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On n’en a pas fini avec l’exclusion

Publie le lundi 23 juin 2003 par Open-Publishing

Editorial

par Denis Clerc (*)

On n’en a pas fini avec l’exclusion

Derrière les retraites, l’emploi. Regardons comment ce front va sans doute évoluer dans les cinq à dix ans à venir. On peut pronostiquer une bonne et une mauvaise nouvelles. La bonne : le plein emploi va sans doute revenir. La mauvaise : cela ne suffira pas à en finir avec l’exclusion.

Le retour du plein emploi ? Beaucoup penseront qu’il faut être téméraire ou inconscient pour y croire, alors que le chômage grimpe à nouveau et que l’Insee prévoit, au moins, 100 000 chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année. Mais cela ne doit pas nous aveugler sur un changement fondamental. Les générations, qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail, comprennent 800 000 personnes, tandis que celles qui le quittent en comptent 550 000. Cette différence entre les arrivées et les départs fait gonfler le chômage, dès que les créations d’emplois ne sont plus, ou plus suffisamment, au rendez-vous.

Dans quatre ans, les flux seront inversés : les générations qui sortiront du marché du travail seront grosses de 850 000 personnes, tandis que celles qui arriveront n’en comprendront que 750 000. Ce sera inquiétant pour les retraites, mais bon pour l’emploi : alors qu’aujourd’hui le chômage augmente, lorsqu’on ne parvient pas à créer au moins 150 000 emplois, demain, il diminuera même lorsqu’il n’y aura pas d’emplois supplémentaires créés. Or, des emplois supplémentaires, il faudrait vraiment une très grosse crise pour que l’économie française n’en crée pas : au cours des trente dernières années, elle en a créé trois millions. Qu’elle continue à ce rythme, dix ans encore, et le chômage diminuera de plus de la moitié. Voilà pourquoi la perspective du retour au plein emploi n’est pas déraisonnable.

Mais cela, pourtant, risque de ne pas suffire à réduire l’exclusion dont tant de gens sont victimes. On peut espérer que, face à des difficultés de recrutements accrus, certains employeurs accepteront d’embaucher des demandeurs d’emploi qu’aujourd’hui ils préfèrent écarter, parce qu’ils doutent de leur efficacité ou cherchent des candidats plus expérimentés. Les employeurs en question feront alors un effort de formation pour adapter les demandeurs d’emploi à leurs besoins. Mais une partie importante des chefs d’entreprise préférera sans doute, par prudence, attendre des candidats plus « performants » plutôt que de pourvoir les postes avec des candidats dont ils craignent qu’ils ne soient pas à la hauteur. Si bien que les capacités professionnelles des demandeurs d’emploi ainsi écartés ­ laissées en friche ­ auront tendance à s’amenuiser. Dans le meilleur des cas, il ne leur restera que des « petits boulots », ceux dont personne ne veut, parce qu’ils sont mal payés, précaires ou réduits à quelques heures par semaine. Dans une société de plein emploi, ceux qui resteront ainsi sur le carreau seront regardés avec encore plus de suspicion qu’aujourd’hui, en période de chômage de masse.

Si l’on refuse cette mise à l’écart des plus fragiles ou des moins performants, il faut donc créer ou maintenir des structures où ils puissent, eux aussi, acquérir et développer des capacités professionnelles. Des structures qui redonnent compétence et confiance dans le domaine économique à ceux qui n’ont plus ni l’une ni l’autre et qui ramènent vers l’emploi de qualité ceux qui n’ont comme horizon que le chômage de longue durée ou les « petits boulots ». Cela s’appelle « l’insertion par l’activité économique » : entreprise d’insertion, chantiers-écoles, associations intermédiaires...

Demain, avec le retour vraisemblable du plein emploi, ces structures seront encore plus nécessaires qu’aujourd’hui pour empêcher que les moins chanceux ne soient relégués en marge d’une société où le spectre du chômage de masse aura disparu, mais pas celui de l’exclusion.

(*) Président d’Économie et Humanisme. Est intervenu sur ce sujet au récent colloque du PLIE (Plan local pour l’insertion et l’emploi) rennais.

Ouest france