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Justice sous influence

Publie le jeudi 15 septembre 2005 par Open-Publishing
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de Bernard Lallement

Didier Tillineau, âgé de 39 ans, a été condamné en 2002, par deux Cour d’Assises, à 30 ans de réclusion criminelle, dont 20 de sûreté, pour le meurtre de deux jeunes femmes. Atteint d’un cancer de la plèvre il était hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. Son état de santé empire au point qu’il demande à bénéficier des dispositions de l’article 720-11-1 du code de procédure pénale, introduite par la loi Kouchner du 4 mars 2002, permettant une interruption de la peine pour "les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention..."

Deux experts médecins rendent un rapport convergeant : la maladie dont est atteint le détenu entre dans le cadre de la loi. Le juge de l’application des peines des Sables d’Olonne, suivi par la Cour d’appel de Poitiers, ordonne sa libération. Didier Tillieneau retourne chez ses parents. Dans le climat répressif actuel, ce criminel ne saurait susciter la sympathie et, encore moins, la compassion. Mais, dura lex. sed lex ! La loi doit s’appliquer à tous, sans aucune distinction.

L’histoire serait passée inaperçue si le condamné ne résidait pas près de la famille d’une des victimes qui a vu, dans cette libération, une provocation et une offense à sa douleur. Leur avocat saisit une première fois Dominique Perben. Le Garde des Sceaux fait diligenter une deuxième expertise médicale confirmant le diagnostic. L’affaire pouvait, aurait dû, en rester là, mais la partie civile ne désarme pas et continue de faire le siège de la Chancellerie arguant d’un risque de récidive. Pascal Clément, nouveau ministre de la Justice, désigne, encore une fois, deux autres experts, les docteurs Edmond Chailleux et Olivier Rodat qui concluent à l’impossibilité de confirmer ou d’infirmer le fait que le pronostic vital est engagé et considèrent que l’état de santé du condamné est compatible avec un traitement en détention.

Didier Tillineau est remis en prison. Le juge de l’application des peines doit décider, aujourd’hui, de son maintien en détention.

Cet épisode démontre les dérives d’une institution judiciaire prise en otage d’une opinion publique instrumentalisée par une classe politique en campagne électorale.

A partir de cas isolés, certes douloureux et inacceptables, le président de la République et le ministre de l’intérieur étaient montés au créneau sur le terrain de la multi récidive, faisant fi, au demeurant, des statistiques officielles montrant que la commission de nouveaux délits est plus rare chez les libérés conditionnels ou les condamnés à de longues peines.

Après s’être engagé à « débarrasser la France des voyous » Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à appeler à des sanctions contres les magistrats qualifiés de laxistes pour avoir mis en liberté des détenus entrant dans le champ d’application de la loi sur la libération conditionnelle. On se souvient de son intervention, à l’Assemblée nationale, à propos du meurtre du Nelly Cremel

En vue d’une surenchère sécuritaire afin de séduire l’électorat lepéniste, l’opinion est prise à témoin d’une France dans laquelle la justice ferait preuve d’une mansuétude envers la délinquance élevée, pour la circonstance, en haut responsable de nos maux. Il est vrai que remplir les maisons d’arrêt est plus facile, et remarquable, qu’endiguer la hausse récurrente du chômage et la résorption des inégalités. Depuis Surveiller et Punir, de Michel Foucault, rien n’a changé en ce domaine.

La peur de la ménagère est le plus sûr soutien d’un gouvernement en mal de projets et d’actions.

Définir une politique pénale en prenant appui sur le seul volet des victimes ne peut que renforcer ce sentiment. D’aberration en aberration, on en arrive à cette extraordinaire duperie qui consiste à vouloir confondre l’espace judiciaire et celui du champ thérapeutique, dénoncée, avec raison par des professionnels comme le docteur Daniel Zagury, expert psychiatre près les tribunaux : « La confusion entre espace judiciaire et espace thérapeutique est totale. Seul le procès permettra aux victimes de « faire leur deuil », dit-on. Sinon, elles sont comme des morts sans sépulture. Le procès devient une condition sine qua non du deuil et les peines les plus lourdes sont parées de l’aura thérapeutique ! Absurde. Le deuil obéit à un processus intime, singulier.. »

De même que faire participer les parties civiles aux modalités d’exécution de la peine, ressortissant du seul pouvoir régalien de l’Etat, ne peut que renforcer les sentiments de vengeance et de haine.

Aussi, serait-il temps de se remémorer quelques principes, intangibles dans une démocratie.

D’une part, l’absolue séparation du pouvoir judiciaire et du politique interdisant à ce dernier de ce mêler, y compris sur la place publique, des affaires de justice. D’autre part, rappeler que juger consiste, essentiellement, à apprécier l’inobservation d’une règle de droit et y apporter, dans le cadre des lois qui régissent la société les sanctions que des magistrats, en leurs intimes convictions, jugent appropriés au cas qui leur est soumis et aux parties qui comparaissent devant eux. Il ne peut, il ne doit, y avoir dans une décision judiciaire de quelconque connotation morale ou politique. Le juge n’est ni un clerc et encore moins un législateur. Les jugements sont rendus « au nom du peuple français » et non pas au service d’une faction de celui-ci.

Le sort de Didier Tillineau est de l’exclusive compétence des magistrats. Laissons-les, sereinement, faire leur travail dans le stricte domaine qui est le leur : l’application de la Loi. L’intervention, en ce domaine de Pascal Clément, dont les intentions politiciennes n’échappent à personne, ne peut que renforcer le sentiment d’une justice sous influence.

Au demeurant, Maurice Papon, collaborationniste du régime de Vichy avait envoyé à la déportation 1560 personnes, dont des enfants et personnes âgées, pour la simple raison qu’ils étaient juifs. Condamné à 10 ans de réclusion criminelle, il fêtera sa troisième année de suspension de peines pour les mêmes motifs que Didier Tillineau. A ce que je sache, durant ces trois ans, la Chancellerie n’a diligenté aucune contre expertise médicale.

Le Garde des Sceaux, dans une circulaire, entend dorénavant conditionner le bénéfice de la loi Kouchner, à l’absence de troubles à l’ordre public et de dangerosité, conditions parfaitement illégales car non prévues par le législateur.

Nathalie Ménigon, ancien militante d’Action directe et emprisonnée depuis 1987, victime d’accidents vasculaires cérébraux à répétition et devenue hémiplégique, a vu, pour la quatrième fois, sa demande de suspension de peine refusée.

Ainsi, pour le ministre de la justice, envoyer dans des camps d’extermination nazis 1560 personnes, au seul motif qu’ils étaient juifs, ne saurait causer quelque trouble à l’ordre public que ce soit et Maurice Papon peut jouir de la quiétude de son foyer et des soins prodigués par ses médecins personnels sans qu’aucune expertise ne viennent apprécier son pronostic. Quant aux familles des déportés qui s’en soucie ?

Maurice Papon était un haut fonctionnaire de la République, il a été condamné pour crime contre l’humanité, Didier Tillineau et Nathalie Ménigon sont de « simples » criminels. Là est toute la différence.

La fable reste, toujours d’actualité : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »

Et ce sera justice !

Article paru dans le blog de Bernard Lallement :

http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • Loïc Le Floch Prigent, l’ex patron d’Elf, condamné pour escroquerie, a aussi bénéficier de la lo Kouchner et va très bien..... On l’a vu il y a quelques mpois chez Fogiel présenter son livre de recettes de ... cuisine !!!!

    Comment ne pas voir là une justice de classe ?

  • En définitive, Didier Tillineau restera en prison . "Didier Tallineau restait en état de nuire, son voisinage attestait d’ailleurs qu’il menait un mode de vie classique. L’Histoire nous a appris qu’on pouvait gouverner pendant 14 ans avec un cancer, qu’on pouvait gagner le Tour de France avec un cancer. Je ne voudrais pas qu’un tueur en série puisse récidiver avec un cancer" a déclaré Me Stéphane Maître, avocat d’une des parties civiles, à l’origine des démandes de contre-expertises.