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Militant islamiste, ou révolutionnaire ?

Publie le samedi 30 juillet 2005 par Open-Publishing
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Militant islamiste, ou révolutionnaire ?

par Dominic Casciani

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

[Extrémiste musulman, ou pionnier de la réforme religieuse ? Le professeur Tariq Ramadan explique pourquoi ses détracteurs se trompent, et pourquoi les attentats de Londres signifient plus que jamais que les musulmans occidentaux doivent se couper de l’Orient.]

Un penseur émérite. Mais M. Ramadan a des ennemis... Il est cet homme que le Sun adore haïr.

Cinq jours après les attentats de Londres, le Sun a fait sa une avec un article invitant ses lecteurs à " RENCONTRER L’ACTIVISTE MUSULMAN TARIQ RAMADAN ", tout en exhortant le gouvernement britannique à interdire une conférence de l’universitaire helvétique, le week-end dernier.

Une semaine après, le Sun avait changé de ton, et publiait un deuxième article, le présentant comme un " héros des jeunes musulmans ". Le professeur Ramadan est venu à Londres, et il s’est effectivement exprimé devant un large auditoire sur la " Voie Moyenne ", dans l’une des plus grandes mosquées de Londres.

Alors, le véritable Tariq Ramadan pourrait-il avoir l’amabilité de se lever ?

Les attaques contre lui : " Ils se trompent de cible ", dit Tariq Ramadan

La charge du Sun contre le professeur Ramadan n’est que la dernière à laquelle il ait dû faire face, tout au long d’une carrière controversée. Il a été largement écrit, un peu partout, qu’il avait été interdit aux Etats-Unis, en tant qu’extrémiste qui aurait approuvé les attentats suicides.

Il prédit qu’il sera bientôt autorisé à enseigner aux Etats-Unis et à répondre aux vingt invitations prestigieuses qu’il a reçues, pour des conférences dans ce pays. Sur le deuxième sujet de l’heure, il insiste sur le fait qu’il condamne catégoriquement le sacrifice de vies innocentes.

Dans les deux cas, il affirme que ces allégations ont été délibérément lancées par des extrémistes américains de droite, qui " voudraient nourrir cette fameuse théorie du " clash entre civilisations ", l’idée que l’Orient musulman et l’Occident seraient incompatibles entre eux. "

" Il est un impératif moral : il faut dire aux gens, il faut leur expliquer, ce qui se passe en Palestine, et il faut presser la communauté internationale d’élever la voix ", dit-il. " C’est là tout ce que j’ai fait. Si nous ne le faisons pas, alors notre silence nourrit cette violence ; notre silence est aussi malfaisant que la violence. "

" En ces heures très difficiles, ici, en Grande-Bretagne, je suis la mauvaise cible. Je pense que c’est ce dont le Sun s’est lui-même rendu compte : la rédaction m’a appelé au téléphone, et ils ont publié un deuxième article pour dire ce que je pense réellement. "

Un penseur influent

" Ces jeunes musulmans sont nés de couples mixtes : un de leurs parents est musulman, et l’autre britannique.

L’un comme l’autre sont à blâmer, l’un comme l’autre doivent assumer leur part de ce qui relève de notre responsabilité à tous. "

Tariq Ramadan

Sans l’ombre d’un doute, Tariq Ramadan est l’une des voix les plus écoutées des jeunes musulmans, dans l’ensemble de la société occidentale. Sa réputation académique provient du fait qu’il provoque la génération de leurs parents. Très au fait des subtilités des médias, il s’attache à interpeller la mentalité des jeunes musulmans, notamment grâce à son site ouèbe, ultra-moderne, qui assure la diffusion de sa pensée.

Il rejette l’assujettissement des femmes, qu’il qualifie d’anti-musulman, il rejette les châtiments traditionnels, tels la lapidation, et il défie le droit que semble s’être arrogé l’Orient musulman de diriger la foi. Sans effort, avec aisance, sa conversation glisse du Coran aux grands penseurs européens. Bref : il se considère comme le conciliateur entre l’Islam et la pensée rationnelle européen de l’ère des Lumières.

Bien que des détracteurs musulmans l’accusent de trahir la foi, certains universitaires occidentaux disent qu’il n’en promeut pas moins un agenda " musulman d’abord, Européen ensuite " - un agenda qui porte atteinte à l’intégration.

" C’est totalement faux ", s’insurge-t-il. " Mon travail consiste à expliquer ce que c’est, d’être un authentique musulman et en même temps un authentique Européen. C’est d’ailleurs ce qui me vaut la popularité dont je bénéficie. "

" Imaginez, par exemple, que vous êtes un poète végétarien, et que vous êtes invité à un dîner. Qu’allez vous dire ? Que vous êtes végétarien... Mais si c’est à une soirée que vous êtes invité, alors là, vous direz que vous êtes poète...

" Nous avons tous une identité multiforme, qui est aussi une identité évolutive - c’est l’équation à laquelle les Européens musulmans doivent trouver une solution. Comment peuvent-ils rester fidèles à leur éthique, à leurs valeurs ? Je pense qu’ils doivent commencer par se débarrasser de certaines confusions sur ce que sont les valeurs musulmanes. "

Le professeur Ramadan indique que beaucoup de musulmans occidentaux reconnaissent que, à l’instar des membres non-musulmans des sociétés auxquelles ils appartiennent, ils peuvent être sélectifs dans ce à quoi ils souscrivent.

" Il y a beaucoup d’éléments, dans la culture britannique, qui ne s’opposent pas aux valeurs musulmanes. Tout d’abord, vous n’êtes pas obligé de boire de l’alcool, et beaucoup de Britanniques ne boivent que du thé ! ", explique-t-il.

Aussi, plutôt que d’avoir une sorte de panique théologique à l’idée d’aller au bar avec des collègues, le jeune Européen musulman confiant en lui-même peut simplement reconnaître que boire de l’alcool peut faire partie de l’existence, pour d’autres personnes, tout en n’acceptant pas que cela puisse aller jusqu’à les exposer à un danger moral.

" Révolution silencieuse "

Ce que le professeur Ramadan affirme viser, c’est avant tout cette " révolution silencieuse " dans la pensée islamique. Mais cela peut-il nous aider à trouver pour quelle raison des jeunes hommes du Yorkshire se font sauter avec leur bombe ?

Les sévices corporels : Ramadan fait campagne contre.

Les communautés musulmanes doivent prendre des mesures immédiate, dit-il, y compris en laissant tomber les interprétations littéralistes du Coran, qui n’ont rien à voir avec la vie moderne.

En tête de liste de ses bêtes noires, les librairies islamiques qui refusent de vendre des ouvrages relatifs à l’Occident, et qui aident à perpétuer un sentiment de " culpabilité " chez les jeunes musulmans, résultant de leur impression d’être incapables de s’élever jusqu’à atteindre un idéal islamique (inatteignable par définition).

Mais, avant tout, les jeunes musulmans doivent s’extirper d’un " ghetto social et intellectuel " aux regards tournés vers l’Orient, et vivre un Islam autonome.

Ce n’est que lorsque l’argent venu du Moyen-Orient cessera de financer des mosquées, et que des imams nés en Europe prendront en main la guidance des communautés que les [Européens] musulmans pourront se réconcilier avec leur identité européenne. Pour cela, l’aide des gouvernements est absolument cruciale, affirme-t-il.

" Mais nous devons demander aussi à nos concitoyens [non-musulmans] de supprimer ces ghettos en reconnaissant que la société européenne a changé. Nous devons nous débarrasser de l’idée fausse qu’il existerait une culture européenne homogène, que l’Islam menacerait. Prenez l’exemple du débat sur l’intégration de la Turquie à l’Union européenne...

" Les gens ont peur que cela ne fasse entrer " tout un tas de musulmans " dans l’Europe. Mais regardez : les musulmans sont déjà là, dans les villes [européennes], et ils s’efforcent d’être une partie de la solution ! "

Alors, jusqu’à quel point M. Ramadan applique-t-il cette philosophie dans sa propre existence personnelle ? Comment réagirait-il si l’un de ses quatre enfants lui annonçait qu’il va épouser un(e) non-musulman(e) ?

" Naturellement, je préférerais qu’il s’agisse de quelqu’un qui partage les principes qui s’attachent au fait d’être musulman. Mais c’est à eux qu’appartient le choix... ", répond-il.

" Voyez-vous, quand cela se produira, j’aurai fait ce que j’avais à faire en tant que père. Je leur aurai transmis mes principes. C’est ce que je leur dis : sachez qui vous êtes, et connaissez les valeurs qui sont les vôtres. "

" Quand vous savez cela, vous êtes libres. "

http://news.bbc.co.uk/1/hi/magazine/4714101.stm

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