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Reporters Sans Frontières pédale à vide

Publie le lundi 5 septembre 2005 par Open-Publishing

de Line Arez Demoro

Il suffit de fréquenter le site Internet de RSF (3.05.2005) pour être édifié sur son allégeance à l’US Army. En première page, nous lisons : « Guerre en Irak : Le conflit le plus meurtrier pour la presse depuis la guerre du Viêt-nam. 66 journalistes et collaborateurs des médias tués, 29 enlevés.

L’Irak est aujourd’hui le pays le plus dangereux du monde pour les journalistes. La guerre en Irak est le conflit interétatique le plus meurtrier pour les journalistes depuis la guerre du Viêt-nam. 63 journalistes avaient alors été tués, mais sur une période de vingt ans s’étalant de 1955 à 1975. Au cours du conflit en ex-Yougoslavie, entre 1991 et 1995, 49 professionnels des médias avaient trouvé la mort dans l’exercice de leur profession. »

(Curieusement, et sans en donner la raison, RSF explique que « Les 22 journalistes tués pendant la guerre au Kosovo en 1999, dont les seize employés de la radiotélévision serbe morts dans le bombardement de leurs locaux par des avions de l’OTAN, ne sont pas pris en compte. » Pourquoi ? Parce que l’OTAN est commandée par un général nord-américain ?

Chacun sait que, si les journalistes meurent en grand nombre en Irak depuis 2003, c’est parce qu’une invasion armée les y a attirés et, pour une part, parce que les forces d’occupation ont la gâchette facile dans l’impunité totale. Mais, à ce stade, l’article de RSF évite de situer les responsabilités. Le mot « Américains » n’est pas imprimé et cet exploit journalistique est réalisable par l’usage de la forme passive dans la construction des phrases : « avaient été tués », « avaient trouvé la mort ». Ce subterfuge dévoilé, le lecteur peut se régaler à observer la troncature systématique de l’information dans le reste du rapport, afin de ne pas dire qui tue les journalistes : « En Irak, la violence à l’égard de la presse s’est exercée dès le premier jour du conflit.

Paul Moran, cameraman australien de la chaîne ABC, a été victime d’un attentat dès le 22 mars 2003. Onze journalistes et collaborateurs des médias ont été tués au cours des mois de mars et avril suivants. La situation s’est lentement apaisée ensuite pour se dégrader de nouveau début 2004, au moment de la recrudescence des attentats et des actions de groupes armés présents dans tout le pays. Un nouveau pic a été atteint au mois de mai 2004 pendant lequel neuf représentants de la presse ont été tués. Depuis, quasiment chaque mois, un ou plusieurs journalistes ont été assassinés. Neuf d’entre eux sont tombés dans les premiers mois de 2005. »

Suit alors, en page intérieure, un long rapport, illustré de graphiques, de « fromages » et d’un tableau qui nous apprend quoi ? : la répartition des morts par âge, sexe, nationalité, lieux, périodes, motifs, média employeur, etc. On croirait lire un rapport de stage d’un prudent étudiant en première année à qui on aurait dit : « Tu seras noté sur ta capacité à éviter de parler des Ricains. »

Et le rapport se déroule donc en nous frustrant du mot tabou. Si un « fromage » nous révèle que, parmi les journalistes tués, 4% le sont par un char, 5% par des missiles, 71 % par des tirs, il nous cache la nationalité des chars, des missiles et des tireurs. Mieux, un commentaire déplore que les journalistes soient « la cible potentielle pour ceux qui cherchent par tous les moyens à déstabiliser la coalition anglo-américaine et les nouvelles autorités irakiennes ». Ici, les responsables sont donc clairement désignés : ce sont ceux qui luttent contre l’occupant et les collabos.

Hélas, les forces US ont dû reconnaître depuis 2003 quelques « bavures ». Du coup, RSF ne peut les masquer et, vers la fin de son rapport, nous lisons que, dans 8 cas ; (14%) « les forces américaines reconnaissent des « erreurs et dommages accidentels » [...] bavures commises « selon les règles de la guerre », « en état de légitime défense ». Comprenne qui pourra : « des erreurs dans les règles ! »

Enfin, « Six familles ont écrit au congrès américain pour demander justice. »

La première question est : puisque RSF est une association qui « dénonce les violations de la liberté de la presse dans le monde » qui « défend les journalistes », qui dispose d’un réseau (« Damoclès ») chargé d’engager des poursuites afin de mettre fin à l’impunité des tueurs de journalistes, va-t-elle entreprendre une action concrète, au moins dans les huit cas reconnus par les USA et dans le soutien des six familles qui réclament justice ? Mener une enquête, porter plainte, aider financièrement les plaignants pour des frais de procès ?

Le maître mot de la phrase précédente est « action », ce qui est différent de « déclaration ». Trop souvent (toujours ?), dès que les Etats-Unis sont impliqués, RSF est indignée, scandalisée, troublée, elle exige, réclame une enquête, des sanctions, un rapport détaillé. Blablabla et poudre aux yeux.

Sauf quand elle s’intéresse à des pays du tiers monde, RSF pédale à vide ; il serait bon de remettre la chaîne sur le pédalier car le surplace commence à se voir (si possible, remettre aussi la sonnette « Rik-king !).

La deuxième question est : comment s’appellent déjà ces organisations US qui financent RSF et dont les versements, enfin reconnus par Robert Ménard, ne figurent pas dans les comptes publics de l’organisation ?