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RÉVEIL (réflexion sur un engagement politique)

Publie le mardi 25 octobre 2005 par Open-Publishing
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Le Yéti

Ce matin très tôt, trois hérons jaillirent du marais qui borde le fleuve, pour se laisser porter un instant par les courants d’air chaud. Le soleil levant embrasait le ciel et les roseaux que l’automne commençait à jaunir.

Dans les grands arbres, une chouette effraie hurla une dernière fois de plaisir avant de s’en retourner dormir.
Dites-moi, mais dites-moi ce qui m’a pris, à cet instant précis, d’aller appuyer sur le bouton de la radio !

Le tumulte du monde submergea brutalement ma cuisine :

 un Premier ministre aux faux airs d’un Assurancetourix enjôleur bradait subrepticement les bijoux de famille du Service public à ses copains ;

 un petit ministre de l’intérieur continuait de pérorer devant une basse-cour médiatique extasiée ;

 en Irak, trois nouveaux kamikazes ivres de bondieuseries explosaient et déchiquetaient des foules qui n’en pouvaient mais ;

 la Chine secouait toujours les plaques tectoniques de la planète économique et déclenchait des tsunamis ravageurs dans les réserves de pétrole ;

 pour ne pas être en reste, un énième cyclone ravageait les Amériques, révélant une nouvelle fois l’incroyable fragilité et l’insupportable vanité du genre humain ;

 enfin, un assureur "militant" (sic) et une banque "partenaire"(re-sic) sponsorisaient stupidement ces désastres annoncés.

C’était dingue ! Le monde était devenu totalement dingue ! Même les héros du système, pris d’une diarrhée incompréhensible, se déballonnaient sans pudeur. Un ancien grand banquier (Jean Peyrelevalde) déclarait à qui voulait l’entendre que "le capitalisme était devenu fou". Un patron de chaîne de télé (Patrick Le Lay) avait avoué publiquement que le seul but de son entreprise était de vendre à Coca Cola "du temps de cerveau humain disponible". Dingue, je vous dis !

Et nous, modeste Yéti des marais, Esteban des docks marseillais, Onfray fâché avec les dieux de pacotilles, Courcuff un peu abscons mais plein de bonne volonté, Chouard s’accrochant aux bois flottant de l’espoir et tous, toutes les quidams indigné(e)s ... Que pouvions-nous faire pour ne pas sombrer dans la tourmente ?

Dénoncer et dénoncer encore ? À la longue, la litanie des dénonciations s’apparente à des cris impuissants de douleurs contre lesquelles nous n’avons trouvé ni baume apaisant, ni remède.

Continuer à nous battre comme des chiffonniers pour sauver nos prés carrés, remettre sans cesse nos ouvrages sur le tapis, s’emparer de tous les porte-voix possibles (Bellaciao, par exemple) pour nous regrouper et rassembler nos forces. Partir à l’assaut des forteresses qui nous mangeaient l’air et le pain.

Oui, mais nous savions qu’il nous fallait rester vigilants devant les promesses de lendemains qui chantent.

L’Histoire montre qu’aucun pouvoir digne de ce nom, ou du moins digne de nos espoirs, n’est pérenne. Nous sommes des agneaux, le genre humain est ce qu’il est, et les assoiffés de pouvoir finissent toujours par nous repiquer le bébé. Il nous faut nous contenter des quelques fulgurances limitées dans le temps, comme la Révolution française, le Front populaire, Mai 68, l’avènement d’un Mandela...

Et (même sur Bellaciao parfois, hélas), il fallait ce méfier des doux noms d’oiseaux qui fleurissent rapidement quand un semblant de puissance apparaît. Ces "traître" et autres "collabo" qui fleurent bon le commissaire politique des goulags et le peloton d’exécution.

Le problème avec les lendemains qui chantent, c’est que c’est toujours des lendemains.. Moi, ce qui m’importait, c’était les aujourd’huis je voulais faire le héron AUJOURD’HUI, trouver les vents chauds portant, TOUT DE SUITE !

J’ai éteint la radio, suis sorti sur le pas de ma porte dans le vent glacé du matin. Les hérons avaient depuis longtemps disparu dernière la cime des arbres. Au moins, je savais à quelle meute je voulais appartenir. Il était temps d’aller rejoindre les autres volatiles de mon espèce et nous coltiner à la misère de monde.

Sans gémir et avec superbe, si possible.

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