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Oligarchie souterraine : mais qui sont les membres du club si fermé des « Canetons du Châtelet » ?

par MathF

Publie le mardi 21 janvier 2020 par MathF - Open-Publishing
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Ils font partie des grands ministères, ils sont bien placés au sein de hautes administrations, ils siègent au conseil d’administration de grandes entreprises françaises, voire les président. Ils ? Ce sont les Canetons du Châtelet, une confrérie, un réseau, un cercle dont les origines remontent au début des années 90, mais qui aujourd’hui menacent de livrer des grandes entreprises françaises en pâture à la finance mondialisée.

Paris, 1991. Martine Aubry, figure montante du Parti socialiste et fille du puissant président de la Commission européenne Jacques Delors, débarque à l’Hôtel du Châtelet dans le gouvernement d’Edith Cresson. Pour gérer le ministère du Travail, la quadra nomme Pierre Nore comme directeur de cabinet. Ce dernier s’entoure de jeunes trentenaires aux dents longues, vite surnommés les Canetons du Châtelet. Ils et elles ont aujourd’hui 60 ans environ. Et après avoir grassement profité des ors de la République, ces membres d’une certaine gauche-caviar bien bourgeoise ont très bien su utiliser le réseau constitué depuis pour aller pantoufler dans le privé. Mais pas seulement.

Certains portés disparus, d’autres superstars

Si plusieurs d’entre eux sont totalement inconnus du grand public comme Philippe Lamoureux, Claire Aubin ou encore Jacques Roux, certains noms ont fait la Une des quotidiens généralistes ou des magazines spécialisés finances, comme Muriel Pénicaud, actuelle ministre du Travail, Guillaume Pépy, ex-patron de la SNCF, le banquier d’affaires David Azéma, Jean-Pierre Clamadieu à la tête d’Engie ou encore Jean-Christophe Sciberras chez Axa. Des personnalités qui ont également des relais dans les hautes sphères de l’Etat, comme au sein des ministères des Finances et du Travail avec Jean-Marie Marx, Jean-Claude Perrel ou Pierre-Louis Bras. Sans compter les personnages comme Xavier Rincel, ex-Areva et actuel président de la Sodifif (Société franco-iranienne pour l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse). Le réseau des Canetons tourne à plein, dans de nombreux domaines, mais au bénéfice de quelques-uns uniquement. Elles sont loin les 35 heures, les nouveaux maîtres s’appellent libéralisme et dérégulation. Les ex-serviteurs de l’Etat ont décidé de se servir désormais.

Clamadieu, dernier grand bénéficiaire

Le dernier Caneton à avoir profité pleinement de cette organisation clanique : Jean-Pierre Clamadieu, nommé à la présidence du conseil d’administration du fournisseur d’énergie Engie, le 13 février 2018. A la surprise générale. Quelques jours auparavant, l’homme était encore le PDG du groupe belge Solvay – spécialisé dans la chimie et les produits composites– et faisait la promotion de sa stratégie dans un clip sur YouTube, comme le raconte Le Soir. Si son départ de Belgique et son retour à Paris étaient inéluctables, un élément extérieur a dicté le timing.

Jean-Pierre Clamadieu doit en effet sa nomination chez Engie au départ de Gérard Mestrallet, après 23 ans de bons et loyaux services. Les deux hommes sont complices depuis de nombreuses années. C’est même sur le conseil de Mestrallet que Clamadieu avait pris la direction de Bruxelles pour prendre les rênes de Solvay. Mestrallet est l’un des grands barons des milieux politico-industriels français. Dans ses jeunes années, il avait été l’un des conseillers techniques de Jacques Delors, le père de Martine Aubry. Plus récemment, il avait été nommé ambassadeur de l’apprentissage par François Rebsamen, alors ministre du Travail de François Hollande en 2015, puis avait été chargé d’une mission dans la cadre de la COP21 en 2016, par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. Autant dire que côté réseau, il y a des noms dans le carnet d’adresses.

Atteint par la limite d’âge à la tête d’Engie, Mestrallet cherchait un successeur à son poste de président, pour garder un œil sur l’actuelle directrice générale, Isabelle Kocher, qui a mis en place avec lui le grand programme de restructuration d’Engie, entreprise devenue fer de lance de la transition énergétique. Mestrallet a suggéré le parachutage de Clamadieu, les services d’Emmanuel Macron ont validé le choix. Affaire classée, la méritocratie interne attendra : privilégier le réseau et les connaissances avant tout, les renvois d’ascenseurs seront toujours bons à prendre.

L’exemple de Clamadieu est intéressant à plusieurs égards et illustre parfaitement le fonctionnement de ces réseaux parallèles, qui derrière le sacrement du socialisme version Aubry, versent désormais dans le libéralisme mondialisé. A côté de ses activités industrielles en Belgique, Clamadieu a toujours gardé un pied en France, endossant par exemple le costume de responsable de la commission développement durable du Medef (2007-2014). L’actuel président d’Engie siège également au conseil d’administration d’Axa et Airbus, tout en étant membre du Conseil international des associations de chimie (ICCA) et du comité exécutif du World Business Council For Sustainable Development (WBCSD). Il apparaît aussi au sein de plusieurs lobbies patronaux : le Cercle de l’industrie, l’Association française des entreprises privées (AFEP), la Table ronde des industriels européens (ERT) ou encore le Siècle, qui mêle personnalités des mondes politiques, économiques, médiatiques et culturels. Cerise sur le gâteau en termes de prestige et de notoriété : il a été nommé par l’Elysée à la tête du conseil d’administration de l’Opéra de Paris. Le nec plus ultra pour tisser de nouveaux liens avec le tout-Paris.

Un système qui s’autonourrit

Le parachutage de Jean-Pierre Clamadieu n’est pas un phénomène isolé. Autre place forte du réseau de Canetons : la SNCF. Les chemins de fer français sont restés très longtemps la chasse gardée de plusieurs d’entre eux, au premier titre desquels Guillaume Pépy, à qui l’on doit comme par hasard une bonne part du démantèlement de l’entreprise publique.

Entré dans l’entreprise en 1988, il en est devenu PDG de 2014 à 2019, alors régulièrement sous le feu des projecteurs. Dans les années 90, il avait lui aussi coopté un autre Caneton, un certain David Azéma. « Bras droit et frère de combat » selon Pépy, Azéma entre ainsi à la SNCF comme chargé de mission à la direction de la stratégie. Il gravit très vite les échelons jusqu’à devenir PDG d’Eurostar en 1998. Dans les années 2000, il passe chez Vinci, retourne à la SNCF, puis est nommé à l’Agence des participations de l’Etat. Il part ensuite dans le privé comme… banquier d’affaires : Bank of America, Merrill Lynch… et actuellement directeur France du fonds d’investissement new-yorkais Perella Weinberg Partners. Des fonds américains dont la spécialité est de s’intéresser de très près aux grandes entreprises européennes – comme Engie – susceptibles d’être démantelées. La finance n’est clairement pas l’ennemi de ces gens-là.

Elbaum, Danon, Gateau… la liste des Canetons est encore longue. Tous ont en commun ce même tremplin lors de leur passage au sein du cabinet ministériel de Martine Aubry. « Entre nous, il y a des liens incroyables qui perdurent », souligne l’un deux dans les colonnes de L’Opinion.

« Bande de potes », « Club fermé », « Groupe d’amis qui traverse la vie ensemble »… Les expressions varient selon Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales chez Axa et passé par le Solvay de Jean-Pierre Clamadieu comme DRH France. Véritable « petit commando » libéral, les Canetons des années 90 ont surtout su s’entraider, se placer au sein d’une large partie des grandes entreprises publiques. Bien installés aux hauts postes de direction, ils ont tous les leviers pour préparer de belles stratégies de dérégulations et livrer discrètement à des fonds spéculatifs les joyaux de la couronne industrielle française. Le risque n’est ni plus ni moins que celui d’une destruction du patrimoine industriel français, en plus d’une casse sociale sans précédent, au nom des intérêts bien compris, mais surtout financiers, d’une caste de privilégiés se cooptant mutuellement. Tout ça reste en « famille » et c’est bien le plus important !

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