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Emplois aidés : une mobilisation pour l’instant dispersée…

par Eve76

Publie le mardi 14 novembre 2017 par Eve76 - Open-Publishing

Avec les récentes décisions du gouvernement, les licenciements secs, actés ou annoncés, représentent donc l’équivalent de la fermeture de 1000 entreprises de 250 personnes.

Quand quelque part, une usine ferme, cela fait du bruit, les travailleurs montent au créneau et une solidarité s’organise. Les travailleurs concernés ont la force d’un collectif qui s’est forgé au quotidien, à travers une histoire commune, le partage de traditions et la culture de métiers, la défense de ses intérêts à travers l’organisation syndicale… La disparition d’une entreprise touche tout l’environnement : impact sur les emplois induits, sur la vitalité du commerce, sur le maintien des services publics… et devient rapidement l’affaire de tous.

DES SALARIÉS TROP DISPERSÉS POUR CONSTITUER SEULS UNE FORCE COLLECTIVE

Mais ces 250 000 personnes qui risquent de perdre leur emploi sont dispersées dans de multiples administrations et associations ; elles sont précaires, de par leur histoire professionnelle qui les a conduits à être éligibles sur ce type d’emplois, précaires par leur statut et leur avenir incertain. Tout est fait pour leur faire porter la responsabilité de leur situation. La suppression brutale de leur emploi leur envoie un message désespérant : quelle utilité reconnait-on à un travail dont –apparemment- on peut se passer du jour au lendemain ? Difficile dans ces conditions de s’organiser collectivement.

Au fond, les « emplois aidés » ne sont que la face immergée de l’iceberg de la précarité, de toute la population qui n’accède pas à l’emploi stable et qui tourne en rond entre le chômage, les CDD, les temps partiels subis, l’ubérisation, les stages, le service civique, les périodes de formation qui ne débouchent sur rien…

MAIS CE DÉSENGAGEMENT DE L’ETAT MOBILISE COLLÈGUES, ÉLUS, ASSOCIATIONS ET USAGERS

La brutalité et la masse des suppressions des contrats aidés leur donne une visibilité. Leurs employeurs élus et associatifs, ont intérêt à faire entendre les conséquences de ce nouveau désengagement de l’Etat pour le public. Les collègues de travail sont choqués par les drames humains de ceux et de celles qui se retrouvent renvoyés à la case départ d’une possible sortie de la précarité. Ils s’inquiètent également du travail qui ne sera plus accompli. Les usagers, eux-aussi, partagent cette indignation et cette inquiétude.

Face aux attaques tous azimuts que subissent les classes moyennes et populaires déclenchées par le Blitzkrieg de Macron, la suppression des contrats aidés n’en est qu’un des aspects. Mais ne nous y trompons pas : le feu couve sous la cendre. Il existe une réaction diffuse et multiforme qui trouve un écho essentiellement dans la presse locale.

Les associations sont rapidement montées au créneau. Celles qui disposent d’une importante visibilité comme les Restos du cœur ou la Croix-Rouge négocient avec le gouvernement. Les réseaux associatifs nationaux et locaux cherchent à interpeller élus et opinion publique. Un recours a même été déposé devant le conseil d’Etat avec l’aide d’élus écologistes ; en vain. Des « journées noires des associations » ont eu lieu les 18 octobre et 10 novembre.

Pour les élus locaux, la perte du financement emplois aidés se conjugue avec les autres mesures qui restreignent fortement leurs ressources. Certains ne pourront pas continuer à embaucher ce personnel qui assurait pourtant une mission de service public. Ils ne seront pas non plus en mesure de subventionner à la hauteur du désengagement de l’Etat les associations qui oeuvrent dans l’intérêt général. Certains se contentent de voter des motions, d’autres font davantage entendre l’expression de leur mécontentement, ou prennent l’initiative de mobiliser les associations de leur territoire.

Sur le plan syndical, « Asso » (Solidaires), qui rassemble les salariés du secteur associatif, a organisé une journée nationale pour lancer la protestation. Les intersyndicales, généralement dans l’enseignement, se constituent localement pour dénoncer la disparition des emplois aidés. Des arrêts de travail sont signalés dans de nombreux établissements scolaires, en solidarité avec les collègues dont les contrats ne sont pas renouvelés. Dans les EHPAD, ces licenciements ne font que renforcer des mouvements de grève largement suscités par le manque de personnel : les conditions de travail indigne et la maltraitance institutionnelle vont s’aggraver.

Du côté des usagers, ce sont les parents d’élèves, déjà organisés en associations, qui se font le plus entendre. Ils se joignent aux manifestations organisées par les syndicats et les associations.

DES TERRITOIRES PLUS AFFECTÉS ET PLUS MOBILISÉS

MARTINIQUE : UN ACCORD DE FIN DE CONFLIT

La mobilisation démarre dès les mois de septembre dans l’éducation nationale. Le 11, des établissements secondaires ferment leurs portes ; enseignants et agents territoriaux se sont mis en grève. De jour en jour, le mouvement se durcit et s’étend. Le 15, les syndicats encerclent le rectorat et le mouvement entraîne aussi les enseignants du primaire. La rectrice, qui rentre de France, reçoit une délégation.

Dès le 18 septembre, c’est le début des actions « molokoy » (tortue, en créole), autrement dit des opérations escargots de véhicules, qui accompagnent les opérations « villes mortes », lancées par l’Association des maires de Martinique : tous les bâtiments et services municipaux sont fermés.

Pour calmer le mouvement, le préfet fait des propositions le 21 septembre, jugées insuffisantes : les manifestants veulent que les 3000 emplois aidés supprimés soient pris en compte, et pas seulement ceux qui dépendant du rectorat. Le collectif « Unité syndicale et associative contre la suppression des contrats aidés » décide de poursuivre et de durcir la lutte.
De son côté, le président du Conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique rencontre la ministre de l’Outre Mer le 25 septembre, avec la revendication d’un moratoire sur l’ensemble des emplois aidés, dans l’attente de la mise en place d’une véritable politique d’emploi, notamment au bénéfice des personnes en situation précaire et des jeunes Martiniquais. Plusieurs élus locaux demandent l’implication du premier ministre, faisant valoir un chômage trois fois supérieur à celui de l’hexagone et agitant le spectre de l’explosion sociale.

Ce même jour, 2000 personnes sont dans les rues de Fort de France pour une démonstration de force. La mobilisation fait boule de neige. Le collectif grossit jour après jour et se compose de citoyens, d’organisations syndicales, d’élèves, d’enseignants, mais aussi de membres d’associations ou de maires. Les propositions dilatoires du préfet sont jugées manipulatoires ; elles attisent la colère.

L’Unité syndicale et associative contre la suppression des contrats aidés soumet une proposition d’accord au préfet ; un accord de fin de conflit est singé le 26 septembre prévoyant le maintien de ces emplois et l’ouverture de négociations pour identifier les moyens de les rendre durables.

Jean-Marc Party, éditorialiste à France Info, pose à ce sujet les bonnes questions :

« Faute d’emplois qualifiés en nombre suffisant et décemment payés, ils et elles échappent au chômage quelque temps. Faute pour nos entreprises d’embaucher, ces 3.000 et quelques chômeurs intermittents rendent service à la communauté. Et s’ils sont, en fin de contrat, reversés à Pôle Emploi, c’est parce que notre économie n’est pas suffisamment dynamique et performante. (…) quand donc sera décrétée la fin du trépied sur lequel repose notre économie, à savoir : les exportations de banane, l’importation de marchandises par des monopoles avides et l’injection de crédits publics sans contrepartie d’activité réelle ? Puisse la crise des emplois aidés nous amener à réfléchir à d’autres horizons.”


Nord de la France

Les réactions touchent toutes les régions, mais elles semblent particulièrement vives et bien suivies dans le Nord de la France. Elles sont souvent inspirées par la volonté de défendre un territoire délaissé : le Calaisis, le Sambre-Avesnois, où les maires ont battu le pavé, ceints de leur écharpe tricolore, avec la population ; dans le Valenciennois, où l’UL CGT interpelle les députés et réunit les salariés concernés. Dans le Pas-de-Calais 150 communes du pôle métropolitain de l’Artois (bassin minier Lens, Béthune, Liévin) ont organisé une journée « mairie-morte » Sept cents personnes environ, élus et simples citoyens, ont manifesté à l’unisson.

QUEL AVENIR POUR CES MOBILISATIONS ?

POUR DES EMPLOIS PÉRENNES

Les mobilisations doivent viser l’avenir des salariés et non le maintien de la précarité des emplois.

Les réactions individuelles, recueillies par la presse lors de manifestations, témoignent de cet état d’esprit : « Je suis pour la pérennisation de ces emplois. C’est ça la priorité, pas de les supprimer. L’investissement public, c’est une richesse. Ça permet à tout le monde vivre. »

Quant aux collectivités territoriales les plus engagées dans la lutte, elles exigent un moratoire pour mettre en place des solutions durables, avec l’implication de l’Etat.

COMMENT CRÉER LE RAPPORT DE FORCE ?

L’indignation est générale, mais les luttes ont un défi à résoudre en termes de moyens pour créer le rapport de force. L’appel à l’opinion publique ? Mais les attaques pleuvent de tous les côtés, mise en cause du droit du travail, de la sécurité sociale, des libertés…Le gouvernement décidé à passer en force dans tous les domaines, se moque comme d’une guigne des grèves de solidarités et des manifestations. Dans le domaine des contrats aidés comme du reste, il attend « que ça se passe », que les protestations s’épuisent dans le découragement et la résignation faute de marquer des points.

Justement, ne laissons pas cette question des emplois aidés disparaître dans la longue liste de nos défaites ! Après tout, le peuple martiniquais a bien réussi à arracher un accord au gouvernement. Il y est parvenu parce que cette question des emplois aidés a cristallisé un mécontentement profond et généralisé qui a entrainé même les plus frileux des élus locaux. Le blocage de l’île n’a pas laissé d’autres choix au gouvernement que de négocier et de signer un accord de fin de conflit.

Chaque situation est particulière, et à chaque territoire d’inventer ses formes de luttes. Les salariés en emploi aidé licenciés ou menacés de l’être ne doivent pas rester isolés. Le travail de popularisation doit se maintenir dans la durée. Les éléments à porter auprès du public ne manquent pas, sur les conséquences de ces suppressions, leur coût réel pour l’Etat (à peine supérieur au montant du RSA), à mettre en regard du service rendu d’une part, et des autres gaspillages de l’argent public de l’autre.

Le gouvernement nous dit qu’il veut sortir les jeunes de la précarité. Prenons-le au mot : quels moyens, et pour quels résultats, exemples concrets à l’appui ? Car nous savons bien que les formations et les accompagnements proposés sont des trompe-l’œil qui ne conduiront jamais les jeunes (et les autres) vers l’emploi stable. Car combien de personnes dûment diplômées sur le « marché du travail » ne sont pas sorties de la précarité ?

Le niveau de chômage actuel n’est pas, globalement, dû à une formation insuffisante des demandeurs d’emploi, mais à l’état de l’économie, sous l’effet de l’austérité, de l’encouragement aux bas salaires, des licenciements et des délocalisations. Il requiert une autre politique économique et sociale, à commercer par une reprise de l’investissement dans le service public à la hauteur des enjeux.

La lutte contre le licenciement des emplois aidés est un point de départ, qui doit à la fois s’intéresser aux situations particulières des personnes concernées tout en posant les questions relatives à la « fabrique » de la précarité en train de se généraliser.

A travers la brume

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