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Flexibilité = zéro emploi

Publie le jeudi 25 août 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Michel Husson

Toutes les politiques néo-libérales "de l’emploi" reposent sur un postulat unique : le chômage n’existe que parce que le travail n’est pas une véritable marchandise. Si c’était le cas, le salaire, considéré simplement comme le prix du travail, devrait pouvoir baisser et ajuster l’offre à la demande. Seulement voilà : toute une série de rigidités sur ce "marché" particulier y font obstacle, qu’il s’agisse du salaire minimum, des "charges" sociales ou du droit du travail. Et les indemnités trop "généreuses" allouées aux chômeurs les encouragent à s’installer dans le "luxe" (pour reprendre l’expression de Michel Bon quand il était président de l’ANPE) de ces "trappes à chômage".

Les recettes néo-libérales se déduisent de ce postulat. Ainsi, Pierre Cahuc et Francis Kramarz proposaient, dans un rapport récent pour Sarkozy et Borloo, de passer « de la précarité à la mobilité », suivant en cela l’analyse du chômage développée par Cahuc, avec André Zylberberg, dans leur livre Le chômage, fatalité ou nécessité ? (Flammarion, 2004). Le petit détail est que cette analyse ne réussit pas à expliquer la création de deux millions d’emplois entre 1997 et 2001. Si la thèse des rigidités était juste, alors ces performances exceptionnelles - même en tenant compte de la croissance plus soutenue - devraient provenir d’une plus grande fluidité du marché du travail. Or il n’en a rien été : certes, le taux de rotation (demi-somme des entrées et sorties sur le marché du travail) atteint un point haut comparable à la reprise de la fin des années 80, mais pour des performances d’emploi bien meilleures. Et cette rotation plus rapide correspondait pour l’essentiel à des démissions de salariés qui saisissaient l’occasion de trouver de meilleures conditions d’emploi, au désespoir du patronat se lamentant aussitôt sur les « pénuries d’emploi ». En même temps, on a pu observer d’importants recrutements en CDI, et une pause dans le recours au temps partiel.

Les choses fonctionnent donc à l’inverse de ce que pensent les experts néo-libéraux : ce n’est pas la rotation plus rapide sur le marché du travail qui crée des emplois, c’est au contraire la dynamique de l’emploi qui accélère cette rotation, à institutions données. Le simple bon sens suffirait d’ailleurs pour mettre en doute ce théorème curieux selon lequel la liberté de licencier et d’embaucher permettrait de créer des emplois. En réalité, la formule gagnante au cours de cette « embellie » a été : stabilisation de la part des salaires, réduction du temps de travail, euro faible et politique budgétaire moins restrictive. L’épreuve des faits montre que c’est en tournant le dos à chacun des préceptes néo-libéraux que l’on a pu améliorer la situation de l’emploi, au moins temporairement.

Au cours de cette même période, le nombre de chômeurs a baissé de près d’un million. Etait-ce en raison d’un durcissement des conditions d’indemnisation ? Evidemment non : des emplois étaient créés et une partie de celles et ceux qui n’en avaient pas ont pu en trouver un. Et si deux millions d’emplois n’ont fait baisser le nombre de chômeurs que d’un million, c’est parce qu’un autre million
de personnes qui étaient jusque là sorties de la population active sont revenues sur le marché du travail. Elles n’étaient donc pas installées dans le « luxe » du chômage, mais dans sa fatalité.

Les néo-libéraux ne sont pas des imbéciles. Les politiques qu’ils préconisent ne paraissent absurdes que si l’on pense que leur objectif est l’emploi. Comment croire en effet que la fusion du CDD et du CDI en un contrat de travail précarisé pourrait en soi créer des emplois ? Aucune des mesures prises par de Villepin, qui vont toutes dans ce sens, ne saurait obtenir un tel résultat. En revanche,
elles vont dégrader la situation des salariés et des chômeurs. Car le chômage a son utilité : il exerce, avec la menace des délocalisations, une pression conjointe sur les uns et les autres. Les contraintes exercées sur celles et ceux qui n’ont pas d’emploi pour qu’ils acceptent n’importe quel salaire et n’importe quel statut conduit à dégrader la condition salariale dans son ensemble. La politique de ce gouvernement n’est rien d’autre qu’une entreprise de déconstruction sociale.

http://hussonet.free.fr/flexzero.pdf

Messages

  • Eh oui, le chômage est une invention et sa considération intrinsèque se résume à un paramètre dans une équation.

    Extrait de l’article : " Le hit parade des néfastes sur e-torpedo "

    "Pas un animal, mais un concept, un secret bien gardé, mais qui circule bel et bien dans les rangs d’une poignée d’investisseurs ou d’experts. Il a été fixé à 9% par le ministère des Finances pour l’année 1997 et a été récemment repris dans le rapport Charpin sur l’avenir des retraites. Il correspond à un taux « naturel » de chômage et est accessoirement un mythe ultralibéral controversé qui nous vient des Etats-Unis. Il s’agit du Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment et nous a été imposé, entre autres, par Milton Friedman, un des gourous de l’ultralibéralisme. En clair, les économistes le définissent comme le niveau du taux de chômage qui stabilise l’inflation. Il serait naturel de garder sous le coude un nombre élevé de chômeurs tout en promettant le divin plein-emploi sans inflation et très rentable pour certains. L’idée est de faire en sorte que les décisions politiques ne conduisent pas à utiliser les dépenses publiques ou la croissance de la masse monétaire pour réduire le chômage. Reste donc le chômeur..."

    Il est grand temps de reconsidérer la valeur du travail et sa définition. Voir sur ce site un article en deux parties qui reprend, entre autres, des notions de Harribey qui sont présentes sur le site de Michel Husson.

    La peur de l’ennui est la seule excuse du travail - 1 ere partie

    La peur de l’ennui est la seule excuse du travail - 2 eme partie

    Salut

  • Ben oui mon Husson, tout est là et ta phrase résume bien les choses :

    Les néo-libéraux ne sont pas des imbéciles. Les politiques qu’ils préconisent ne paraissent absurdes que si l’on pense que leur objectif est l’emploi.

    Et leur objectif n’est pas l’emploi. Non pas qu’ils adorent le chômage mais ce qui leur importe ce sont les interets court terme de leur milieu...

    Et il y a donc deux aspects permanents dans nos sociétés démocratiques que des politiques libérales doivent mener de front :

    1) Essayer de faire croire que leur objectif est la réduction du chômage et le bien être de la majorité.
    2) Augmenter la part de la bourgeoisie dans l’accaparement des richesses produites.

    Ou, pour résumer :
    1) Mentir
    2) Cogner

    Faire apparaître le mensonge en surface, que la majorité sociale puisse le mettre (le mensonge) en relation avec les attaques qu’elle subit et, enfin, l’humanité avance...

    Ou autrement dit, la bataille sur le TCE, à partir du moment où le mensonge était établi aux yeux de la majorité sociale et que celui-ci rentrait en résonnance avec le sort concret et au quotidien de cette majorité, la bataille démocratique était gagnée...

    Mais pour celà il a fallu infliger une défaite aux menteurs sur, au moins, un des médias les plus populaires, en l’occurence Internet.

    Sans celà je pense que nous auions perdu.

    A méditer au delà du sujet précis abordé...
    Non pas qu’en défense d’un endroit de liberté mais en termes de conquêtes.

    Copas