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Une guerre proverbiale

Publie le vendredi 15 juillet 2005 par Open-Publishing
4 commentaires

de EDUARDO GALEANO traduit de l’italien par karl&rosa

"New York, Madrid, Londres : le terrorisme attaque à nouveau". Voilà le titre principal de nombre de journaux du monde, dans l’édition qui a informé sur les explosions qui ont secoué la capitale britannique. Une coïncidence révélatrice : pas une seule ligne sur l’Afghanistan ou sur l’Irak. Les bombardements contre l’Afghanistan et contre l’Irak ne sont-ils pas - et ne continuent-ils pas à ne pas l’être - des attentats terroristes qui, dans le cas de l’Irak, se répètent jour après jour ? N’est-ce pas toujours la classe travailleuse qui livre les morts dans les attentats et dans les guerres ? Les victimes de toutes les expression du mépris pour la vie humaine ne méritent-elles le même respect et la même compassion ? Même un enfant le sait, plus de trois mille paysans ont été déchiquetés par les bombes qui cherchaient, sans le rencontrer, Bin Laden en terre afghane.

Et plus de 25.000 civils, dont bon nombre de femmes et d’enfants, ont été déchiquetés par les bombes qui cherchaient, sans les trouver, les armes de destructions de masse en Irak, et aussi à la suite du bain de sang que l’occupation étrangère du pays continue à créer. Si c’est l’Irak qui avait envahi les Etats-Unis, une anomalie à laquelle personne ne pense, il y aurait en proportion 300 000 victimes civiles américaines.

Les tonnerres d’une telle horreur auraient résonné pour des siècles. Au contraire, s’agissant de morts irakiens, ces tonnerres se sont vite transformés. En 1776, la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis affirma que tous les hommes naissent égaux, toutefois quelques années, après la première constitution éclaira le concept : elle établit que dans le recensement de la population chaque Noir était équivalent à trois cinquièmes d’une personne. Combien de parts ou de morceaux de personne vaut aujourd’hui un Irakien ?

"Certains sont plus égaux que d’autres" dit-on. Et ils disent : "d’autres viendront qui te feront du bien. La terreur d’Etat, père fécond de tous les terrorismes, trouve des alibis parfaits dans tous les terrorismes qu’elle génère. Elle verse des larmes de crocodile chaque fois que la merde frappe le ventilateur et fait semblant d’être innocente face aux conséquences de ses propres actions. Mais les seigneurs ne doivent pas se désoler : les atrocités, ce sont les fanatiques et les fous qui les commettent, ils leur offrent des justifications et l’impunité.

"Le menteur ne va pas loin"

C’est clair pour tout le monde : les menteurs vont très loin. Si loin que leur vitesse est très supérieure à celle des démentis des menteurs eux-mêmes.

Après avoir hurlé aux quatre vents que l’Irak était un danger pour l’humanité, Bush et Blair admirent publiquement que le pays qu’ils avaient envahi et anéanti ne possédait pas d’armes de destruction de masse. Aux élections suivantes, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, le peuple les récompensa en les réélisant.

"Le crime ne paye pas"

Maintenant les proverbes ne savent pas ce qu’ils disent. Le monde arrive à dépenser rien de moins que 2200 millions de dollars par jour - oui, par jour - pour l’industrie militaires, industrie de la mort et, jour après jour, le chiffre monte et monte. Les guerres ont besoin d’armes, les armes ont besoin de guerre et les guerres ont besoin d’ennemis.

Il n’y a pas de commerce plus profitable que l’assassinat pratiqué à l’échelle industrielle. Son industrie dérivée, l’industrie de la peur, consacrée à la fabrication d’ennemis est au jour d’aujourd’hui la source principale de gain pour les entreprises du spectacle et de la communication. A Hollywood, il n’y a plus un seul film sans explosion et ses scénaristes ajoutent la peur à la peur : et si la panique sur terre ne suffit pas, ils ajoutent des menaces terroristes en les important d’autres planètes.

L’industrie militaire a besoin de produire de la peur pour justifier son existence. Un circuit pervers : le monde devient un abattoir qui devient un asile qui devient un abattoir qui...L’Irak, pays bombardé, occupé, humilié est l’école du crime la plus active de nos jours. Ses envahisseurs qui se qualifient de libérateurs ont monté le plus prolifique vivier de terroristes qui se nourrit du découragement et du désespoir.

"Heureux ceux qui se lèvent tôt"

Est-ce que ceux qui dirigent la guerre se lèvent tôt ? Les banquiers à succès se lèvent-ils tôt ? En réalité, le proverbe exhorte les humbles travailleurs à se lever tôt et provient des temps où travailler était rentable.

Mais dans le monde d’aujourd’hui, le travail compte moins que les immondices. Des deux moteurs du système universel de pouvoir, ce système qui du temps de mon enfance s’appelait capitalisme, un seul fonctionne. Le stimulus de la cupidité a disparu, au moins pour les travailleurs. Désormais, plus personne n’a le plus petit espoir de devenir riche en travaillant. Maintenant, les deux moteurs sont la peur et la peur : peur de perdre l’emploi, peur de ne pas trouver d’emploi, peur de la faim, peur de l’abandon.

Les syndicats défendaient les travailleurs à une époque qui semble aujourd’hui préhistorique. Les multinationales les plus célèbres, Walmart et Mc Donald’s, nient, sans la moindre dissimulation, le droit ouvrier à l’association et jette à la rue tous ceux qui auraient l’audace de tenter de le faire. Cette violation scandaleuse ne fait pas se dresser même un cheveu aux organismes internationaux qui veillent aux droits de l’homme : les exemples se multiplient. L’indifférence aux syndicats ou leur simple interdiction, commence à être normale. Le syndicalisme, fruit de deux siècles de lutte ouvrière, est en crise dans le monde entier comme sont en crise tous les instruments de défense collective et pacifiques des gens qui vivent de leur propre travail et qui, maintenant - chacun abandonné à soi-même - , survivent contraints à accepter, oui ou oui, ceux qu’exigent les entrepreneurs : le double des heures en échange de la moitié du salaire. Les syndicats affaiblis, persécutés peuvent aider bien peu et Dieu semble être occupé ailleurs. Le président Bush a besoin de lui nuit et jour : son projet de conquête de la planète est une mission divine et Dieu guide tous ses pas. Comment communiquent-ils ? Via email, via fax, par téléphone ou grâce à la télépathie ? Secret d’état.

" C’est le diable qui recharge les armes"

Cette façon de dire se comprend très bien. Dieu ne peut pas être si méchant. Cela doit être le diable qui charge les armes ou au moins les armes de destruction de masse, les vraies, celles que l’Irak n’avait pas, c"elles qui sont en train de détruire le monde : les bombardements pleins de mensonges réalisés par les fabriques de l’opinion publique, les armes chimiques de la société de consommation qui rendent le climat fou et qui pourrissent l’air ; les gaz venimeux des fabriques de la peur qui nous obligent à accepter l’inacceptable et transforment l’indignité en fatalité du destin ; l’impunité létale des serial killer élevés au rang de chefs d’état ; et l’arme à double tranchant des grandes puissances qui multiplient, à chaque fois, la pauvreté et les discours contre la pauvreté, qui, en même temps, vendent des mines anti personnel et des jambes de bois et qui lancent du ciel des missiles et des contrats de reconstruction sur les pays qu’ils anéantissent.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Messages

  • Voilà enfin un minimum de réflexion critique sur les syndictas, on ferrait bien d’y réfléchir ! C’est valable même en France (ou surtout en France, comme vous voulez)...

  • “Après avoir hurlé aux quatre vents que l’Irak était un danger pour l’humanité, Bush et Blair admirent publiquement que le pays qu’ils avaient envahi et anéanti ne possédait pas d’armes de destruction de masse. Aux élections suivantes, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, le peuple les récompensa en les réélisant.”

    Galeano pose là le problème de la prétendue supériorité morale des démocraties et de leur exemplarité universelle.
    Les électeurs US et Britaniques qui ont reconduit Bush et Blair dans leurs fonctions en sachant pertinemment qu’ils sont responsables de dizaines de milliers de victimes sacrifiées sous de faux prétextes n’ont certainement pas grandi la démocratie aux yeux du reste du monde.
    Il faut craindre que ces électeurs ne soient victimes de ce que Pierre Hassner qualifiait de "barbarisation du bourgeois[...] qui consiste à conserver l’idée de la valeur infinie de chaque vie humaine -et donc l’exigence zéro mort- pour ses propres citoyens, mais à se résigner de plus en plus facilement à infliger des pertes aux populations civiles adverses ou à tolérer celles des populations que l’on veut protéger".
    Quant à croire que les reste de la planète est dupe de la tendance constante des démocraties à fermer les yeux sur leurs propres crimes cela relève du mépris du maître pour l’esclave incapable de se hisser à son niveau de réflexion.

    VALERE

  • "Même un enfant le sait, plus de trois mille paysans ont été déchiquetés par les bombes qui cherchaient, sans le rencontrer, Bin Laden en terre afghane."
    Ah, je ne le sais pas, mes enfants non plus...

    "Aux élections suivantes, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, le peuple les récompensa en les réélisant."
    Oui, c’est une honte pour nos démocraties...

  • Insupportable de voir ici écrit "AU JOUR d’AUJOURd’hui" (hui = maintenant/aujourd’hui, hoy en espagnol) ça nous fait une expression qui exprime 3 fois la même chose en deux mots.

    Pour tous les citoyens du monde : upliftment.canalblog.com