Accueil > Acte X : à l’aune des Gilets jaunes

Acte X : à l’aune des Gilets jaunes

par Hervé Pitet

Publie le vendredi 18 janvier 2019 par Hervé Pitet - Open-Publishing

L’acte X arrive déjà avec son lot d’incertitudes, de diversions et d’affrontements. Que peut-il en sortir d’autre que la perpétuation du mouvement  ? Car la caractéristique majeure de cette «  crise  » des Gilets jaunes est de participer au dévoilement progressif de la réalité du monde. À chacun son rythme.

À la veille de l’acte X des Gilets jaunes, sur fond de violence policière, le rapport de force semble s’installer durablement en faveur de la contestation. Une «  guerre de position  » comme l’énonce François-Bernard Huyghe, auteur du premier bon livre sur les Gilets jaunes. Dans un article récent (1), le 14 janvier au lendemain de la fameuse «  lettre  » aux français (qu’aucun d’entre eux n’a encore reçu), François-Bernard Huyghe annonce la couleur pour l’acte X : «  Nous sommes dans une guerre de position au sens de Gramsci : deux camps (unifiant des groupes qui présentent des caractéristiques économiques, sociales, mais aussi culturelles et idéologiques communes)  ; ils deviennent de plus en plus solidaires (au moins pour les premières lignes)  ; ils avancent ou reculent, se défient mutuellement. Ils se stigmatisent et appellent le reste de la population à se mobiliser contre l’autre. Finalement, ils montent aux extrêmes (au moins en paroles) et rejouent constamment le rapport de force. Personne ne marche sur Versailles ou sur le Palais d’hiver, et il n’y a encore, ni Grenelle, ni dissolution, ni fuite à Varennes pour terminer le processus (même si certains pensent — sans doute à tort — copier ces modèles anciens). Des avancées et des reculs. Et on recommence.  » Oui, la roue tourne. Et ça grince aussi dans les rouages.

De fait, malgré le «  Grand débat national  » lancé cette semaine par Macron — exercice de communication louable et utile en tout état de cause — les Gilets jaunes «  ne lâchent rien  ». Bizarrement, plus Macron joue son va-tout avec le Grand débat national, plus le fossé se creuse entre le Gouvernement et les Gilets jaunes. Pourquoi  ?

D’abord, il est vrai que Macron — dont nous ne sous-estimons pas le talent tactique — semble vouloir entamer une nouvelle phase qui consiste à surfer sur la contestation pour justifier sa «  Réforme  » — qui en réalité découle directement des Grandes orientations de politique européenne (Gopé). L’argent coule à flot, la dette enfle, le Trésor vit de fausse monnaie, les taux d’intérêt, encore bas, donnent l’illusion d’une grande remise à plat fiscale, énergétique, territoriale… Mais les Gilets jaunes sont déjà ailleurs : RIC, «  Macron, démission  », etc. Loin des frustrations des puissants, qui sont pourtant supposés mieux jouir que les sans-dents (ce qui reste à vérifier). Bref, il y a vraiment un blème chez les pros de la communication politique. La «  foule haineuse  » a trop bon dos.

Certains se contentent de juger injuste le rejet qu’inspire Macron. «  Voyez comme il est jeune  !  »… Il faudrait simplement prendre acte de son immaturité, qui serait le gage de sa capacité à «  retourner la table  » et à transformer le pays en profondeur… Oui, mais dans quel cadre idéologique  ? Là, on peut commencer à causer. Mais peut-on vraiment parler des mêmes choses, comme ça, simplement  ? Résultat, à travers les Gilets jaunes, les Français parlent entre eux, se côtoient, mangent, dansent, puis manifestent à nouveau. Des factieux  ? Non, des factuels. Macron devrait se méfier : les faits vont parler.

D’autres ont simplement peur, c’est naturel — ce qui ne peut être compris et accepté étant nécessairement occulté. L’aspiration à l’ordre revient donc en force après l’instrumentalisation médiatique des violences de rue. Mais face à la force du courant, ce petit barrage sautera comme tous les autres… Comme sauteront tous les mots morts de la propagande officielle (qui ne date pas d’hier) : incitation à la haine, antisémitisme, complotisme, conspirationnisme… Le dernier goulet d’étranglement se trouvant dans les médias d’information (les «  merdias  » disent les plus virulents) où il devient impossible de distinguer politiciens, éditorialistes, experts divers autoproclamés et où le pauvre Gilet jaune de service est condamné à paraître incompétent, inconscient, dangereux, trop populaire, trop «  cash  », trop beauf, trop «  fake  », en somme trop irrationnel… Pitié  ! Stop à cette lecture à sens unique de la rationalité  !

Il en est d’autres enfin qui jouissent de voir le mouvement s’amplifier à la faveur d’une conjonction exceptionnelle d’événements propices et de prises de conscience accélérées sur la réalité du système dominant à l’échelle planétaire. Car il est vrai que cet ensemble protéiforme des Gilets jaunes relève d’un corps désirant, un corps trop longtemps déformé par la loupe des médias, un corps dont des membres oubliés s’agitent dans les recoins de la France mondialisée, cette France trahie une nouvelle fois par ses élites de la haute fonction publique et des entreprises transnationales. Et ce corps ventriloque commence à réapprendre à parler, à vraiment parler : loin des éléments de langage recyclés en permanence au sommet de l’État. Les Gilets jaunes réveillent le corps social. Ça chatouille, ça fait mal… mais ça fait du bien. Car c’est un processus d’élimination : le corps veut guérir, mais sans médoc, sans vaccin, sans OGM, sans glyphosate, sans élus ripoux, sans prébendes publiques dans les diverses autorités de régulation, sans mensonge, sans fake news d’État.

Calendrier inexorable, cadence hypnotique, emballement mimétique, répétition magique, dévoilement progressif… Les Gilets jaunes ont déjà marqué l’histoire mondiale. Vont ils maintenant réinventer la démocratie  ?

(1) https://www.journaldeleconomie.fr/Gilets-jaunes-acte-IX_a6816.html