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L’insolente croissance du Portugal inflige un camouflet au culte de l’austérité de Merkel et Bruxelles

par Pascal de Lima

Publie le samedi 20 janvier 2018 par Pascal de Lima - Open-Publishing
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La réussite du modèle portugais ne vient pas des politiques de l’offre mais au contraire des politiques de la demande. Bruxelles est dans l’embarras.

Longtemps le modèle de référence en Europe a été le modèle allemand. Bruxelles en a fait régulièrement l’apologie, notamment en raison de l’exceptionnel excédent budgétaire allemand, de la dynamique de sa dette, de ses réformes permettant une exceptionnelle compétitivité. Bruxelles s’est souvent appuyé sur ce modèle pour faire pression sur les Etats.

Historiquement, ce modèle repose sur les réformes hétéroclites de l’épopée du Chancelier Schröder pour dépasser la crise des années 1990 en Allemagne. Réformes de l’assurance maladie, célèbres lois Hartz, accords de compétitivité dans les entreprises ont propulsé l’Allemagne vers l’idéal de l’économie de l’offre. L’abaissement des charges des entreprises et la hausse de la TVA ont déplacé la pression fiscale. En parallèle à cela, c’est tout le poids de l’Etat qui a été nettement diminué. Ce modèle qui repose finalement sur les entreprises, on le trouve en Autriche, aux Pays-Bas mais aussi... en Italie du Nord. Ces politiques pro-entreprises ont connu leur apogée en Europe entre 2005 et 2011, date à laquelle, en particulier, la croissance allemande a été maximale.

Mais qu’à cela ne tienne, l’Allemagne s’est essoufflée en 2013-2014 avec une croissance, certes, toujours positive. Un fait notable et loin d’être anodin, le taux de croissance du Portugal est passé au-dessus de celui de l’Allemagne en 2015-2016 et ce sera le cas probablement en 2017. Cependant, avec des excédents commerciaux qui inquiètent de plus en plus Bruxelles, l’Allemagne aujourd’hui interroge.

L’influence de l’Allemagne sur les politiques d’austérité en Europe a atteint ses limites. Car la locomotive de l’Europe ne roule désormais plus qu’à petite vitesse, en termes de croissance et d’exportations, un comble !

Pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d’abaissement de la protection sociale, pas de programme d’austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite. Au contraire.

Car pendant ce temps, le petit poucet de l’Europe, longtemps décrié par Bruxelles, vient bouleverser les grandes certitudes sur les bonnes politiques amères à mener en Europe. Il s’agit du Portugal. Il y a un peu plus d’un an en juillet 2016, la Commission européenne entamait une procédure pour "déficit excessif" contre le gouvernement de Lisbonne. Mais depuis, le Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016 et devrait le ramener à 1,5% cette année quand on peine en France à passer en-dessous de la barre des 4%.

Après une période historique de privatisations forcées pour obtenir les prêts de la Troïka, c’est finalement la coalition de gauche entrée au pouvoir en 2015 qui allait inverser les choses, mettant Bruxelles dans un grand embarras.

Car le modèle économique portugais qui dépasse les taux de croissance allemand aujourd’hui est totalement contraire à celui prôné par Bruxelles. Depuis 2015, la croissance réelle du Portugal s’est nettement redressée après des années noires, celles de la Troïka, durant lesquelles les taux de croissance étaient même négatifs de 2011 à 2013. Aujourd’hui, les taux de croissance du Portugal dépassent ceux de l’Allemagne. Si le taux de chômage frôlait les 17% avec les politiques d’austérité en 2013, celui-ci a décru fortement depuis 2015 pour atteindre 8% en 2017 selon toute probabilité. Une baisse remarquable, du jamais vu. Le Portugal bénéficie également d’une forte reprise de la consommation depuis 2 ans, jointe à un excédent de la balance des biens et services. Les investissements productifs en pourcentage du PIB se rapprochent même de ceux de l’Allemagne, c’est à dire 16,5% contre 20% pour l’Allemagne. Avec une amélioration continue du capital humain, on observe également une belle chute des crédits au secteur privé quand l’épargne est en hausse constante depuis deux années. L’inflation quant à elle est totalement maîtrisée, même plus basse (1,3%) qu’en Allemagne (1,6% en 2016). Certes la dette portugaise avoisine les 146% contre 68% en Allemagne, mais elle diminue depuis deux ans. Les politiques de demande ne sont donc pas systématiquement des politiques d’accroissement de l’endettement. Par ailleurs les taux d’intérêt à long terme se situent à 3,2% en 2016 contre 0,09% en Allemagne. En 2015 et 2016 ce sont les plus bas qu’ait connu le pays depuis 2010 avec la nouvelle coalition de gauche arrivée en 2015.

Le gouvernement n’a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d’achat.

Car la réussite du modèle portugais ne provient pas vraiment des politiques de l’offre mais au contraire des politiques de demande : pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d’abaissement de la protection sociale, pas de programme d’austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite qui avait notamment gelé le salaire minimum et les pensions de retraite, augmenté les impôts et tout cela sans aucun effet notoire sur l’économie. Au contraire, on a assisté en parallèle à une hausse de la pauvreté.

Ici, rien de tel : le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis en 2017. En parallèle à cela nous avons assisté à une baisse des cotisations employeurs de 23 à 22%. Enfin, le gouvernement n’a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d’achat : hausse des retraites et allocations familiales, renforcement du droit du travail, baisse des impôts pour les salaires les plus modestes, arrêt net des privatisations... Pour clore le tout, le Portugal a compris qu’il ne servait plus à rien d’essayer de concurrencer les pays de l’est à bas coûts, donc, on est monté en gamme, dans l’industrie et dans le tourisme. Un point dont la France devrait s’inspirer : la montée en gamme du pays et des politiques de stimulation de la demande, conjointement à un simple abaissement des charges des entreprises.

http://m.huffingtonpost.fr/pascal-de-lima/l-insolente-croissance-du-portugal-inflige-un-camouflet-au-culte-de-l-austerite-de-merkel-et-bruxelles_a_23336858/?xtor=AL-32280680%3Fxtor%3DAL-32280680

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Messages

  • Bien vu ! Mais alors comment peuvent encore avaler nos citoyens la propagande de nos organisations réformistes qu’il faut accompagner la crise ? Les nantis seraient-ils davantage imposés au Portugal ? Ce pays semble pourtant bien avoir une sociologie à l’identique que chez nous ? La caste privilégiée y serait-elle moins égoïste ? Sa composition sociologique ne doit être très différente avec des milliardaires, ses multinationales et un bon carton d’actionnaires ?

  • L’Union européenne et le Fonds monétaire international sont venus en aide au Portugal, à hauteur d’un prêt de 78 Milliards d’euros147. La crise économique de 2011 a eu pour conséquences :

    La diminution du salaire des fonctionnaires de 14,29 % ;
    La diminution des pensions de retraite également de 14,29 % ;
    Un taux de TVA fixé à 23 % ;
    Une diminution du PIB de 1,5 % en 2011, et une prévision (source FMI) de 3,3 % en 2012 ;
    36,4 % des jeunes sont sans emploi.

    Sous le gouvernement conservateur de Pedro Passos Coelho (2011-2015), le Portugal s’engage dans une « politique d’austérité » visant à réduire le déficit public et redynamiser le secteur privé : réduction du salaire minimum et des pensions de retraites, augmentation les impôts et réduction des aides publiques. Le déficit se maintient à 4,4 % du PIB, entrainant des menaces de sanctions de l’Union européenne. La précarité et la pauvreté augmente dans le pays.

    Après les élections législatives de 2015, le nouveau gouvernement conduit par Antonio Costa (Parti socialiste, Parti communiste et Bloc de gauche) déclare rompre avec la politique menée par le gouvernement précédent : « La politique d’austérité suivie ces dernières années a eu pour conséquence une augmentation sans précédent du chômage avec des effets sociaux dévastateurs sur les jeunes et les citoyens les moins qualifiés, ainsi que les familles et les milliers de Portugais au chômage. Elle a été aussi associée à une dévalorisation de la dignité du travail et des droits des travailleurs ».

    Le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis de nouveau en 2017, en échange de baisses de cotisations pour les employeurs, de 23% à 22%. Les retraites et les allocations familiales ont été augmentées, le droit du travail renforcé, les impôts sur les bas salaires réduits, arrêt des privatisations de services et d’infrastructures publics.

    Il est aussi prévu de supprimer les coupes dans les revenus des fonctionnaires et de ramener leur temps de travail à 35 heures par semaine. Les projections actuelles des instituts tablent sur un chômage portugais à 7% en 2019, le plus bas depuis 2004. la croissance du PIB est évaluée à 2,5% pour 2017.

    Les entreprises privées sont généralement très endettées. Leurs dettes représentent en 2017 145 % du PIB

    L’article ci-dessus est pris sur wikipedia. Je me méfie des "miracles économiques" qui me paraissent surtout construit au départ sur un choc austéritaire suivi ensuite par un départ de pas mal de jeunes des classes populaires et d’entreprises artisanales en Europe.

    Le Portugal a bénéficié ensuite de coûts salariaux plus faible, du tourisme et de l’installation de nombreux retraités européens. Il semblerait que cette croissance profite surtout à une bourgeoisie urbaine en trompe-l’œil. Les récents incendies et les nombreuses victimes me paraissent plus révélateurs d’une crise sociale plus profonde.

    Le coût du travail au Portugal est en 2015 la moitie de celui de la Grèce (statistique Eurostat http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/e/eb/Median_gross_hourly_earnings%2C_all_employees_%28excluding_apprentices%29%2C_2014_YB17-fr.png)