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Maîtres et anti-maîtres, lettre à Jacques Juilliard

Publie le vendredi 1er juillet 2005 par Open-Publishing
7 commentaires

de Jean-Luc Gonneau

Il est fréquent que les militants ou les leaders politiques se réfèrent à des maîtres. Des grands anciens, de Machiavel a Montesquieu, de Tocqueville à Karl ou Léon. Jaurès est très apprécié. Plus près de nous, Mendès-France ou Mitterrand ont leurs fans. Plus près encore, les chefs de clans du PS ou de l’UMP jouent ce rôle, et que serait le MRC hors Chevènement ? Il y a aussi des anti-maîtres. Autant, au Cactus, nous ne sommes pas du genre disciples, autant nous avons quelques anti-maîtres. Qu’est-ce qu’un anti-maître ? C’est quelqu’un, auteur, éditorialiste, politicien, qui vous facilite grandement la vie : lorsque vous lisez un anti-maître, il suffit de prendre le contre-pied exact de ce qu’il écrit pour traduire votre pensée. Attention, l’anti-maître doit être distingué de l’adversaire. L’anti-maître se situe dans votre camp. Si on est à gauche, on ne peut avoir que des anti-maîtres de gauche. Sinon, c’est pas de jeu et ça compte pas.

Notre anti-maître préféré est Jacques Juilliard. Il nous déçoit rarement. Sa dernière livraison du Nouvel Observateur est, une fois de plus, un modèle du genre. Lisons, ça commence fort : les français ont refusé « le règlement intérieur habillé en constitution qu’on leur présentait ». Voila qui explique tout : si on avait dit aux français qu’il ne s’agissait que d’un règlement intérieur, ils auraient voté bien gentiment, ou plutôt ne se seraient même pas déplacés pour si peu. Tu aurais pu le dire avant, Jacques, on n’en serait pas la. Pour autant, si ce n’est qu’un simple « règlement intérieur » que nous avons refusé, on voit mal pourquoi cela fait un tel barouf, et pourquoi Jacques et ses amis sont si amers.

Continuons : « Corrigé de sa dimension biologique, le programme du Front National est désormais communément admis, de l’extrême gauche a l’extrême droite : préférence nationale, dénonciation tous azimuts des élites, distinction fascisante entre pays légal et pays réel ». On sent la patte d’un véritable anti-maître, la distinction de l’expression. Jacques Julliard ne dit pas racisme, qui ferait vulgaire, mais « dimension biologique », il ne dit pas antiparlementarisme fascisant mais distinction, fascisante tout de même, hein, etc. Nous nous disions bien aussi que la démission de De Gaulle après que le « pays réel » eut rejeté un référendum était une preuve du fascisme foncier du général. Merci à notre anti-maître de le montrer ainsi lumineusement.

Et Jacques Chirac, représentant du pays légal, a bien raison de rester en place : ce serait fasciste de démissionner alors que le pays réel a envoyé aux pelotes son référendum. Mais il est vrai que, pour Jacques Juilliard, il ne s’agissait que d’un « règlement intérieur ». Et quand notre anti-maître évoque la « dénonciation tous azimuts des élites », nous nous rappelons, nous, la gauche, qui avons voté Non, que nous n’avons jamais dénoncé les scientifiques, les artistes, les enseignants, les innovateurs, les créateurs, dont nous nous permettons de penser qu’ils constituent les élites, si le mot est pertinent. Nous avons dénoncé par contre une classe dirigeante formée au même moule technocratique, un patronat arrogant et avide, et la presse bien pensante. Merci à Jacques Juilliard de nous le rappeler, nous en sommes fiers. Et au passage, ce n’est pas l’universitaire Juilliard Jacques que nous brocardons, mais l’éditorialiste Jacques Juilliard.

L’anti-maître se surpasse dans sa conclusion : « Lutter contre ce mensonge et ce conte bleu d’une autre Europe qui font de nous la risée du monde... Il s’agit, comme dans toutes les situations d’urgence, de résister ». Voila bien comme sont les gens, on leur refuse un simple « règlement intérieur » et les voila, pas moins, qui prennent le maquis. En charentaises sans doute. Nous avions cru, nous autres, que notre non, loin d’attiser la risée du monde avait fait des petits, en Hollande d’abord, et un peu partout en Europe ensuite. Nous avions raison, puisque notre anti-maître affirme le contraire. Merci donc encore une fois, à Jacques Juilliard. Un anti-maître de ce tonneau, vous pensez bien qu’on se le garde.

http://www.la-gauche.org

Messages

  • "En charantaises sans doute" : ha ha très drôle. Le pauvre Julliard ne voit pas qu’il se trouve du côté des collabos, et non pas des résistants. Quelle tristesse.

  • " La risée du monde"-cf en Pologne

    Au pays du "plombier polonais" un référendum était prévu et en février -après diverses explications et campagnes des "élites" autoproclamées rappelant au bon peuple qu’il fallait être "stalinien" pour oser débattre et envisager le NON - les sondages donnaient 75% de OUI.

    A la veille de notre référendum et après le débat très suivi qui l’a précédé, le débat s’est instauré la-bas aussi et les sondages n’ont plus donné que 54% de OUI.

    Au lendemain du NON français les sondages ne donnent plus que 40% de OUI en Pologne .

    Dépit des "élites" : elles n’envisagent plus de réferendum sur la Constitution .

    Nouvelles définition de la démocratie chez les Juilliard et consort : le droit de dire ce qu’ils vous ordonnent de dire sinon ils se passent de votre avis .

    En attendant, Messieurs, les peuples se comptent et sont décidés à compter : faudra vous y faire

     L.S

  • Vas falloir qu’ils arrêtent de nous bassiner avec cette idée que "le rejet des élites" (terme qui il est vrai ne veut pas dire grand chose "en soi" serait une idée Lepéniste. Le Pen joue evidemment de ça dans son argumentaire (ça fait proche du "Peuple", crois t’il), mais c’est lui donner une bien grande légitimité que de lui en donner l’exclusive ou pire la paternité. La Révolution de 1789 n’était-elle pas déjà une révolte "populaire" contre des élites corrompus et coupés des réalités ? Je vous invite les ouiouistes, à relire les textes révolutionnaires de cette époque, et notamment Babeuf, pour en être convaincus. Et il enfus toujours issu dans les grands moments de l’Histoire. C’est face à tous ceux qui se sont auto-proclamés en elite que "le Peuple" (là aussi en soi ça veut pas dire grand chose) s’est organisé, a lutté et a imposé d’autres choix. Il a toujours été ainsi dans l’histoire et c’est encore le cas aujourd’hui.

    Et la lutte des classes serait dépassée parait-il...

    Gramsci

  • Pour ma part, je suis très reconnaissant envers Jacques Julliard.
    Par sa morgue, sa condescendance, son assurance, sa façon de tuer le débat avant même qu’il n’ait eu lieu, il a ouvert bien des yeux à gauche.
    Il a magnifiquement oeuvré pour la victoire du non !
    Qu’il en soit remercié !