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Mobilisation samedi 13 avril contre la loi « anticasseurs »

par jean 1

Publie le vendredi 12 avril 2019 par jean 1 - Open-Publishing
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Alors que la loi «  anticasseurs  » est sur le point d’être définitivement adoptée par le parlement, quelques réflexions sur la mesure consistant à interdire aux manifestant·e·s la dissimulation de leur visage.

  • Mobilisation samedi 13 avril contre la loi «  anticasseurs  »

    Une cinquantaine d’organisations appellent à se mobiliser samedi 13 avril pour la liberté de manifester. À Paris une manifestation partira à 14h de République, les différents appels sont à retrouver sur Démosphère

Edit 09/04/2019 : la loi a depuis été adoptée, seul l’article concernant les interdictions individuelles de manifester a été censuré par le Conseil constitutionnel

Si de nombreuses organisations s’alarment des mesures – il est vrai particulièrement scandaleuses – de la loi dite «  anticasseurs  » visant à interdire de manifestation certaines personnes, l’interdiction de se dissimuler le visage semble beaucoup moins faire l’unanimité contre elle. Pourtant, il s’agit là aussi d’une grave atteinte aux libertés fondamentales, qui aura des conséquences directes sur les différentes luttes et contestations en cours et à venir.

Mais revenons tout d’abord sur l’article en question :

Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime.  » [1]

La formulation «  risquent d’être commis  » laisse donc une très grande liberté d’interprétation (notion déjà très floue, à partir de quel moment peut-on établir qu’il y a réellement un risque ou non de troubles à l’ordre public  ?) et devrait pouvoir s’appliquer à peu près à n’importe quelle manif… L’expression «  sans motif légitime  » est également très importante, cela laisse entendre que venir avec le visage dissimulé en manif fait de vous à priori un·e individu auteur d’un délit. Si la police vous arrête alors que vous êtes masqué·e ce sera à vous de prouver devant un tribunal que vous aviez un motif «  légitime  » pour vous masquer, même si vous n’aviez pas l’intention de participer à des troubles. En résumé, ce sera à vous de prouver que vous n’aviez pas l’intention de commettre un délit à priori considéré comme déjà commis  ! Minority report  ? Non, juste le droit français, très prochainement…

Cette mesure repose donc en réalité sur l’idée – largement répandue et répétée en boucle dans les médias – que venir en manif avec le visage dissimulé implique nécessairement, ou en tout cas dans la majorité des cas, de le faire en vue de commettre des «  troubles à l’ordre public  ». On avait déjà vu depuis quelques années les condamnations de manifestant·e·s se multiplier pour «  groupement en vue de commettre des violences  » simplement parce que ces dernier·e·s portaient sur elleux du matériel de protection contre les gaz lacrymogènes (sérum physiologique, lunettes de piscines…), assimilés par les tribunaux à «  l’attirail du casseur  »  ; désormais un simple foulard sur le nez risque de faire de vous un·e dangereux·ses black bloc ultra-violent d’ultragauche, bref le pire cauchemar des vitrines et de leurs familles…
S’il est évident que certaines personnes se masquent afin de pouvoir attaquer les symboles de l’État et du capitalisme tout en limitant le risque pour elles d’être identifiées et interpellées, il existe aussi pourtant une multitude d’autres raisons pour lesquelles on peut avoir envie ou besoin de se masquer en manif.

Du carnaval aux zapatistes : une forme d’expression

Il existe de nombreux exemples historiques où le fait de se masquer est attribué à une forme d’expression contestataire. On pense notamment à la tradition carnavalesque, où le temps de quelques jours avec l’aide de déguisements les rôles sociaux se retrouvent bouleversés, voire inversés : les hommes se déguisent en femmes, les pauvres en riches et vice-versa. Si le carnaval par sa durée limitée ne propose pas en soi de véritables perspectives révolutionnaires, cette tradition a inspiré et inspire toujours de nombreuses luttes sociales. On se souviendra ainsi pendant longtemps de certaines manifestations à caractère carnavalesque contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes [2] tandis que de plus en plus de carnavals indépendants comme à Marseille, Montpellier ou encore Forcalquier tentent d’articuler festivités et intervention politique.

Des salamandres dans les rues de Nantes

Au-delà du carnaval, le masque est un symbole de rébellion important inscrit dans la culture populaire : Zorro, V pour Vendetta, Fantômas... S’attaquer à la dissimulation du visage, c’est vouloir interdire toute contestation de l’ordre établi, c’est un symptôme du durcissement autoritaire du pouvoir qui s’illustre également de façon spectaculaire avec la multiplication des violences policières et la répression des mouvements sociaux.
Que dire aussi de toutes ces personnes qui viennent en manif avec un masque à l’effigie de personnalités politiques pour se moquer  ? Des fanfares et batucada déguisées  ? Des pink-blocs et witch-blocs dans lesquels beaucoup de personnes se dissimulent au moins une partie du visage  ? Bref toutes ces initiatives qui rendent nos luttes joyeuses et festives  !

Enfin, la dissimulation du visage peut aussi paradoxalement être un moyen pour les opprimé·e·s de se rendre visible. Si les Gilets jaunes ont opté pour ce vêtement qui passe difficilement inaperçu, d’autres 25 ans auparavant ont fait le choix de se cacher derrière des passe-montagnes afin de faire connaître au monde leur rébellion : les zapatistes du Chiapas. Depuis le 1er janvier 1994, dans ces territoires très pauvres situés au sud-est du Mexique, les insurgé·e·s choisissent de porter une cagoule lors de leurs apparitions publiques. Outre la nécessité de préserver leur anonymat face à la répression de l’état mexicain, ne pas montrer leur visage de manière collective est une façon de renverser symboliquement leur position d’«  invisibles  » aux yeux du pays et du reste du monde.
Ces hommes et ces femmes construisent ainsi patiemment depuis 25 ans ce qui demeure une des expériences les plus poussées d’autonomie avec un système d’autogouvernement basé sur des assemblées locales.
Sera-t-il désormais impossible dans les rassemblements de soutien organisés ici en France, ou dans n’importe quelle autre lutte, de porter un passe-montagne en hommage aux rebelles zapatistes  ?

Rebelles zapatistes à cheval

Interdire les masques ou même la dissimulation du visage par une cagoule relève donc d’une restriction importante de la liberté d’expression en manif, dans la mesure où cette dissimulation peut constituer une forme d’expression particulière, que ce soit dans la lignée d’illustres traditions contestataires ou en référence à des combats plus récents. Mais peut-être plus grave encore, cette interdiction risque aussi tout simplement d’empêcher certaines personnes de participer à des manifestations.

Préserver son anonymat en manif peut être une nécessité

À l’heure des chaînes d’infos en continu, des smartphones et des live vidéo sur Facebook, on peut aisément admettre que quelqu’un qui participe à une manifestation est susceptible d’y être vu par à peu près n’importe qui autour de la planète. Alors, imaginons une personne originaire d’un pays régi par une dictature, qui vit en France, mais qui a encore de la famille dans ce pays. Imaginons qu’une révolte éclate dans ce pays, que des rassemblements de soutien s’organisent en France : en y allant masquée cette personne peut afficher son soutien à la révolte tout en préservant sa famille d’éventuelles représailles ou risquer de se faire arrêter si elle souhaite un jour retourner leur rendre visite.
Sans aller jusqu’à une situation aussi grave, de nombreuses personnes n’ont aucune envie que leur employeur ou des membres de leur famille ne soient au courant qu’elles participent à telle ou telle mobilisation. Si dissimuler son visage en manif devient interdit, toutes ces personnes risquent tout simplement de ne plus participer à des manifestations… Souvenons-nous des manifs de travailleur-ses du sexe avec des dizaines de femmes masquées  !
Plus qu’une atteinte particulière à la liberté d’expression en manif, cette interdiction est donc aussi tout simplement une atteinte directe au droit de manifester.

Manifestation de travailleuses du sexe à Belleville

S’organiser pour limiter l’application de cette loi

Sauf un improbable renversement de la situation, cette loi risque très fortement d’être adoptée puis rapidement appliquée. Pour toutes les luttes actuelles et à venir, il convient donc de nous organiser afin de préserver au mieux notre liberté de nous exprimer et de manifester. Sans tomber dans le citoyennisme béat, les quelques libertés conquises dans le cadre des «  démocraties  » bourgeoises sont précieuses pour faire grandir nos luttes, diffuser nos idéaux de liberté et de justice sociale, construire ensemble un autre monde (un anti-monde  ?) guidé par les principes d’autonomie et de pouvoir à la base. Cela a déjà été dit, le fond de l’air est brun et le fascisme n’est jamais loin. Extrême droite au pouvoir ou pas, le virage autoritaire semble quasi général à l’échelle mondiale. Cette loi n’en est qu’une des manifestations locales à l’échelle de notre pays, il convient donc de la combattre de toutes nos forces, y compris lorsqu’elle sera votée et appliquée.
En ce qui concerne la mesure particulière interdisant la dissimulation du visage, on peut déjà imaginer quelques stratagèmes pour rendre son application difficile : appeler tout le monde à venir masqué en manif (et le faire  !), multiplier les manifs-carnavals et les rassemblements sous forme de bals masqués, que la dissimulation du visage devienne la norme du moindre événement public, que chaque lutte s’invente une thématique de déguisement où il est indispensable de se masquer  !
Mais avant d’en arriver là, une prise de conscience massive — y compris de la part des principales organisations syndicales — de la gravité de cette mesure est absolument nécessaire : uni·e·s et solidaires face aux lois liberticides, nous sommes tou·te·s des casseurs·ses masqué·e·s  !

C.B.

Notes

[2Il y a bien sûr eut le 22 février 2014, mais aussi d’autres comme à Rennes le 6 février 2016  !

https://paris-luttes.info/il-n-y-a-pas-que-pour-casser-qu-on-11784

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