Accueil > INTERVIEW COMPLETE DE JEAN-MARC ROUILLAN

INTERVIEW COMPLETE DE JEAN-MARC ROUILLAN

Publie le dimanche 14 août 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

PAR VALERIE C. (La Dépêche du midi ) LE 25/07/2005

V.C. : Je vais vous demander quelques éléments, réponses directes. Vous avez quel âge ?

 53 ans le 30 août prochain

V.C. : Vous êtes incarcéré depuis quand ?

- Février 1987

V.C. : Depuis combien de temps à Lannemezan ?

 J’ai fait une première période de 1994 à l’an 2000 et je suis de retour après l’évacuation à Arles, il y a 7 mois.

V.C. : Dans quel quartier êtes-vous ?

- Je suis au bâtiment A, quartier normal.

V.C. : Vous avez connu l’isolement à Lannemezan ?

 Non, jamais.

V.C. : Comment occupez-vous vos journées à l’heure actuelle ?

 Le matin, je travaille, j’écris. Je me lève très tôt. A 10h, je descends au téléphone. Je fais sport et lecture le reste de la journée.

V.C. : Quel est votre état d’esprit aujourd’hui par rapport à l’échéance ?

 Je suis sans illusion sur le système. Je pense que la décision politique de notre libération n’a pas été prise, donc aucun magistrat n’ira contre la volonté du pouvoir, donc j’y vais sans illusion.

V.C. : Votre état de santé ?

- Normalement, parfaitement.

V.C. : Normalement, parfaitement, ça veut dire quoi ? Vous avez eu des examens récemment.

 Pendant un an, mes médecins ont pensé que j’étais atteint d’un cancer au poumon, et finalement, examen après examen, la situation s’est stabilisée. Et après, ils ont donné un avis tout à fait contraire.

V.C. : Donc, à l’heure actuelle, vous êtes considéré ?

- soigné pour rien du tout, donc normalement, je suis en parfaite santé.

V.C. : Depuis quand pouvez-vous demander votre libération conditionnelle ?

 Depuis le 26 février, je suis conditionnable comme on dit en prison.

V.C. : La demande que vous allez faire, c’est la première ?

 C’est la première. Elle a été retardée jusqu’à l’ultime limite puisque la demande de libération doit être examinée dans les six mois. Je l’ai posée le 28 février. Les autres ont déjà été examinées, ils ont leur réponse.

V.C. : Quand vous dites les autres, c’est d’autres prisonniers ?

 Les autres prisonniers Nathalie Ménigon et Georges Cipriani qui ont été arrêtés en même temps que moi. Leurs demandes ont déjà été examinées et ils ont leur réponse.

V.C. : Qui est négative.

- Ils sont aujourd’hui devant les cours d’appel.

V.C. : Quelles sont les conditions qui sont requises pour pouvoir vous libérer ?

 Un domicile et un travail.

V.C. : Et vous avez les deux ?

 Oui. Normalement sauf accident et sauf volonté explicite de refuser, sans examen de ma situation, normalement la prochaine commission va reporter l’examen de mon dossier dans la mesure où aucune enquête n’a été faite sur le lieu de travail.

V.C. : Donc c’est pas fait dans les règles.

-Voilà, pour le moment, ils vont ajourner s’ils suivent une procédure normale.

V.C. : Mr M. me disait qu’il y avait eu d’abord une première date donnée, puis repoussée en septembre, puis à nouveau, on l’avait ramenée en juillet ?

 Au départ, c’était prévu le 18 juillet, mais le 18, c’était une commission normale prévue pour les petites peines. Donc, avec l’accord des avocats, ça avait été reporté en septembre, et finalement, devant le délai de six mois, ils ne voulaient pas faire une exception et doivent examiner, au minimum amener le dossier devant le tribunal.

V.C. : Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait ressentir que cette demande n’est pas faite dans de bonnes conditions ?

 Le seul fait, c’est que Nathalie Ménigon qui était très malade comme Georges Cipriani se sont vus opposer des réponses négatives sur la base de considérations politiques.

V.C. : Quelles sont ces considérations ?

 Reniement de notre engagement politique. Voir le texte que j’ai envoyé à Marseille pour le meeting de soutien du 18 juillet. Comme les tribunaux ont mis en avant des raisons politiques au refus, à ce moment là, c’est une réponse collective pour tous. On ne voit pas comment elle serait positive pour l’un et négative pour l’autre. Nous sommes toujours sur les mêmes bases, les trois.

V.C. : Donc vous pensez que c’est tout à fait à escient. Comment vous expliquez qu’il y a encore ce tabou ?

 Je pense qu’en ce moment le tabou est à nouveau en train de se retisser. Ce qui était possible de dire il y a deux ans pour nos affaires, que l’on attendait la fin de nos périodes de sûreté, etc.?, etc.?s’est durci, considérablement durci dans ces derniers mois. Aujourd’hui, on peut dire clairement que l’on a réactualisé l’échange politique qui était demandé au début de notre détention, c’est-à-dire la liberté contre un reniement officiel et la publicité de ce reniement, c’est-à-dire notre intervention vers le mouvement révolutionnaire en disant que toute forme de lutte, comme nous l’avons pratiquée, est inutile voire dangereuse.

V.C. : Et cela pour vous, c’est hors de question ?

- C’est hors de question.

V.C. : Pour quelle raison ?

 Car nous croyons toujours valable le positionnement communiste ? La lutte armée se fait dans des conditions objectives. Peut-être ces conditions n’existent plus. Je suis retiré en prison depuis presque deux décennies, je ne vais pas dire que ces conditions existent, qu’il faut faire la lutte armée, non. Mais ce que nous avons fait nous paraît une position valide.

V.C. : Donc, il n’y a pas de reniement, ce fameux repentir qu’on vous demande ?

- Non

V.C. : Donc, vous en êtes où par rapport à ce qu’il s’est passé ? Vous ne reniez pas, mais quel regard portez-vous avec un peu de recul ?

 On est obligé de parler avec du recul. L’histoire a changé. Nous avons lutté à une époque où existaient l’Union Soviétique, le mur de Berlin, où l’affrontement était totalement différent de celui d’aujourd’hui. C’est une évidence. Et d’ailleurs, pour asseoir leur chantage, les tribunaux d’application des peines disent que l’organisation Action Directe existe toujours, mais c’est de la pure folie. Ils confondent le mouvement de soutien avec l’organisation Action Directe telle qu’elle a existé. Elle n’existe plus depuis au moins seize ans.

V.C. : Quel regard portez-vous sur les actes terroristes qu’il y a actuellement ? Est-ce que vous vous considérez comme ayant commis des actes terroristes et quelle différence vous voyez avec ce qu’il se passe actuellement ?

 Il y a une différence essentielle : nous n’avons jamais commis d’attentat-massacre. Toujours nos cibles ont été déterminées à l’avance. Nous avons toujours attaqué des responsables et des gens puissants dans leur domaine. Nous n’avons pas touché de civil. Malgré tous nos attentats à la bombe, qui ont été nombreux, il n’y a eu aucun mort civil, blessé, etc.? Les seules parties civiles que nous avons eu en face de nous sont soit des policiers blessés, soit les familles du général Audran ou de Mr Besse.

V.C. : Les cibles en question ?

- Donc c’est une différence fondamentale.

V.C. : Sur vos motivations aussi, car votre démarche était très très politique. Actuellement, nous sommes dans un terrorisme purement religieux, ça n’a plus rien à voir ?

 Nous n’avons effectivement rien à voir avec les organisations religieuses. Le seul problème, c’est qu’aujourd’hui il y a une situation d’agression du monde arabe par les forces impérialistes américaines et anglaises, et qu’ils récoltent les fruits de leur politique.

V.C. : C’est la lecture que vous faites ?
- Oui, oui, c’est même la lecture du maire de Londres !

V.C. : Donc vous ne croyez pas à votre sortie ?

 Il y aura ajournement ou refus. Je ferai appel. Je passerai devant la cour d’appel de Pau et ensuite il y aura à peu près 18 mois et on repassera en commission. L’examen de notre prochaine demande de libération conditionnelle sera exactement au moment des élections de 2007.

V.C. : A un moment charnière ?

 Donc il est clair que nous ajournerons nos demandes puisqu’elles sont politiques, nous ne voulons pas non plus qu’elles soient utilisées politiquement.

V.C. : Qu’est-ce que vous envisagez après votre sortie ? C’est quelque chose à laquelle vous pensez ?

 Quand vous avez passé 20 ans en prison, dans un temps complètement arrêté ? Je pense que je vais être confronté à une situation dont j’ignore complètement le rythme.

V.C. : Vous pensez avoir à nouveau ?ou peut-être n’avez-vous jamais cessé ,des activités militantes.

- Je n’ai jamais cessé ?

V.C. : Donc vous poursuivriez dans l’absolu votre combat.

- Je suis toujours un militant communiste. Je pense que je le resterai.

V.C. : La violence peut être encore une chose que vous pouvez mettre en avant ?

 Pour moi je suis en bonne santé, mais pour mes deux camarades malades, c’était déjà une perspective complètement obsolète.

Le problème est que l’on nous oppose le fait qu’en 1981, quand on nous a acquitté, nous avons recommencé. Nous n’avons pas recommencé, nous avons toujours fait. A l’époque, quand nous sommes sortis, il existait notre organisation avec plusieurs dizaines de personnes qui étaient clandestines. Nous avons repris notre place dans le combat tout normalement quand on s’est retrouvé dehors. Ce qui se passe aujourd’hui c’est que la situation a changé, notre organisation n’existe plus, il n’existe plus d’organisation armée communiste. Ce serait du pur volontarisme de faire quoi que ce soit dans ce sens.

V.C. : Qu’est-ce que vous comptez argumenter devant le juge d’application des peines ?

- Absolument rien.

V.C. : Vous laissez parler votre avocat !

 Non, non ,même pas. On va écouter ce qu’ils ont à dire. Je fais venir Maitre Etelin par respect pour la cour qui n’a pas été agressive pour moi jusqu’à présent. Mais je ne compte pas donner d’explications dans la mesure où j’ai donné le domicile et le travail, ce que l’on demande aux prisonniers demandant une libération conditionnelle.

V.C. : Votre comportement joue en votre défaveur à l’intérieur de la prison ?

- Non, non, il n’y a rien qui puisse à l’intérieur s’opposer à une libération.

V.C. : Vous envisageriez de vivre à Auch si vous sortiez ?

- Bien-sûr.

V.C. : Chez votre maman ?

 C’est ma ville natale, c’est là que j’ai vécu gamin. J’ai encore des attaches dans cette ville.

V.C. : Vous vous attendez à rester un moment. Formulez-vous désormais un espoir de sortie, dans les mois qui arrivent ?

 Non absolument pas, dans la mesure où dès qu’il y aura ce refus, nous ne pourrons pas poser de demande de libération avant plus de 18 mois, donc il faut compter au minimum deux ans de détention.

V.C. : Du coup, ça devient très long, vous pensez à la perpétuité ?

- Je pense que l’aspiration de la justice américaine pour les autorités françaises est très forte.

V.C. : C’est-à-dire ? Je n’ai pas compris.

 Les réformes des lois comme le plaider-coupable, etc.?et on le voit en prison aussi. Il y a une tentation pour, non pas la dire, mais la rendre effective pour certains prisonniers.

V.C. : Cette fameuse perpétuité ?

 La perpétuité réelle.

V.C. : Justement, en ce moment votre demande ne tombe pas très bien, puisque Sarkozy vient de relancer le débat sur la remise en liberté, sur la récidive. On est en pleine période d’attentats ?

 Nous ne sommes pas récidivistes. Aucun d’entre nous n’a été jugé antérieurement par des cours d’assises.

V.C. : Le fait qu’il y ait ce débat là, pensez-vous que ça peut aussi jouer en votre défaveur ?

 Oui, oui, tout joue en notre défaveur, il n’y a pas beaucoup de choses positives. Bien que les détenus qui ont lutté avec nous en Belgique sont libérés, en Allemagne ils sont pratiquement tous libérés, les trois derniers doivent être libérés cette année. En Italie, la très grande majorité des camarades qui ont été arrêtés là-bas, ont été libérés.

On en arrive des fois à des situations ubuesques : par exemple, l’auteur direct des faits pour lesquels Régis Schleicher est emprisonné comme complice a été libéré il y a six ans et lui, le complice, est toujours en prison.

V.C. : Pourquoi dites-vous que depuis quelques mois nous sommes revenus à une situation défavorable à votre libération ? Comment l’expliquez-vous ?

 Parce que nous personnalisons une lutte à travers laquelle s’est fondé un accord entre une extrême gauche qui renonçait à ses objectifs et un pouvoir qui s’est extrêmement durci. Nous sommes des symboles. C’est aussi clair que cela ,et en même temps on est ce genre de fauves ? un peu comme l’empire romain promenait ses vaincus. On nous met un anneau dans le nez au bout d’une chaîne et on nous fait tourner un peu devant une caméra en disant « vous voyez comme on est dur, comme on est féroce. »

V.C. : Effectivement, l’image est très forte. Pour moi, c’est terminé, vous avez quelque chose à rajouter ?

 Non, non, mais vous trouverez dans le texte des éléments de réponse à cette dernière question.

http://www.action-directe.net

Messages