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George Clooney dépeint le maccarthysme en noir et blanc

Publie le samedi 3 septembre 2005 par Open-Publishing

de Jean-Luc Douin

Une partie de la presse italienne accuse Marco Müller, son directeur, d’avoir vendu la Mostra aux Américains. Une autre partie lui reproche de faire la part trop belle aux Asiatiques. S’ils sont de bonne foi, ces gens-là ont dû convenir ensemble de leur mauvaise foi en découvrant les films de George Clooney et d’Ang Lee.

Indéniablement, le Festival de Venise flatte les majors en accumulant, hors compétition, des oeuvres plus ou moins ambitieuses, dont nombre sont également programmées au Festival de Deauville avant leur sortie en salles, imminente. Mais concernant la course au Lion d’or, qui songerait à contester la sélection de Good Night, and Good Luck ?

Dans un noir et blanc qui restitue l’atmosphère et l’esthétique de l’époque, des films de Richard Brooks comme des auditions orchestrées par la fameuse croisade anticommuniste, George Clooney rend hommage à un journaliste, Edward R. Murrow, qui, pendant les années 1950, s’employa à dénoncer sur CBS les mensonges et manipulations politiques du sénateur McCarthy. Le sujet lui tenait à coeur : Clooney est le fils d’un journaliste pour lequel Murrow était un héros.

C’est sans concession (très bavard, le film se déroule presque entièrement dans les locaux de la chaîne de télévision) qu’il retrace la ténacité du chroniqueur face à la machine de terreur mise en place par l’inquisiteur, la paranoïa déclenchée par la "liste noire", les pressions exercées via les patrons de la chaîne et les sponsors.

Mais George Clooney ne fait pas mystère de sa principale motivation : loin de vouloir signer un biopic de Murrow, modèle de courage et d’indépendance en dépit des menaces de licenciement ou suicides de ses proches, il a réalisé Good Night, and Good Luck avec des arrière-pensées. "On peut voir de nombreuses similitudes entre la chasse aux sorcières déclenchée par McCarthy et la manière dont, aujourd’hui, le pouvoir use de la peur afin de réduire nos libertés."

Le Patriot Act imposé par George W. Bush est en ligne de mire, comme "les faux documents censés prouver que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive. J’ai grandi dans les coulisses des médias, et ce dont je suis le plus fier dans mon pays, c’est de la liberté d’expression. La perte des libertés civiles acquises pendant trente ans est une catastrophe. Le jour où Walter Cronkite, de retour du Vietnam, a déclaré que la guerre était une erreur appartient aux heures glorieuses de notre histoire. Celui où Murrow a traité McCarthy de criminel aussi".

George Clooney fait partie des artistes qu’on a traités de "traîtres" parce qu’ils s’opposaient à l’intervention américaine en Irak. Il n’est jamais vain de donner des leçons de démocratie, ni d’instruire sur les discutables missions du FBI (prononcé ici par la traductrice, à la française : "ef-bé-ii").

DEUX INNOCENTS

Ceux qui n’identifiaient le Taïwanais Ang Lee que comme l’auteur de Tigre et dragon, calligraphique ballet d’escrimeuses dans la Cité interdite, en seront pour leurs frais. Le disciple de King Hu vit depuis vingt-sept ans aux Etats-Unis, et le film qu’il nous propose sous pavillon canadien troque le maniement de la cape et de l’épée pour celui du Stetson et du barbecue.

Situé en 1963 dans le Wyoming et adapté d’une nouvelle d’Annie Proulx, Brodeback Mountain est un western gay. Engagés pour garder un troupeau de moutons sur les cimes, deux jeunes cow-boys se découvrent attirés l’un par l’autre mais, leur mission accomplie, partent chacun de leur côté vivre leur vie dans la norme, et se marient.

L’éloignement attise leur passion. Jack et Ennis se sentent bien ensemble et, tous les quatre ans, se retrouvent avec bonheur pour de romantiques escapades, au grand dam des épouses au foyer. L’un finira par divorcer et croupir dans la solitude, l’autre sera victime d’une bastonnade anti-pédé.

Ang Lee traite cette histoire d’amour interdit (et à peine consommé) avec beaucoup de délicatesse. Plus qu’un "bivouac, sexe et rodéo", Brodeback Mountain dépeint la honte et la frustration de deux innocents, contraints de refouler leurs pulsions au pays des machos, des brutes et des ploucs. Sujet rarement traité dans un genre voué à exalter les durs et conquérants, qui séduisent et repartent, sans se retourner.

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