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Engie bientôt démembré ? L’ombre d’un plan Hercule pour le géant de l’énergie

par Christian Jean

Publie le mardi 7 janvier 2020 par Christian Jean - Open-Publishing

Rien de va plus au sommet du géant de l’électricité Engie. La direction bicéphale est en guerre et cela s’étale dans la presse financière. Isabelle Kocher, la directrice générale et première femme à occuper de telles responsabilités au sein d’un grand groupe français, serait poussée vers la sortie par le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu. Les deux dirigeants ont pris la parole ces derniers jours afin de démentir les rumeurs d’un conflit. Pourtant, derrière cette guerre discrète, se cache des divergences stratégiques de taille. D’un côté Isabelle Kocher entend poursuivre le fort mouvement enclenché en faveur des énergies propres et de l’autre, Jean-Pierre Clamadieu se préparerait à une vente à la découpe pour faire bondir le cours de Bourse. Le nouveau monde contre l’ancien monde.

Jean-Pierre Clamadieu comme relais de l’Elysée ?

Diriger un groupe aussi important qu’Engie est une tâche ardue. Elle le devient plus encore dès lors que deux capitaines d’industrie doivent s’entendre dans un exécutif bicéphale. A peine plus d’une année après l’arrivée à la présidence de Jean-Pierre Clamadieu, ce dernier réclame la tête de la directrice générale, Isabelle Kocher. Les indices sont trop nombreux pour que le doute plane encore sur la situation tendue qui règne à la direction d’Engie. Le très bien informé Wansquare se montre direct puisqu’il qualifie Jean-Pierre Clamadieu de « pompier pyromane ». Le site révèle que ses proches et lui sont à l’origine des rumeurs relatives au possible départ d’Isabelle Kocher.

Les manœuvres les plus singulières sont mises en œuvre dans une guerre qui n’a officiellement aucun fondement selon les deux protagonistes. Personne ne veut être perçu comme celui qui aura tiré le premier, alors la météo officielle de la direction est au beau fixe. Cette légende trompe de moins en moins de monde, et il apparaît peu à peu que Jean-Pierre Clamadieu est à l’origine de la tempête. Le président nommé en mai 2018 grâce au soutien actif d’Emmanuel Macron aurait des ambitions personnelles, plus grandes encore, et se verrait bien récupérer en plus le poste de directeur général. Sa proximité avec Macron lui donne tous les espoirs. Il serait alors seul à la tête de l’entreprise et sans réel contrepoids grâce à un Conseil d’administration acquis à sa cause. Un alignement bien utile dû au puissant soutien de l’Elysée.

L’ambition est un trait commun aux dirigeants de cette envergure, mais derrière ce combat entre fortes personnalités, transparait deux visions irréconciliables de l’évolution d’Engie. L’inauguration de l’ère Kocher a été l’élément déclencheur d’une remise en question complète de la stratégie d’Engie. L’entreprise de plus de 150 000 salariés et au chiffre d’affaires de 60,6 milliards d’euros (2018) a entamé une révolution interne s’imposant comme un leader des énergies renouvelables et en se séparant de ses activités les plus polluantes. Le changement est réel et dépasse les discours traditionnels, de type greenwashing, destinés à des consommateurs plus vigilants.

Cette stratégie s’avère payante. Il est alors difficile pour le président d’Engie de tenir un discours différent depuis son arrivée en 2018. C’est ainsi que Jean-Pierre Clamadieu répète à longueur d’interview que la stratégie suivie est la bonne. Il n’en demeure pas moins qu’il veut la place d’Isabelle Kocher afin de tirer Engie dans un sens radicalement différent. L’homme se présente devant les micros comme un industriel passionné, alors qu’il fait jouer la fibre financière une fois les portes closes. Le discours réservé aux initiés n’est pas pour déplaire au président Macron d’autant plus qu’avec un Etat actionnaire à hauteur de 23 % du capital d’Engie, de belles performances sur les marchés sont synonymes de rentrées fiscales en hausse.

Un président d’Engie et ses projets peu appréciés en interne

Jean-Pierre Clamadieu veut mettre le cours d’Engie sur orbite. Avec l’achat de 20 000 actions au prix de 13,25 euros l’unité, il espère bien faire fructifier son pactole. En ligne de mire, le cours de 30 euros par action comme en 2010. Jean-Pierre Clamadieu triplerait presque sa mise – soit près de 500 000 euros – en un claquement de doigts, mais pas sans problème pour l’entreprise et ses salariés.

Les envolées rapides et spectaculaires en Bourse ne s’obtiennent généralement que par des cessions d’actifs. Concrètement, Engie est exposé à un dépeçage en règle comme EDF a été menacée par le plan Hercule. L’objectif est toujours le même : vendre des actifs chers pour générer rapidement du cash et montrer la profitabilité de l’entreprise aux actionnaires. EDF a, pour le moment, échappé de peu à cette logique mortifère, mais la menace pèse lourdement sur Engie. Avec Jean-Pierre Clamadieu possiblement seul décisionnaire, l’avenir du groupe ne laisse pas vraiment place au doute. La course au profit (personnel) fera loi pour celui qui dont la rémunération en 2017 a été de 5,2 millions d’euros et de « seulement » 2,4 millions d’euros en 2018. La vente d’actions gonflées artificiellement permettra de combler une partie de la différence entre ces deux années.

A moins que les syndicats ne parviennent à stopper cette machine infernale. Début décembre, le syndicat CFE Energie a mis les pieds dans le plat en dénonçant le risque d’une « vente à la découpe » des activités gazières d’Engie « dans le seul but de doper le cours de Bourse de l’action ». La stratégie de Jean-Pierre Clamadieu est cousue de fil blanc et ne peut qu’inquiéter les salariés et leurs représentants. La Fédération Chimie Energie CFDT explique que « Les rumeurs sur le départ de la directrice générale du groupe Engie Madame Isabelle Kocher amplifient les inquiétudes des salariés du groupe Engie ». C’est pourquoi le syndicat demande à être reçu par Emmanuel Macron.

L’ombre du président est omniprésente dès lors que Jean-Pierre Clamadieu entre en scène. En 2018, le coordinateur central de la CGT chez Engie regrettait que le choix de Clamadieu ait été imposé à l’ensemble du groupe : « bien entendu, des rumeurs insistantes circulaient depuis fin janvier sur Jean-Pierre Clamadieu et de son côté l’Etat ne faisait plus mystère de son choix (…) Le Conseil d’administration a simplement voté comme on lui demandait de le faire ». Un Conseil d’administration aux ordres de l’Etat avec des administrateurs de la trempe du financier franco-australien Ross McInnes dont la seule politique pourrait être résumée ainsi : « toujours plus de libéralisme, toujours moins d’Etat et d’emplois ».

Si Isabelle Kocher assure que « démanteler et vendre Engie par appartements » n’entre pas dans le champ des possibles, la mise sur la touche de la directrice générale changerait singulièrement la donne. Isabelle Kocher peut compter sur le soutien des salariés qui, comme le souligne le JDD, a bénéficié d’une standing ovation lors d’une convention il y a quelques jours. Les jeux ne sont pas encore faits, mais il serait temps de jouer cartes sur table et d’officialiser un avis de tempête inquiétant pour le groupe, ses salariés et l’industrie française dans son ensemble. Des milliers d’emplois sont dans la balance et l’Etat ferait bien de se montrer moins prompt à privilégier les profits rapides au détriment de l’appareil industriel et de l’avenir social.