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Y a-t-il une morale du politique ?

Publie le vendredi 5 août 2005 par Open-Publishing
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de Marc Alpozzo

Totalitarisme et Etat de droit

Contrairement à ce que croit, avec beaucoup de force d’ailleurs, le sens commun, le totalitarisme n’est en aucun cas une anti-thèse, une anti-chambre, le contraire même de la démocratie : système politique selon beaucoup indépassable !

Totalitarisme Il suffit pour le comprendre d’observer le XXe siècle et certains Etat occidentaux ayant oscillé entre deux systèmes politiques qui en constituèrent précisément les deux pôles : démocratie et totalitarisme. Et on est à peu près sûr de ne plus faire la confusion en prenant le totalitarisme comme l’envers de la démocratie. Hannah Arendt dans Origine du totalitarisme, nous a bien mis en garde : totalitarisme n’est pas despotisme (à savoir, pouvoir qui ignore le droit est qui est fondé sur la crainte et la terreur). N’étant pas le négatif de la démocratie, le totalitarisme en serait plutôt la déviation possible.

Une déviation possible d’autant plus compréhensible pour tout lecteur attentif, si l’on tente une toute petite définition du totalitarisme, dont on peut dire que c’est une doctrine ou un système caractérisé par la toute-puissance de la collectivité (Etat, race ou classe) qui se subordonne sans réserve les personnes, les activités et les biens des individus qui la composent et exerce sur eux une action sans limite. Généralement le régime totalitaire se caractérise et se reconnaît par la fusion des pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire. Le totalitarisme est d’ailleurs une déviation de la démocratie jusque dans l’élection du dictateur, puisqu’on a pu constaté que ça n’était pas moins que le peuple qui a porté au pouvoir Mussolini, Staline ou encore Hitler. Car, le vrai problème que nous devons nous poser, en ces temps d’accalmie, de liberté, et de démocratie, c’est la question suivante : L’Etat peut-il « vraiment » devenir totalitaire, de nos jours ?

Petit retour à la genèse :

L’Etat proprement dit n’apparaît qu’au XVIème siècle sur notre continent, moment ou le pouvoir se matérialise c-à-d qu’il s’incarne dans une institution, et qu’un espace public se développe, si bien que le pouvoir d’Etat cesse d’appartenir à ceux qui le représentent pour devenir une chose publique. Il est à noter que l’Etat moderne est complètement désacralisé, puisque le pouvoir n’est ni naturel ni imposé par Dieu ou l’Eglise. L’Etat moderne a d’ailleurs été en grande partie inspiré des réflexions de Rousseau, Locke ou encore Spinoza. Ces théoriciens pensent par exemple de l’Etat moderne q’un régime dont les pouvoirs sont limités est seul à même de préserver l’égalité et la liberté naturelles des hommes. Pour Spinoza : la démocratie est le régime le plus conforme à « la saine Raison ». Ce que Spinoza vise à empêcher, c’est le transfert d’une souveraineté à un pouvoir incontrôlable. Seul le peuple peut rester souverain, tout du moins en droit. Il faut limiter les pouvoirs de l’Etat et protéger les droits fondamentaux des hommes par les institutions fondatrices de l’Etat.

Etat de droit

Cela dit, entre tenter d’élaborer la théorie de l’Etat légitime et approuver l’Etat existant, il n’y a pas forcément concordance. Déjà Rousseau dénonce l’Etat comme étant un instrument au service des puissants. Il accuse les premières sociétés d’avoir porté au pouvoir des hommes habiles qui ont protégés leurs intérêts, confisqué les terres, légalisé leur puissance par le biais d’institutions qui seraient à l’origine d’un pouvoir conçu comme une structure de domination et d’oppression. Pour Rousseau, la prétention de l’Etat de représenter les intérêts de tous n’est qu’un leurre : le pouvoir n’est ni neutre, ni impartial.

Cette définition édifiante de l’Etat introduit en effet le problème de la violence de l’Etat. A l’origine l’Etat, alors nommé Cité, était géré par une République (Res publica « chose publique » à l’écoute et respectueuse des ses citoyens.) Mais il n’est pas illégitime de réfléchir aujourd’hui aux les moyens de coercition employés par l’Etat pour réguler les comportements, notamment dans un Etat de droit (cf. Les micros-pouvoirs chez Foucault !).

Il n’est pas illégitime de s’interroger à propos d’une supposée morale du politique ? En effet, y a-t-il une morale du politique ?

L’Etat totalitaire prétend incarner le peuple, ce qui l’oppose précisément au despotisme, parce qu’il n’est pas un Etat sans lois (dans le despotisme, la volonté du despote tient lieu de lois). Non ! Dans le système totalitaire, le chef prétend s’inspirer d’une loi infaillible (loi de la Nature, ou de l’Histoire), et c’est pour cela que l’illusion d’une légitimité du pouvoir est si puissante. Cette légitimité est évidemment mensongère et cela veut précisément dire que les régimes totalitaires ne sont mêmes plus des Etats au sens d’un Etat de droit.

La morale du politique

Cette idée revient alors à interroger la grande question de la morale du politique. Excellente question ! Combien sont-ils à se demander où la morale se niche dans l’action politique. Oui, ils sont pas mal ! Ne serait-ce qu’en pensant à la violence qui est faîte contre les citoyens, violence de l’Etat, qui n’est d’ailleurs pas considérée comme telle, car elle n’est appliquée qu’en vue de résoudre une crise, et par définition, qu’en vue de protéger l’intérêt général.

En fait, la question posée ici est bien plus fine qu’elle ne parait. On ne doit pas se demander s’il y a une morale du politique, mais plutôt : la morale doit-elle être évincée de l’action politique ? C’est finalement tout le problème de l’Etat moderne.

Machiavel, grand génie du verbe. N’est-elle pas admirable cette philosophie qui procède du génie diabolique d’un florentin de la Renaissance, d’origine sociale modeste qui ne put par conséquent jamais prétendre à un rôle politique ? Nicolas Machiavel est un penseur éminent tout simplement parce qu’il a pensée la politique moderne. L’Etat moderne. D’ailleurs, quand on se pose le problème de la morale additionnée, impossible de ne pas penser au machiavélisme. Sa conception de la politique est cynique : violence, ruses, mensonges, trahisons. Tous les moyens sont bons pour parvenir au pouvoir et s’y maintenir. Cette question, à savoir « comment accéder au pouvoir ? » « comment s’y maintenir ? », est d’ailleurs largement débattue dans Le prince. Machiavel laissant délibérément de côté toute question de « valeur » (« est-ce bien ou mal ? » « est-ce un bon ou mauvais gouvernement ? ») pour se concentrer exclusivement sur le « comment ». Cette idée éclaire bien les « manoeuvres politiciennes » actuelles qui désespèrent l’électorat.

On comprendra très bien après l’exposé suivant, que la stratégie de Machiavel éloigne considérablement la politique de la morale. L’homme politique devra :

1) posséder des qualités contradictoires : un homme politique idéal est celui qui est capable de se modeler lui-même afin de modeler les occasions. (ch. XVI-XVIII)

2) se rappeler toujours l’importance du peuple (ch. XIX-XXI)

3) jouer sur l’image sans jamais s’enfermer dans l’image (ch. XXII-XXIV) car il est si facile de jouer l’apparence, il est plus difficile d’apprendre à ne pas être le jouet de l’apparence ; l’homme politique entouré de flatteurs, d’une multitude d’individus ayant intérêt à le tromper, le détournent progressivement de la réalité pour le mener à sa perte. L’apparence : un outil, mais aussi un piège redoutable.

La modernité de Machiavel se révèle dans cette autre idée qu’il développe : l’Etat ne doit pas se préoccuper de la morale à titre individuel. L’Etat n’a qu’une seule finalité : se maintenir. Garantir sa pérennité malgré les crises.

Serait-ce morale qu’un Etat s’apitoie sur le sort d’un seul, tâchant de le protéger au dépend de l’intérêt général ; tout le problème réside dans cette dichotomie : le particulier contre le général.

Toute la réflexion du Prince donnant des conseils cyniques relatifs à la dissimulation, à l’exercice du secret et de la manipulation se résume, en cette formule donc trop bien connue : qui veut la fin veut les moyens.

Et parce que Machiavel est un pessimiste il préconise l’absolutisme. Il fait de l’Etat, un Etat omnipotent capable de contenir les passions de ses sujets et de faire primer si nécessaire la raison d’Etat. D’où la radicale opposition avec la cité antique : nous ne raisonnons plus comme les grecs aujourd’hui. C’est bien évident. Mais le pourrions-nous ?

La société n’est plus pour nous une communauté, mais une association artificielle dans laquelle les liens avec les concitoyens sont beaucoup plus lâches qu’autrefois, plus économiques que sentimentaux. La politique ne prétend même plus représenter une organisation spontanée ou naturelle de la société. On a constaté avec les décennies que l’Etat s’est progressivement transformé en un appareil administratif, que les individus se représentent comme un système d’oppression.

Bibliographie indicative : Machiavel, Le prince, Le livre de poche. Hannah Arendt, Origine du totalitarisme, Presse pocket. Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Gallimard tel.

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