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mort de Steve : prolongement de la répression et des affaires d’Etat

par Olivier LONG et Pascal Maillard

Publie le samedi 3 août 2019 par Olivier LONG et Pascal Maillard - Open-Publishing
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Deux textes qui en disent long sur l’état de la France et de la violence d’Etat

https://lundi.am/Dans-les-couloirs-du-temps-avec-le-chevalier-d-Harcourt-prefet-de-Nantes


Dans les couloirs du temps avec le chevalier d’Harcourt, préfet de Nantes

Par Olivier LONG

paru dans lundimatin#202, le 2 août 2019

Suite à la mort de Steve Maia Caniço, les journaux s’émeuvent naïvement de la morgue et de l’indifférence du préfet de Loire-Atlantique : Claude d’Harcourt. « Une forme d’indifférence qui confine au mépris » lance Libération.. C’est ignorer qui est réellement le personnage.

Claude d’Harcourt est l’héritier d’une longue lignée des plus anciennes familles de la noblesse française. La maison d’Harcourt débarque aujourd’hui tout droit de l’Ancien Régime avec ses titres, charges, châteaux et baronnies pour occuper l’actualité estivale. Elle est depuis toujours composée de seigneurs, comtes, ducs, marquis, maréchaux, ambassadeurs, prêtres et prélats, généraux de corps d’armée-lieutenant-de-France-émérite-de-l’ordre-du-Saint-Sépulcre-de Jérusalem ; et voilà que tout ce folklore fait retour. La plus vieille dynastie de l’histoire de France vient naturellement réoccuper la place qui fut toujours la sienne au cœur du royaume de France, mais aujourd’hui c’est à l’occasion de la plus grande affaire d’État que le pays ait connu depuis l’assassinat de Malik Oussekine par les voltigeurs de Charles Pasqua. Ce qui nous permet de revivre ici un énième épisode de la saga des Visiteurs.

Suivons le fil de cette incroyable épopée chevaleresque, en marche et surtout à reculons dans Les couloirs du temps.

Bien avant la guerre de Cent ans, dans la maison d’Harcourt on se nomme Torf, Turquetil, Anquetil, Errand, Octavius, Odet, plutôt que « Jojo le Gilet Jaune ». Le nom d’Harcourt est à tel point synonyme de pouvoir que Michel Houellebecq fait d’un certain Aymeric d’Harcourt l’archétype d’une souveraineté multiséculaire et brutale dans son dernier roman : Sérotonine. Aymeric d’Harcourt est l’ami intime du personnage principal de ce livre, Houellebecq en brosse le portrait :

« [Aymeric d’Harcourt] avait sorti un portrait d’ancêtre, appuyé contre un fauteuil, c’était un type trapu, au visage carré et parfaitement glabre, l’œil mauvais et attentif, sanglé dans une armure métallique. Dans une main il tenait un glaive énorme, qui lui arrivait jusqu’à la poitrine, dans l’autre une hache ; dans l’ensemble il dégageait une impression de puissance physique et de brutalité extraordinaire. Robert d’Harcourt dit le Fort commenta-t-il. La sixième génération de Harcourt, bien après Guillaume le Conquérant, donc. Il a accompagné Richard Cœur de Lion à la troisième croisade. » Je me suis dit que c’était bien, quand même d’avoir des racines » [1].

C’est des racines de cette archaïque brutalité et du type de croisade qu’elle mène actuellement qu’il sera question dans les lignes qui suivent.

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https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/020819/les-trois-cadavres-de-la-macronie

Les trois cadavres de la Macronie

2 août 2019 Par Pascal Maillard

Ce 30 juillet 2019 restera dans l’histoire de notre pays comme un jour qui aura révélé l’essence du macronisme : un pouvoir mortifère. Au sens propre de ce mot : qui cause la mort d’individus. Mais aussi en bien d’autres sens.

L’indignation et la colère citoyennes ont atteint leur acmé au cœur d’un second été calamiteux pour le président, son gouvernement et sa majorité. C’est-à-dire pour tout le pays, son image et ce qui lui reste de vie démocratique. Après avoir évité de justesse que De Rugy, après l’été Benalla, ne devienne le second feuilleton des incuries d’un pouvoir hors de contrôle dont les membres abusent des libertés et des avantages que leur procurent leurs fonctions, le voilà pris au piège d’une affaire infiniment plus grave : la mort dans la nuit du 21 au 22 juin d’un jeune homme de 24 ans qui participait à la Fête de la musique, Steve Maia Caniço, dont tout laisse à penser qu’il a été la victime d’un usage disproportionné et dangereux de la force publique.

L’indignation et la colère procèdent d’abord d’une émotion vraie, celle que traduit par exemple la vidéo d’un portrait de Steve, vue plus de 300 000 fois en quelques heures sur le compte twitter de Loopsider : une vie pleine de promesses a été enlevée par la responsabilité de l’État. Elles procèdent ensuite des fautes politiques d’un Premier ministre qui, ce 30 juillet, à l’occasion d’une conférence de presse ubuesque, a couvert et réduit au silence son propre ministre de l’Intérieur et a dévoilé et validé les conclusions d’un rapport mensonger et lacunaire de l’IGPN, quelques heures à peine après l’identification du corps de Steve. Ce qui constitue, de la part du chef du gouvernement, un manque de respect et une violence symbolique à l’endroit de la famille, des proches et des soutiens de la victime. L’indignation et la colère citoyennes procèdent enfin de la contradiction criante, devenue insupportable, entre une accumulation jamais vue de violences policières et le déni qui est systématiquement apporté par les autorités administratives et politiques à cette terrible vérité. Si pour certains, la mort de Steve est à juste titre une affaire d’État, c’est aussi, en définitive, toute la chaine administrative et politique de la répression policière et judiciaire des Gilets jaunes qui constitue une affaire d’État.

Les chiffres sont en effet accablants, effrayants. Ils sont connus, mais il faut les répéter. Du côté des armes employées, entre le 17 novembre 2018 et fin mai 2019 : 19 000 tirs de LBD 40, 5400 tirs de grenades de désencerclement (GMD), 1400 tirs de grenades GLI-F4. Des armes dites sublétales, mais dont on sait qu’elles peuvent être mortelles et dont il faut obtenir l’interdiction (voir ICI). Du côté des victimes, selon le recensement de David Dufresne : deux morts, 24 éborgnés, 5 mains arrachées, 315 blessures à la têtes. Fin mai, 2500 gilets jaunes avaient été blessés à des degrés divers et 560 signalements avaient été déposés à l’IGPN (chiffres du ministère de l’Intérieur). Une IGPN qui couvre dans ses rapports toutes les violences de la police, y compris les plus graves. A ce jour aucun policier n’a été suspendu, de l’aveu même de la directrice de l’IGPN. A ces chiffres jamais atteints en France dans des actions dites de « maintien de l’ordre », il faut ajouter ceux de la répression judiciaire, même si le ministère de la Justice ne communique que des données partielles et datées : du 17 novembre 2018 à fin mars 2019, 2000 condamnations de Gilets jaunes avaient été prononcées, dont 40% avec de la prison ferme (voir l’article de Jérôme Hourdeaux). 800 condamnations à de la prison ferme en 4 mois seulement : une projection vraisemblable permet d’estimer que 1500 condamnations à de la prison ferme pourraient être prononcées d’ici la fin de l’année. Il convient enfin de rappeler le caractère massif des arrestations préventives avant chaque manifestation - qui ont constitué des violations évidentes à la liberté de manifester - et toutes les condamnations pour délits d’intention, la justice de Belloubet-Macron étant devenue largement prédictive : des Gilets jaunes ont été arrêtés et parfois condamnés pour un acte qu’ils auraient pu commettre.

Mais derrière ces morts, derrière tous ces mutilés et estropiés dont la vie a été brisée, derrière tous les gilets jaunes emprisonnés, derrière toutes les victimes de la violence d’un état autoritaire et liberticide, que ce soit dans les banlieues, dans des manifestations et désormais lors de fêtes, il y a encore trois autres victimes, celles que je nomme présentement « les trois cadavres de la Macronie » : la vérité, la justice et la politique.

La vérité est le premier cadavre de la Macronie. Car la Macronie - et son idéologie gazeuse : le macronisme -, c’est l’empire du mensonge, constitutivement, de ses fondations à ses ultimes exactions. Imposture de la promesse de renouvellement de la politique, discours de télévangéliste, faux libéralisme masquant des dérives autoritaires, illusionnisme du « en même temps » comme art du dépassement des contradictions (bravo pour Pétain, « en même temps » un grand soldat…), contre-vérités quotidiennes amplifiées par des médias devenus les relais serviles des mensonges d’État. Bref, un pouvoir qui a institué les fake news en coup d’état permanent. Or la Macronie, après dix lois de régressions sociales, après 9 mois de révolte citoyenne, après ses scandales et démissions en cascade, apparaît désormais pour ce qu’elle est : une puissance du faux, une scène où de très mauvais acteurs répèteraient une pièce de Brecht ou de Ionesco. Ubu Roi à l’Elysée, Benalla en liberté et De Rugy qui rugit de colère de ne pouvoir revenir dans son ministère. Cette puissance du faux excelle dans la communication qui se substitue, en tous domaines et toutes circonstances, au devoir d’information. Car, un gouvernement, faut-il le rappeler, a le devoir d’informer ses citoyens. Au lieu d’exercer ce devoir de vérité, « le gouvernement ment », selon une belle et forte paronomase inventée par un tagueur anonyme. Elle dit la coalescence du mensonge à ce gouvernement : le mensonge est en lui comme le mot est contenu dans l’autre mot.

Cette marque de fabrique du macronisme, le mensonge, s’est illustrée exemplairement, pendant tout le mouvement des Gilets jaunes, par un déni ravageur : « Il n’y a pas de violence policière », a asséné Castaner. La directrice de l’IGPN, le 13 juin 2019, n’a pas dit autre chose : « Je réfute totalement le terme de violences policières ». Or, les analyses d’un simple citoyen ou d’un journaliste contiennent aujourd’hui plus de vérité que l’expertise d’un service d’inspection de l’Etat, alors même que ce dernier est supposé disposer de moyens d’investigation et de sources infiniment plus précises et plus nombreuses. Ainsi, par exemple, les documents rassemblés par le journaliste Ismaël Halissat (voir ICI) permettent d’établir, dans l’affaire de Steve, contrairement aux allégations du rapport de l’IGPN et des autorités, que les policiers ont bien procédé à une charge « préparée », laquelle a durée 20 minutes. En Macronie les hommes politiques et des administrations de l’État bâtissent leur pouvoir sur le cadavre de la vérité. Mais ce n’est pas tout.

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