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Sous le voile, une femme !

par Chantal Mirail

Publie le jeudi 17 octobre 2019 par Chantal Mirail - Open-Publishing
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Entretien exclusif avec Fatima E. : « Je ne voulais pas craquer devant les enfants »
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De CCIF Articles mardi 15 octobre 2019

Depuis l’agression verbale qu’elle a subie devant son fils le vendredi 11 octobre au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, madame Fatima E. ne répond plus trop au téléphone, et souhaite préserver son anonymat tout en prenant du recul quant à cette affaire. Elle ne peut s’empêcher pourtant de constater que son image circule partout, et que celle-ci est devenue un symbole : la part visible d’une douleur souvent enfouie et étouffée, mais aussi l’image troublante d’une parole confisquée. Du sourire à la détermination, en passant par la douleur et l’inquiétude, Fatima nous rappelle une seule chose : que l’enjeu majeur, au-delà des considérations politiques autour du foulard, est de préserver l’amour et la confiance chez les enfants. Rencontre.
Nous avons lu et entendu plusieurs versions des faits qui se sont déroulés. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu cette agression ?

D’abord, il faut savoir qu’au départ, il n’était pas prévu que je participe à cette sortie. Parce que je suis en plein déménagement, et que j’ai une petite de quatre ans. Ça demandait que je m’organise, que je fasse garder ma fille, et que je tienne compte du trajet entre Dijon et Belfort. Mon fils a insisté pour que je vienne, et m’a dit que tous ses copains attendaient ma venue, car il est vrai que je participe régulièrement aux sorties scolaires. D’ailleurs la veille, la maîtresse m’a laissé un mot dans le carnet pour me demander d’y participer, car aucune autre maman n’était disponible. À la dernière minute, je change d’avis, et je décide d’y aller.

Le matin on a fait une visite au musée, et ensuite on est arrivés au conseil régional, où il était prévu qu’on y reste une dizaine de minutes, pour regarder comment ça se passe. On était dans un coin ; je pensais même que personne ne pouvait nous voir. Et là j’entends quelqu’un dire « Au nom de la laïcité », puis j’entends des personnes qui commencent à crier, s’énerver. Franchement, j’étais là sans être là. La seule chose que j’ai vue, c’était la détresse des enfants. Ils étaient vraiment choqués et traumatisés. Et on le voit bien dans la vidéo : ils n’arrêtent pas de bouger et de se retourner vers moi. Ils me disaient : « Mais c’est contre toi ! C’est à toi qu’ils disent d’enlever ton voile ?! ».

Et puis moi, je souriais. Ce n’était pas pour narguer, comme j’ai pu entendre certains le dire. Je souriais d’abord à sa bêtise. Et il ne fallait pas que je cède : si moi je panique, les enfants auraient été encore plus traumatisés. Donc j’ai essayé de les rassurer, en leur disant que les élus n’étaient pas d’accord. Il y a des choses qui ont été dites et que je n’ai entendues que dans la vidéo, car sur le moment, je vous le dis : j’étais là sans être là, j’étais concentrée sur les enfants.

J’avais les larmes qui commençaient à monter. À ce moment j’ai regardé Nisrine Zaibi, et c’est là qu’elle m’a dit : « Reste, on est tous avec toi. Tu es à ta place ». Beaucoup d’autres conseillers m’ont également souri, m’ont rassurée et m’ont demandé de ne surtout pas sortir, pour ne pas donner raison à Julien Odoul. Pendant ce moment où on m’encourage à rester, mon fils s’approche de moi et me saute dessus en pleurant. Et là aussi, je lui souris. Mais quand j’ai vu mon fils en train de craquer, je leur ai dit que je ne pourrai plus rester. J’avais aussi besoin de me retrouver toute seule. Je tremblais de la tête aux pieds et je me sentais en train de tomber. Je ne voulais pas craquer devant les enfants, donc je suis sortie.

Je prends les escaliers, je descends et je tombe face à Karine Champy [ndlr. élue qui était auparavant au FN]. Et là elle commence à m’attaquer : « Vous êtes contente ?! Vous avez réussi votre coup ? » Et elle commence à monter les escaliers en criant. Je lui dis que si elle veut parler, qu’elle me parle convenablement. Là elle redescend, très énervée, et s’approche de moi : « Vous allez voir, on va gagner. Les Russes vont arriver ! ». Je vous avoue que je n’ai pas du tout compris pourquoi elle m’a dit ça… Elle gesticulait beaucoup, et était à la limite de me bousculer. En y réfléchissant, je suis sûre qu’elle voulait me provoquer physiquement pour que je réagisse. J’ai gardé mon calme et je n’ai pas répondu à sa provocation. Ça ne l’a pas empêchée de continuer : « Tu veux que je te pousse, c’est ça ? Tu veux que je te pousse ?! ». Je vous assure, elle avait un regard… Quand je ferme les yeux, je le vois. Cette image, elle me hante. Jacqueline Ferrari, qui est également une élue, a assisté à la scène et a demandé à Karine Champy de se calmer. Il y avait aussi un vigile qui est intervenu, et qui m’a rassurée.
Et maintenant, comment vous allez ?

Comment je vais… Fatiguée, j’ai peur de tout. Parfois le visage de cette dame me revient, j’ai des frissons et je tremble. Sincèrement, ils ont détruit ma vie… Moi je suis une adulte, je peux encore encaisser tout ça. Devant mes enfants, je fais comme si tout allait bien. Je suis obligée de rire avec mon fils de cette histoire. On regarde la photo, et je le taquine en lui disant qu’il est devenu une star. Je veux qu’il passe à autre chose. Mais moi, la première nuit, je me suis réveillée une dizaine de fois, avec une boule au ventre. J’étais en train de réaliser ce qui s’était passé. Je reprenais conscience, en fait.
Votre fils, comment a-t-il vécu ce qui s’est passé ?

Une psychologue du CCIF est en train de le suivre. Elle lui a déjà parlé. La première nuit, il a fait des cauchemars. Ce qu’il m’a dit, quand il a pleuré, c’est qu’il avait l’impression que tout le monde était contre moi. Il va mieux, mais lui aussi, par moments, il est là sans être là. Il fixe un point, et c’est comme si son esprit partait. Depuis vendredi, il le fait souvent… Ses nuits aussi sont très agitées. Il se réveille souvent.
Quelle est la suite de cette affaire ?

Même si par moments je me dis « stop, j’ai juste envie de reprendre ma vie tranquille et de souffler », j’ai quand même l’intention de ne pas laisser faire. Mais je vous avoue que je comprends maintenant pourquoi les autres mamans voilées ne participent pas aux sorties scolaires. À un moment, quand j’ai entendu tout le monde réagir, je me suis dis : « Qu’est-ce que tu fais là ? Excuse-toi et sors ». J’ai senti un rejet que je n’avais pas senti avant. Et cela va avoir des conséquences.
Avec le recul, comment interprétez-vous ce qui s’est passé ?

Aujourd’hui, j’ai une opinion négative de ce qu’on appelle la République. Et je trouve que le ministre de l’Éducation a dit quelque chose de honteux, lorsqu’il a parlé du voile. J’ai parlé avec la maman d’un autre enfant qui participait à cette sortie scolaire, et elle m’a parlé de son fils en disant que depuis ce weekend, il a la rage et la haine. Je lui ai répondu que c’est exactement ce que veut l’élu du RN. Il vient de détruire tout un travail que je faisais indirectement auprès de cette classe, dont les élèves d’origine immigrée étaient parfois dans une attitude de penser que la France était contre eux et qu’ils sont rejetés. Et moi j’ai toujours argumenté contre ce discours. J’essayais tout le temps de les rassurer. Quand on est sortis du conseil régional, ils sont venus vers moi pour me dire : « Tu vois, on te l’avait dit ! Ils ne nous aiment pas ! ». Et là, je ne pouvais même plus parler. Les enfants sont venus là pour apprendre : qu’ont-ils appris ?
CCIF

Messages

  • "Plaidoyer, pour un voile" , les bobos de la macronie, en plein délire

    90 personnalités ("bobos friqués") appellent Macron à dire « stop à la haine contre les musulmans de France »

    https://www.nouvelobs.com/culture/20191015.OBS19818/90-personnalites-appellent-macron-a-dire-stop-a-la-haine-contre-les-musulmans-de-france.html

    « Monsieur le président, dites stop à la haine contre les musulmans de France. » Dans une tribune parue dans « le Monde » daté du 16 octobre, 90 personnalités interpellent Emmanuel Macron. Elles lui demandent de condamner l’agression dont a été victime une mère de famille voilée, en pleine enceinte du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

    Parmi les signataires, figurent les acteurs Omar Sy, Marina Foïs, Mathieu Kassovitz et Géraldine Nakache, l’animatrice Alessandra Sublet, la réalisatrice Tonie Marshall, les artistes DJ Snake, Nekfeu, Hakim et Mustapha Amokrane (du groupe Zebda), la championne de boxe Aya Cissoko, l’ancien footballeur Vikash Dhorasoo, l’universitaire Pascal Boniface, les sociologues Eric Fassin, Zahra Ali et Sylvie Tissot, la journaliste et réalisatrice Rokhaya Diallo, l’humoriste Guillaume Meurice, ou encore la députée La France insoumise Danièle Obono…

    • Comparaison : « Badgeophobie ou syndicalistophobie  »

      Il y a plusieurs années un Directeur interpelle des syndiqués rentrant de manifestation dans les bâtiments du service : « Vos badges syndicaux, vous les enlevez ! » --- Il n’a pas dit « les badges CFDT passent mais pas ceux de la CGT » ; il n’a pas attaqué non plus les personnes - nommément ou pas -, mais simplement un élément porté qui faisait "signe ostensible" (d’appartenance syndicale). Tout le monde a compris . Qu’il ait interpelé à tort (plutôt) ou à raison c’est autre chose.

  • Désolé mais le port du voile par cette accompagnatrice scolaire à ce moment là, pose problème. Même si aucune loi ne l’interdit formellement, il y a doute quant à son droit. En effet le code de l’Education Publique, stipule que les enseignants et le personnel scolaire doivent respecter une neutralité religieuse (la laïcité) pendant l’exercice de leur fonction. Or, cette accompagnatrice, même si elle ne fait pas partie de ce personnel en ce qu’elle n’est pas liée par un contrat, en fait partie quand même en ce qu’elle remplit une fonction scolaire d’accompagnatrice pendant la durée de cette mission. Et ce d’autant plus qu’en cas de problème, elle est sous la responsabilité de l’établissement d’enseignement et donc le rectorat ne pourra pas lui reprocher un accident ou incident dont elle serait responsable (sauf fait volontaire) et lui devra protection au cas ou elle serait blessée s’il est responsable.
    Ce qu’il faut noter :
     c’est que le RN s’est encore une fois illustré en se cachant derrière la laïcité (qu’il dessert donc, plutôt qu’il ne sert) pour masquer son racisme (nb : il n’y a pas de loi qui interdise de porter des signes religieux dans l’enceinte d’un Conseil Régional sauf si ces signes masquent le visage) ;
     c’est que la manipulation mensongère des islamistes est grossière et illustre bien le combat anti-laïc et identitaire qu’ils mènent depuis longtemps ;
     que la gauche stupide et politiquement mal éduquée est au rendez-vous comme idiote utile d’un communautarisme à l’offensive permanente.

  • "Aujourd’hui, j’ai une opinion négative de ce qu’on appelle la République ...".
    Carrément ?! Parce qu’un idiot du RN fait son raciste sous couvert de défense la laïcité, c’est toute la République (et donc le principe de laïcité) qui prend un coup !? Du grand n’importe quoi.
    Ras-le-bol de ce communautarisme identitaro-religieux qui joue sur tous les registres pour mettre à bas le principe de la laïcité ; y compris la sur-victimisation, quand ce n’est pas le djihad judiciaire systématique.
    Quand la gauche progressiste, démocratique et donc laïque par nécessité, va-t-elle se réveiller et dénoncer cette (fausse) gauche d’idiots utiles ?
    Nous avons d’autres armes pour combattre le RN, plus efficaces et plus justes, ne soutenons pas un camp (les islamistes du CCIF) qui semble être son ennemi mais qui est aussi le nôtre de par le projet de société qu’il défend (communautarisme et conservatisme).