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On punit en France les travailleurs handicapés

par Himalove

Publie le vendredi 19 octobre 2018 par Himalove - Open-Publishing

Souffrance au travail

Témoignage d’un ouvrier d’une entreprise adaptée licencié pour y avoir dévoilé un scandale d’Etat

Il fallait que je travaille : la maladie (une méchante schizophrénie) me mangeait le cerveau et envahissait mon ordinaire.

Disposant d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) depuis 2011, je trouvais, le 2 avril 2014, un emploi d’agent de production spécialisé à l’ADEFI, une entreprise adaptée située entre Dieulefit et Poët-Laval, gérée par l’association Clair-Soleil.

Un CDI qui – je pensais – allait m’assurer un travail et un mieux-être jusqu’à ma retraite en mars 2019...

L’ex-atelier protégé s’y déploie dans quatre secteurs d’activité (blanchisserie, ménage industriel, espace vert et déchetterie) ; l’entreprise adaptée emploie plus de soixante travailleurs handicapés – dont certains depuis plus de vingt ans –, tous à la production.

J’alternais travaux dans les espaces verts en équipe et gardiennage seul dans deux déchetteries : Dieulefit et Lalaupie.

Rapidement je m’apercevais que les cadences de travail exigées de la part de la maîtrise, composée uniquement de personnes valides – instaurant de fait une sorte d’apartheid – excédaient les normes habituelles.

A la déchetterie, je réalisais le travail de trois ouvriers : accueil et aide à la personne ; nettoyage du quai, manutention des encombrants et gestion administrative du site.
Il y avait jusqu’à deux cent usagers par jour...

Aux espaces verts, l’équipe – composée de trois à cinq collègues, schizophrène, autiste, épileptique, personnel sous neuroleptiques, antalgiques voire psychotropes (parfois je pouvais apercevoir la plaquette argentée tombait de leur poche lorsqu’ils s’épongeaient le front) – pouvait faire en été trois chantiers dans la matinée.

Les conditions en espace vert y étaient – même pour des individus, jeunes et en bonne santé – très éprouvantes (les pauses de 5 minutes) et le management, autoritaire et sans scrupule.

Par exemple, en pleine canicule (juin 2014), le chef d’équipe, Denis MERCADIEL, n’hésitait pas à sanctionner Samuel C. – 11 ans d’entreprise – parce que ce dernier s’était assoupi sous les lauriers. L’homme de 58 ans souffrait de narcolepsie : on lui retirait deux heures de son salaire.

Spécificité terrible de l’ADEFI

Déficience intellectuelle ou phénomène de culpabilité dû à des restes de stigmatisation ? Ces travailleurs-là ne nommaient pas ce que je considérais comme des maltraitances ; mais effectuaient au quotidien comme un transfert affectif sur l’encadrement, propice à toutes les manipulations mentales ou exploitations physiques.
Rares étaient les ouvriers dont quelques ESAT (à 650 euros par mois) qui pour la plupart vivaient au foyer Picard à savoir que leur salaire est payé à 80 ou 90 % par l’Etat (aide au poste mensuelle + subvention spécifique annuelle).

Aucun membre ou salarié de Clair-Soleil ne leur parlait des « compensations » touchées par l’entreprise à cause de leur handicap ; ni du contrat d’objectif triennal où figure un plan personnel de formation et de reclassement...

L’ignorance dans lequel était tenu le personnel au trois-quart illettré par une association qui dispose pourtant d’éducateurs, de professeurs et d’un ITEP y semble toujours d’actualité.
La chose qui me fit sortir de mes gonds (j’avais décidé fermement de me taire durant un an) a été l’installation d’une machine à pointer.

Alors que nous n’avions ni toilettes ni vestiaire (le matériel et les véhicules disposaient de hangars), le conseil d’administration, dirigé depuis plus de vingt ans, par un propriétaire immobilier dieulefitois, architecte dans une ancienne vie, Patrick GAGNAIRE, décidait que les ouvriers postés à l’extérieur allaient pointer.

Après avoir discuté de la machine avec plusieurs camarades, je décidais de dénoncer la pointeuse – symbole même de notre asservissement.
Etant donné l’emprise morale et physique qu’exerçait l’association Clair-Soleil sur leur vie, je rédigeais et signais le texte en mon nom.

Curieusement, la publication du tract sur un site communiste (Bellaciao.org) n’entraînait pas dans l’instant ni mesure disciplinaire ni convocation...

http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article147090

La politique de l’ADEFI fut de m’isoler parmi les ouvriers à efficience réduite et d’autoriser d’abord la médisance puis les violences à mon égard.

De mon côté, j’encourageais mes camarades à faire la grève sur le tas ; j’affrontais verbalement et les contremaîtres et la direction.

Un jour (le 25 mars 2015) un des ouvriers fut chargé de m’agresser dés que je commençais à parler des conditions de travail dans le camion qui nous menait sur un chantier ; le directeur de l’entreprise, Romuald DUARTE-TAVARES, suivait discrètement le véhicule.

Cependant le collègue mandaté, Jeff D., en criant « tu vas fermer ta gueule ! », s’effondrait sur moi au lieu de cogner ; le chef d’équipe, Guillaume LONGUENESSE, qui conduisait stoppait immédiatement le camion plein d’ouvriers et le directeur en personne vint me demander de descendre du véhicule – ce que je refusais.

Dix minutes plus tard, sur le parking de l’ADEFI, Johan AUBERY*, le tout-puissant contremaître des espaces verts, essayait de me lyncher...

*A souligner que ce « responsable des marchés en déchetterie » utilisait depuis de longues années la force de travail de déficients mentaux pour transporter et ranger du bois dans sa propriété d’Eyzahut sans que la direction de l’association Clair-Soleil n’ait rien à lui reprocher.

Bien sûr, on me rendait responsable de l’algarade et du malaise général dans l’atelier multi-services.

Je fus dés lors cantonné aux travaux en déchetterie, trois jours sur cinq, gardant néanmoins le salaire à temps plein.

Bien que je disposais d’un « aménagement raisonnable », je sentais confusément le CDI en péril...

J’avais raison. Dans mon dos, la direction tentait de me licencier via la médecine du travail, en l’occurrence le docteur Julian MARTIN-FERNANDEZ ; elle se servait de la maladie dont je souffre – la schizophrénie – pour destituer ma parole et disqualifier mes écrits.

Notamment un texte « On exploite bien les handicapés » que j’avais expédié à la DIRECCTE de Valence puis au maire socialiste de Dieulefit.

A noter que cette dernière, Christine PRIOTTO – avec l’ensemble des maires du canton (Vesc, Monjoux, Poët-Laval) lesquels profitaient de cette main-d’oeuvre bon marché, subventionnée par l’Etat – participait aux assemblées générales de Clair-Soleil.

L’article que je fis circuler provoquait plusieurs descentes inopinées de l’inspection du travail : à la blanchisserie quartier Graveyron où l’été la température frôle les 45°C (on doit arroser en continu la toiture) ; au ménage industriel où les arrêts maladie se multipliaient et aux espaces verts...

Clair-Soleil fut obligé administrativement d’ouvrir un appartement qu’elle réservait à la location pour nous faire un local d’aisance équipé d’une cuisine, douche et toilettes.

Jamais « un handicapé » n’aura créé en vingt ans autant de problèmes et posé autant de questions...

Le 22 septembre 2015, le directeur-général, Philippe LOUVET, m’expliquait lors d’une interview musclée de trois heures trente que si j’avais le droit de penser, je n’avais pas le droit de parler à voix haute et encore moins d’écrire.

Il existait selon lui des représentants du personnel, du CSHCT, valides et élus, chargés de le faire.

Mais ces derniers ne furent pas à la hauteur d’un drame qui allait endeuiller l’entreprise à peine deux mois plus tard.

Le 5 novembre 2015, une femme de ménage de 46 ans, à l’état de santé précaire, qui balayait, lavait, astiquait seul depuis des années toutes les salles de cours et dortoir de l’ITEP quartier des Hirondelles, Muriel L., faisait un malaise à la bibliothèque.

Combien de temps est-elle restée seule sur le carreau ? Nul ne le sait.

Malgré l’intervention du Samu et des pompiers, elle décédait le lendemain au centre hospitalier de Montélimar.

Consterné par l’attitude des contremaîtres et des dirigeants de l’association qui ne rendirent pas un instant hommage à l’ouvrière et qui passèrent même la consigne de ne pas parler de l’événement, j’écrivais au préfet, garant du label « entreprise adaptée ».

Le 11 janvier 2016, le préfet de la Drôme m’informait par courrier qu’il diligentait deux enquêtes : une de gendarmerie ; une de la DIRECCTE.

J’apprenais après mon licenciement que « l’accident du travail n’avait pas été déclaré »...

Mes jours dans l’association Clair-Soleil étaient dés lors comptés.

On élaborait dans l’invisible un plan pour se débarrasser du lanceur d’alerte.

La chose légalement était aisée : il figurait dans notre contrat d’ouvrier polyvalent une clause de confidentialité ; j’avais brisé cette clause, à plusieurs reprises, en dévoilant à l’extérieur le secret de la prospérité de l’association Clair-Soleil soi-disant à but non lucratif et leurs multiples connivences – à la limite du droit – avec les édiles.

La dernière révélation en date étant que le propriétaire de la déchetterie – une collectivité – et la société gérante du site, la COVED, avaient décidé d’utiliser les travailleurs de l’ADEFI – une société sous-traitante – pour trier à la main des produits cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.
Le tri des déchets dangereux diffus (DDS) – acronyme qui désigne des produits représentant un risque pour la santé et l’environnement – rentrait dans le cadre légal d’un accord signé entre la communauté des communes de Dieulefit-Bourdeaux et un éco-organisme (EcoDDS) constitué par une quarantaine de grandes surfaces et gros industriels français.

Le combat était inégal : d’un côté un schizophrène, certes ancien journaliste mais isolé, sans appui syndical (la CGT de l’entreprise adaptée y était dirigée par le maire de Vesc) ; de l’autre, des notables, le président de la communauté des communes, lui-même, Jean-Marc AUDERGON, faisant partie du conseil d’administration de Clair-Soleil, appuyés par les toutes-puissantes UNAPEI, AGEFPHI, etc.

Il y a seize ans, en 2002, un journaliste, Pascal GOBRY, dans un livre « L’Enquête interdite ; le scandale humain et financier du handicap », avait dénoncé l’exploitation éhontée des travailleurs handicapés.

Ses conclusions étaient déjà les miennes : le handicap payé par l’Etat est au service du Capital ; et permet à quelque aigrefins – non reconnus d’utilité publique – de constituer un patrimoine immobilier.

Mal lui en prit : bien que son livre explosif soit à l’origine d’une commission sénatoriale puis de la nouvelle loi sur le handicap du 11 février 2005, il fut condamné pour diffamation après une plainte déposée par l’UNAPEI.

Quant à moi, après avoir saisi le conseil des prud’hommes en juillet 2016 pour licenciement abusif ayant entraîné une aggravation de l’état de santé*, j’ai eu un mal fou pour trouver un juriste qui accepte de me défendre.

Après deux désistements d’avocat – commis d’office –, une radiation du rôle, deux ajournements, le procès contre l’association Clair-Soleil aura lieu au tribunal des Prud’hommes à Montélimar le 19 novembre 2018 à 14 heures.

J’invite toutes les personnes concernées par le handicap à y assister.

Car mon avocat, maître Didier DESNOYER, plaidera avant tout cette cause-là.

Jean-Michel MORISET

*Ultime vexation : la qualité de lanceur d’alerte m’a été refusée par le défenseur des droits sous la présidence de Jacques TOUBON dont la sœur Joëlle – je crois – , artiste calligraphe, expose à Poët-Laval et à Dieulefit.

https://informations.handicap.fr/art-maltraitance-travail-handicap-853-9006.php