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Préférer sa voiture au bus peut vous conduire au tribunal

Publie le jeudi 14 juillet 2005 par Open-Publishing
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Dix femmes de ménage organisaient leur covoiturage pour aller travailler au Luxembourg. Une société de bus les assigne pour « concurrence déloyale ».

Par Thomas CALINON

Soit dix femmes de ménage qui organisent un système de covoiturage pour se rendre cinq jours par semaine de leur domicile, en Moselle, à leur lieu de travail, dans les bâtiments qui abritent les institutions européennes de Luxembourg. Soit une société française de transports en commun qui exploite une ligne sur le même parcours. Si le monde tournait rond, on y verrait deux exemples pertinents de lutte contre la saturation de l’axe routier Metz-Luxembourg. On pourrait même applaudire des initiatives minimes mais salutaires dans la lutte contre l’effet de serre (194 microgrammes d’ozone par m3 d’air mesurés à Thionville le 28 juin, et 195 cinq jours plus tôt ; le seuil d’information des populations est fixé à 180 microgrammes/m3). Mais le monde ne tourne pas rond.

La preuve ? La société de transports accuse les dix femmes de ménage de « concurrence déloyale » et les assigne devant le tribunal de grande instance (TGI) de Briey (Meurthe-et-Moselle).

 Constance. « C’est aberrant, absurde, ridicule », tempête maître Cécile Klein-Schmitt qui défend plusieurs des femmes de ménage poursuivies. « Sans parler des faits en eux-mêmes, mais seulement des fondements juridiques de cette assignation, je ne vois pas comment un magistrat pourrait donner raison à ce type de demandes. » Contactée à trois reprises par Libération, la société Transports Schiocchet Excursions n’a pas souhaité faire valoir d’argument contraire. Il faut lui reconnaître de la constance.

En 2003, elle avait déjà traîné les femmes de ménages devant le tribunal de commerce de Briey, qui s’est déclaré incompétent. L’entreprise a relevé appel avant de s’en désister et d’opter pour le tribunal de grande instance, devant lequel elle réclame la condamnation des femmes de ménage à 5 000 euros d’astreinte par « infraction » constatée au motif que le covoiturage constituerait « un acte de concurrence déloyale et parasitaire ». La saisie des véhicules est également demandée.

Depuis plusieurs années, Schiocchet exploite une ligne de bus dédiée au transport transfrontalier de femmes de ménage, pour la plupart employées par la société Onet-Luxembourg. « Pour eux, à partir du moment où la ligne existe, on est obligé de la prendre », commente l’une des personnes visées par l’assignation. Début 2002, la société aurait constaté « une désaffection brutale » de son service.

Pour les femmes de ménage, l’explication est évidente. « Ils ont supprimé un arrêt de bus et en ont créé un autre qui n’arrangeait personne », expliquent en choeur Constance Serrano et Jeanne-Marie Lo-Giudice. « Dans le bus, on n’avait le droit ni de manger ni de parler, rien du tout », poursuit Martine Bourguignon. « Le soir, au lieu de venir nous chercher à 21 h 30, le bus arrivait à 22 h 30. Et quand vous faisiez une remarque au chauffeur, il vous traitait de pétasse », conclut Odette Friedmann. Les femmes de ménage sont descendues du bus pour monter en voiture. A tour de rôle selon des rotations hebdomadaires, elles transportent trois ou quatre de leurs collègues dans leurs véhicules personnels. Celles qui n’ont pas de voiture paient de temps à autre un plein de carburant. Le système leur fait gagner du temps et de l’argent. « C’est au moins moitié moins cher que l’abonnement mensuel pour le bus », qui s’élèverait à 110 euros selon elles.

La pratique a fait des émules. « Aujourd’hui, douze personnes prennent le bus. Avant, on était quatre-vingts », affirme Odette Friedmann. Schiocchet a calculé le manque à gagner : « 1 996 800 euros » pas moins, entre janvier 2002 et décembre 2004.

 Filature. Sans doute pour redresser la barre, l’entreprise s’est lancée dans une étrange stratégie commerciale qui consisterait, selon les déclarations des intéressées, à filer les véhicules des femmes de ménage lors des trajets domicile-travail. Elle a également assigné devant le tribunal Onet-Luxembourg.

« Ils nous accusent essentiellement d’inciter au covoiturage alors que nous n’avons aucun droit de regard sur le mode de transport de notre personnel, explique Frédéric Sirerol, directeur d’Onet-Luxembourg. Nous sommes atterrés par le comportement de cette société qui poursuit ces dames et les suit pour voir combien de kilomètres elles font. Ils ont aussi appelé certains de nos clients pour dire que nous nous mettions hors la loi en ce qui concerne les conventions de transport entre la France et le Luxembourg. C’est une façon de noircir notre image. Et ils font preuve d’un acharnement par la voie juridique très étrange. » L’audience devrait avoir lieu début 2006.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=310126

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