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T’as l’air triste

Publie le jeudi 22 septembre 2005 par Open-Publishing

de Serge Rivron

La belle est finalement arrivée à le dire, ça fait des heures qu’on s’¦illade, qu’on s’renvoie des "il fait mieux chez toi qu’où je suis", des "attends-moi", des "qui sait ?" - la belle que je n’attendais pas ce soir, ni aucun soir sans doute, et elle pareil, qui sait pourquoi ? d’un coup se lâche : "t’as l’air triste, tellement triste..."

On dit dans les magazines, toujours, depuis mon adolescence, depuis qu’ils parlent de cul sans arrêt, les magazines, depuis que c’est ce qu’en “haut lieu” on a réalisé que c’est ce qui vendait, le cul, le vague frisson qui empare tout le monde à chaque fois qu’on met des mots sur les coquetteries qu’on aime sentir dans les yeux et sur la peau des autres, et puis maintenant des images dégueulasses qui pimentent les émois, depuis qu’on a compris que c’est ce qui émoustillait à tel point les animaux qui croupissent en nous - on dit dans les magazines que ce qui emballe les femmes à tout coup c’est surtout pas la gueule, c’est l’humour, Pépette, rien ne vaut la rigolade qu’on déclenche sur fond de vulve échaudée, j’te jure, de l’humour les mecs, y’a que ça... Ouais... Moi j’ai toujours eu la gueule qui allait presque chialer... La belle du soir a raison, j’ai l’air triste, tellement triste... sûrement... Y-a-t-il vraiment de quoi se réjouir, au fond ?... D’ailleurs...

Petit con qui me lit, un truc : si tu dragues, ou si t’as l’impression de draguer, surtout te force pas la nature. Si t’as la banane, il paraît que ça vend, alors vends-la, essaie de la placer. Mais si t’as le fond maussade, dissimule pas, ce serait grotesque. Tiens ta vie, file ta corde ! lâche jamais ton ombre pour la proie. Les souriants finissent tous comme en politique : on commence par croire en quelques-uns, puis on finit entouré de dindes et de faisans. Les filles qui valent le coup qu’tu veux leur mettre, et qui te convaincront de recommencer longtemps, elles ne ressemblent pas au portrait miteux des magazines, elles n’ont pas la tête à claques des clients aux agences de pub. Elles ont des poils sous les bras, elles ne se rasent pas forcément le pubis. Leurs rêves de connes ont pas besoin des rubriques "trend" pour deviner qu’ils ne valent pas un clou.

“T’as l’air tellement triste”, elles disent, et tu l’entendras des centaines de fois si c’est vrai. Y’a pas de quoi se réjouir, vraiment. “T’as l’air triste”. Okay, j’ai l’air triste.

Mon air triste, je vais essayer de te dire pourquoi, maintenant, et après on verra si ça vaut le coup d’essayer d’effleurer nos peaux, de se réjouir un peu là où ça marche à peu près toujours. Je vais te chanter la chanson qu’aucun politique n’ose, depuis que la démocratie nous a définitivement vendus aux cons, la belle, à la démago qui fait mouiller tes organes de glaires usurpées, de rien, de petits vents.

Je trouve que le monde pue la mort, rien moins, la trouille, la petite révolte en télécommande, la facilité.

Je trouve que les hommes (et les femmes, on est obligé par la bétacratie de le préciser) oublient de plus en plus leur effrayant devoir au profit de la valse écoeurante de leur minable survie.

Je trouve qu’on s’immole de plus en plus à l’image, qu’on s’y brûle totalement et volontairement, et que ce n’est pas drôle du tout.

Je trouve qu’on a beau être des “foules sentimentales”, on ne le montre qu’à mauvais escient, juste pour acheter des chansons mielleuses à deux balles, pour s’envoûter les soirs d’ivresse qu’on nous autorise, et puis rien.

Je trouve que les “sentiments” sont un mauvais programme.

Je trouve qu’on n’arrête pas de nous vendre des sourires qui n’ont rien à voir avec nos vies, et qu’on les achète quand même on sait pertinemment qu’ils ne nous valent rien. Je trouve que les hommes (et les femmes) sont fainéants et lâches. Je n’ai aucune espèce d’espoir en l’espèce humaine, et pardonne-moi si ça me donne l’air triste.

Je trouve que je suis un membre à part entière de l’espèce humaine, et que toi aussi. Voilà pourquoi je fais un peu la gueule... Ah ! tu dis que je devrais faire de la politique ? - Sûrement... Mon discours est hyper-vendeur ? Sexy même ?... Fais gaffe, je suis une bombe entre des doigts... Tant pis ?... Tant mieux ?...

... Okay : mais pourquoi t’as l’air si triste ?

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