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HOLY LOLA

Publie le lundi 20 juin 2005 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Il y a un drame intime et très personnel que quelques femmes et quelques hommes vivent : désirer des enfants et ne pas pouvoir en avoir. On peut avoir recours à la procréation assistée (homologue ou hétérologue, si les lois le permettent), on peut adopter un enfant. Mais cette voie est souvent une aventure très embrouillée que Tavernier montre à travers les yeux de Géraldine et de Pierre et d’autres couples à la recherche ou en chasse d’enfants. En effet, la limite est floue entre le désir altruiste de vouloir donner de l’amour et de la protection à des enfants qui ont la malchance de naître dans des coins pauvres de la terre et même d’être abandonnés et l’envie égoïste d’avoir un enfant à tout prix et la disponibilité à entrer dans la malheureuse spirale de marchandage qui s’ensuit. Le mérite du film est de montrer de tels enchevêtrements et les conséquences psychologiques qui en résultent.

C’est ainsi que Géraldine et Pierre, des Français aisés (il est médecin) qui s’aiment et vivent une sexualité satisfaisante, après avoir tout essayé, choisissent la voie du voyage de l’adoption et arrivent dans le Cambodge de Pol Pot.

Au-delà de l’hécatombe, fruit de l’esprit criminel de l’ex-satrape et réalisée par cette milice privée que devinrent les khmers rouges, rien ne semble avoir changé dans le pays asiatique depuis la période khmer et pré-khmer, celle du souverain Sihanouk qui plaisait tant à l’Occident impérialiste. La bureaucratie est toujours corrompue, chacun s’arrange comme il peut dans une approximation de règles qui admet toutes les illégalités. Et à côté du tourisme sexuel qui trouve son comble dans la voisine Thaïlande, les prolifiques Cambodgiens acceptent et fomentent le marché des adoptions. Cela devient un business qui, à partir d’une juste exigence, peut transformer les futurs parents eux-mêmes en chercheurs d’affection, aveuglés par leur besoin et frustrés par les mésaventures.

La narration de Tavernier, un peu lente et mielleuse, ne manque pas de mettre en évidence une large gamme de comportements d’individus qui se retrouvent à créer une micro collectivité. On pourrait parler de famille élargie dans la mesure où tant de couples poursuivent sur place le même but mais au-delà de quelques moments vécus collectivement, chacun pense à soi, à son futur bébé, à la famille qui viendra. C’est que dans l’incertitude de la situation (on ne sait jamais si l’enfant sera confié), avec la succession des dépenses (tout est marchandise), un climat qui n’a rien de sain (100% d’humidité sous forme de pluie ou d’épouvantable pesanteur de l’air) et puis la boue, la poussière, le chaos, les piqûres de terribles moustiques amènent tous les couples à tomber dans l’hystérie pure dans les huit à dix semaines d’attente de l’évènement.

Géraldine et Pierre qui en viennent eux aussi à se disputer semblent les plus normaux. Logés dans le même hôtel il y a des couples de toutes sortes : les prolétaires Marco et Sandrine maladroits, complexés, parfois agressifs mais aussi très solidaires et émouvants. Les hypocrites et mesquins Bernard et Nicole, formels, conformistes et refermés sur leur creuset. Yves et Isabelle, désorientés, lui exprime un taux d’égocentrisme paranoïde, râlant à tant de moments de vie commune contre les pleurs des enfants des autres, la chasse d’eau que l’on tire et distribuant arrogance et plaisanteries inconvenantes. Il y a aussi une femme seule, Marianne, dont le compagnon n’a pas eu la force d’affronter le voyage à la recherche d’un enfant.

Et que dire d’un aspect auquel on est inévitablement amenés à penser étant donné que les couples à la recherche d’enfants sont tous français ? La France après avoir sucé en trois siècles de domination coloniale la lymphe naturelle de la nation indochinoise - même après l’indépendance du pays en 1946 - a prolongé l’exploitation sous la forme de protectorat et cherche maintenant de nouvelles ressources khmer en chair et en os ? Les Cambodgiens, dans leur subalternité économique, pourvu qu’ils se remplissent les poches traitent les enfants orphelins et abandonnés comme n’importe quelle autre marchandise, comme le font tous les peuples pauvres. C’est une réalité crue, une contradiction cuisante dans un système mondialisé qui au Troisième Millénaire se considère civilisé.

Et alors, que faire ? Empêcher que la joie de l’adoption adoucisse le futur de couples stériles et soulage de l’obscurité et de la misère des existences malheureuses comme celles de la petite Lola ? Certainement pas. Le bonheur de Géraldine et Pierre est sincère, même irrésistible et beau à voir, tandis que de son côté la petite sera mieux dans la chaleur d’une maison que dans l’anonymat d’orphelinats tels que ceux de Holy Baby ou de Kandal. Aussi parce que dans sa condition le destin l’amènerait à fouiller les déchets dans l’enfer de la décharge de Phnom Penh, avec les immondices qui macèrent au soleil et un tapis de mouches à plusieurs centimètres du sol. Et pourtant on ne peut pas laisser la matière délicate de l’adoption à la merci de bureaucrates affairistes et de parents égoïstes. Le problème est sérieux et ouvert. Tavernier le rappelle.

Un film de : Bertrand Tavernier
Sujet et scénario : Tiffany Tavernier, Dominique Sampiero, Bertrand Tavernier
Directeur de la photographie : Alain Choquart
Montage : Sophie Brunet
Avec : Jacques Gamblin, Isabelle Carré, Bruno Putzulu, Lara Guirao, Frédéric Pierrot, Maria Pitarresi, Séverine Caneele, Vongsa Chea, Pridi Phath, Neary Kol, Srey Pich Krang.
Musique originale : Henri Texier
Production : Little Bear, Les Film Alain Sarde, Gérard Lamps.
Origine : France, 2004