet d’hypnose collective dans « Macron » qui arrête, ou qui devrait. Et cet arrangement avec la vérité prolifère à tous les niveaux : je ne m’arrête pas sur le mercenariat des législatives – la superposition du « mouvement » et des « partis » étant une stratégie miraculeuse : jouer l’indépendance et le renouvellement d’un côté, l’allégeance aux mafias traditionnelles de l’autre. Mais qui y croit réellement  ? Qui croit à la « société civile » quand on assiste à un recrutement façon légion étrangère des plus fidèles au chef ? Quand on a affaire en réalité à un renouvellement par les seconds couteaux, c’est-à-dire les mêmes en moins drôles ?[2]

 Ce type a été élu paraît-il pour défendre la liberté d’expression, le moins que l’on puisse dire est que la victoire de ses électeurs leur a coupé la parole. Des réactions du côté des macronistes ? Il faut croire que ce harassant combat contre le Grand Mal vous aura épuisés. Après tout ce tintamarre on ne vous entend plus. Allez, vaillants défenseurs de la civilisation, encore un petit effort. Mais où êtes-vous ? Où est votre haute alarme ? Peu de gens (vraiment) de gauche se sont illusionnés sur la lutte anti-FN des fillonistes-macronistes mais quand même. En sommes-nous donc là que personne ne bronche devant la mayonnaise royaliste, les trahisons de campagne, l’instrumentalisation hallucinante de la « culture », les dérives autoritaires, la violence salariale annoncée ? Vous n’avez pas envie de d’en dire quelque chose ? La vérité, ça ne vous concerne donc en rien ?

 Quand François Dosse parle à propos de Macron de « Renaissance » (sic), quand Alain Touraine parle du « retour de la parole », quand Jean-Luc Nancy parle de retour « jubilatoire » du « sens des mots » (je m’étouffe), ce n’est pas que l’effet du fantasme sénile du gendre idéal. Nous avons affaire à un phénomène auquel les années 1980 croyaient avoir fait un sort : la crédulité. N’ai-je pas entendu certains amis me dire que c’était la première fois, via « Macron », qu’ils vivaient autant d’enthousiasme pour la politique ? Il ne s’agit pas de traiter cela par le mépris ou l’ironie, c’est une vraie question – la morgue du comité invisible ne suffit pas. Les années 80 ont porté aux nues la figure du cadre cynique pour lequel le « décryptage » de l’événement autorisait désengagement, dépolitisation, ricanement de surplomb et autres poses fort sympathiques façon Canal +. Le cadre supposé savoir était la figure de la fin de l’histoire. Trump fait naître un sentiment exactement inverse sur le mode d’un énigmatique « le roi est nu » : on ne comprend pas que l’on puisse y croire. Au bonhomme et à l’événement lui-même – « on n’y croit pas ». La morale des fake-news est intéressante : personne n’y croit en fait – ou alors sur le mode de la croyance d’un autre. Il n’y a jamais rien eu à penser là avec les catégories de la vérité et du mensonge puisque c’est une affaire qui touche à la jouissance[3]. Or « Macron » se joue sur une scène similaire où le rapport à la parole est dans une désinvolture d’une violence rare à l’égard de la vérité. Il faudrait commencer par traiter Macron comme une fake-news de mauvais goût. La difficulté est là : il y a quelque chose de l’ordre de la croyance en jeu dans cette élection d’une manière jamais aussi improbable qui reste à penser. Déjà l’argument anti-FN était un moment très particulier de la passion de la méconnaissance. Mais la puissance de cette passion ne se suffit pas de l’intérêt de classe ou de la culture comme voile imaginaire.

Il y a une triple et stratégique articulation Trump-Macron : (acte 1) je suis ton antithèse, la preuve par la culture ; (acte 2) je suis en fait ton même, la preuve par les actes ; (acte 3) nous nous ressemblons dans la remise en selle historique d’une séquence qui problématise la mystification. De fait les années 2010 sont la scène d’un réassort bien ironique de la figure de la croyance – l’enfoncement dans la mystification décomplexée est comme un sourire narquois que l’époque enverrait aux années 1980 et à leurs hauteurs de vues.

 

Diane Scott

 

[1] « Le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime  !  »

[2] La rencontre sur Médiapart avec les quatre élues LREM était désemparante (« À l’Assemblée : la majorité présidentielle et ses soutiens », 21 juin 2017).

[3] Manya Steinkoler, "Post-vérité et fausses nouvelles : Perspective psychanalytique", Colloque Savoirs et clinique, « Qu’est-ce qui nous arrive ? », Lille, mars 2017.

https://blogs.mediapart.fr/diane-scott/blog/140717/ce-que-le-macron-fait-la-culture