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Libertés en péril - par Patrick BAUDOUIN - FIDH

Publie le lundi 26 décembre 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

Contre le terrorisme, la force du droit doit l’emporter sur le non-droit de la force.
Libertés en péril

par Patrick BAUDOUIN

Patrick BAUDOUIN est avocat, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droitsde l’homme (FIDH).

Le phénomène du terrorisme n’est pas nouveau. Mais chacun constate que la menace terroriste se répand et s’accroît à travers le monde. Par leur ampleur et leur charge symbolique, les attaques du 11 septembre 2001 sur le territoire américain ont marqué un tournant décisif dans l’histoire du terrorisme et des mesures et pratiques antiterroristes. Elles ont constitué le point de départ d’une série de dispositions sans précédent, présentées comme relevant d’une « guerre contre le terrorisme », pour ne pas parler de la « croisade du bien contre le mal ». Le langage belliqueux ainsi utilisé par le président des Etats Unis, dans la lignée de l’expression « terroriser les terroristes » utilisée en son temps par Charles Pasqua, traduit un premier dérapage avec perte de contrôle suivi de beaucoup d’autres dérives.

L’adoption de législations antiterroristes d’exception s’est répandue comme une traînée de poudre : adoption dès le 26 octobre 2001 par les Etats Unis du Patriot Act, et le 14 décembre 2001 par la Grande-Bretagne de l’Anti Terrorism Act, permettant par exemple aux autorités de ces deux pays de détenir pour une longue période indéterminée des non-ressortissants, sans aucune charge précise, sur la simple suspicion de leur participation à des activités terroristes ou de liens avec des organisations terroristes. De nombreux autres Etats ont emboîté le pas, appartenant à tous les continents, du Canada à l’Australie, en passant par divers pays européens, le Maroc et la Tunisie, ou encore l’Indonésie et les Philippines... Chaque nouvel attentat suscite en riposte une surenchère d’adoption de textes antiterroristes. La caricature en a été donnée par la Grande-Bretagne après les attentats de Londres de l’été 2005, où l’on a même vu, de manière proprement inimaginable au pays de l’habeas corpus, un Premier ministre britannique plaider pour une durée de garde à vue portée à trois mois. La France, qui a joué hélas un rôle précurseur en adoptant dès 1986 une législation d’exception largement exportée, ne demeure pas en reste avec le « durcissement de l’arsenal » mis en oeuvre par son populiste ministre de l’Intérieur prévoyant, pêle-mêle, l’accès facilité aux fichiers, le contrôle des déplacements, le développement de la vidéosurveillance ou l’accroissement des peines de prison.

Plus grave encore que ces mesures, la lutte antiterroriste a servi de prétexte à des pratiques scandaleuses. Au mépris de tous les principes des droits de l’homme et des conventions internationales, les autorités américaines, en invoquant le concept inédit de « combattant armé » ou de « combattant illégal », s’autorisent à maintenir en détention illimitée et sans inculpation des centaines de prisonniers au tristement célèbre camp de Guantanamo. La torture a été pratiquée à Abou Graib, et le recours aux mauvais traitements devient expressément recommandé. Les avions affrétés par la CIA utilisent les aéroports européens pour transporter les suspects de terrorisme vers les centres de détention secrets implantés dans divers pays où, mondialisation oblige, se trouvent externalisées les méthodes d’interrogatoire et d’incarcération les plus brutales. Et, même en Grande-Bretagne, un innocent, dont le comportement était apparu vaguement suspect, a été abattu sur un quai du métro londonien sans que cela ne suscite ni émotion particulière, ni même grande excuse.

Tous ces avatars de la lutte affichée contre le terrorisme soulèvent de nombreuses questions, au regard tant de l’efficacité que de la légitimité. Certes, le terrorisme qui vise aveuglément des populations civiles, et s’affiche quasi quotidiennement sur les écrans de télévision, ne peut susciter que révolte et condamnation. Certes, la sécurité et la vie constituent des droits essentiels du citoyen, et les Etats ont le droit et le devoir de prendre les mesures appropriées pour assurer sa protection contre le terrorisme. Mais il faut être vraiment aveugle pour ne pas voir que la multiplication des mesures et pratiques antiterroristes depuis cinq ans n’a nullement enrayé un terrorisme qui, bien au contraire, ne cesse de se développer.

Ce constat nullement étonnant était d’ailleurs parfaitement prévisible. Le terroriste n’est pas dissuadé par le renforcement de la répression : ce n’est pas parce qu’il risque vingt ans de prison au lieu de dix qu’il renoncera à accomplir son acte. Quant aux graves violations des droits de l’homme commises à Guantanamo, Abou Graib et ailleurs, elles ne font qu’attiser la haine des Etats-Unis et des pays qui les soutiennent, et susciter de nouvelles vocations de kamikazes. En ce sens, il peut être dit que George Bush est le meilleur allié de Ben Laden. Les autres effets pervers de la « guerre mondiale contre le terrorisme » sont multiples, en banalisant les exactions de la Tchétchénie à la Palestine, mais on peut évoquer particulièrement la récupération faite par de nombreux Etats autoritaires qui, sous couvert de contribuer à ce combat antiterroriste, ont adopté des législations répressives utilisées en réalité pour bâillonner les opposants et les défenseurs des droits de l’homme. S’agissant de régimes honnis par leur peuple, la seule échappatoire devient celle de l’extrémisme, lui-même générateur de terrorisme.

Les principales victimes des dérives sécuritaires de l’antiterrorisme risquent bien d’être non pas les terroristes, mais les citoyens et les démocraties. Non seulement le terrorisme reste une menace en voie d’expansion, mais ce sont les libertés individuelles de chacun qui deviennent de plus en plus malmenées. Les mesures dites dans un premier temps spécifiques au terrorisme s’étendent ensuite à d’autres domaines : ainsi en va-t-il par exemple de l’allongement des délais de garde à vue, ou des conditions de perquisition. Les atteintes à la vie privée se multiplient : du fichage à la vidéosurveillance, des contrôles en tous genres aux interceptions de communications téléphoniques et Internet. L’arbitraire administratif se développe au détriment du pouvoir judiciaire. Un climat de suspicion s’instaure, visant principalement les étrangers, soumis à interpellations et expulsions, et contribue progressivement à une détérioration du lien social, elle-même source de nouvelles tensions.

S’affranchir du respect des règles essentielles en matière de libertés et de droits de l’homme revient en fait à donner vainqueurs les terroristes. Le terrorisme vise à déstabiliser les démocraties en discréditant leurs valeurs universelles de liberté et d’humanité. Déroger à ces valeurs pour combattre ceux qui cherchent à les détruire revient à tomber dans le piège tendu, et à saper les fondements des sociétés démocratiques. Il est grand temps de se mobiliser pour rompre un engrenage infernal qui conduit, après chaque acte terroriste retentissant, à adopter, de manière irrationnelle et démagogique, sous le coup de l’émotion voire de la panique, des dispositions aussi contre-productives qu’illégitimes en contradiction avec la législation internationale des droits de l’homme.

Une analyse raisonnée impose au contraire de revendiquer une lutte antiterroriste respectueuse des droits fondamentaux, seule recevable au nom à la fois des principes et de l’efficacité. Pour satisfaire l’impératif de sécurité, les Etats démocratiques disposent le plus souvent d’ores et déjà, dans le cadre de la lutte contre la criminalité, des moyens policiers et judiciaires suffisants, sans qu’il soit nécessaire d’instaurer des mesures complémentaires de répression. En cas d’absolue nécessité, dans des situations particulières, les dispositifs internationaux de protection des droits humains prévoient la possibilité d’une limitation temporaire de certains droits, en excluant ceux dits « indérogeables », tels que le droit à la vie et à l’intégrité physique, ce qui interdit toute dérogation par exemple pour le recours à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est essentiel d’exiger la stricte conformité des législations et pratiques antiterroristes des Etats avec leurs obligations internationales dans le domaine des droits de l’homme. Comme l’a écrit Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies : « Chacun d’entre nous devrait être pleinement conscient que la protection des droits de l’homme ne doit pas céder le pas devant l’efficacité de l’action antiterroriste. A l’inverse, si l’on se place sur le long terme, on voit que les droits de l’homme, la démocratie et la justice sociale forment l’un des meilleurs remèdes contre le terrorisme. »

Plutôt que de se cantonner dans un langage et des mesures de type « guerrier », mieux vaut essayer, en évitant les simplifications et les amalgames, de déterminer les causes du terrorisme et de s’attaquer aux racines du fléau que sont la misère et les inégalités, les discriminations de toutes sortes, les situations de conflits. On ne doit pas oublier que la terreur d’Etat fait au quotidien dans le monde beaucoup plus de victimes que le terrorisme. Plus que jamais, face au terrorisme, la force du droit doit l’emporter sur le non-droit de la force. A cette fin, le recours à la justice doit être utilisé chaque fois que cela est possible, comme le démontrent de premiers succès judiciaires obtenus. Il faut saluer ainsi les coups d’arrêt donnés par la Cour suprême des Etats Unis lorsqu’elle a, le 28 juin 2004, admis la possibilité de recours judiciaires pour les prisonniers de Guantanamo, ou par la Chambre des lords britannique qui, après avoir condamné, le 16 décembre 2004, le principe des détentions illimitées, a décidé, le 8 décembre 2005, à la différence de la Haute Cour d’appel de Londres, que toutes informations obtenues à l’étranger sous la torture sont irrecevables dans les procès de terrorisme devant les juridictions anglaises.

L’absence de réaction significative, voire le silence assourdissant, face aux atteintes aux libertés constitue un phénomène dangereux et angoissant. Citoyens, ressaisissez-vous, cessez par indifférence ou inconscience d’être passifs ! Ce sont vos droits et libertés qui sont en cause, et n’attendez pas d’être vous-mêmes directement victimes pour éprouver alors le regret d’un réveil trop tardif.

Messages

  • Très sérieusement ,
    je crois qu’il est grand temps pour les citoyens de s’atteler à maîtriser les outils informatique et à apprendre à échapper à la surveillance de Big Brother.
    Votre texte est fort juste et on ne peut pas reprocher à la FIDH de n’avoir pas tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps mais la "démocratie" capitaliste a enfin montré son vrai visage à ceux qui croyaient encore que la liberté individuelle était un principe avec lequel on ne transigeait pas sousnos latitudes...
    A mon sens, il faut cesser de croire qu’un hypotétique réveil citoyen sur la scène publique engendrera un retour de balancier qui nous serait favorable.
    Utilisons toutes les ressources d’Internet, apprenons à réellement jouer au chat et à la souris, il sera bien temps de dire Ya Basta quand enfin les néo libéraux de tous bord auront été discrédité par leur attittude. Sans vouloir sombrer dans la paranoïa, je voudrais rappeler que rien qu’en France l’heure est grave ; quand la police se croit suffisamment sûre d’elle pour s’en prendre à des vieillards (Cf. l’Huma de vendredi ou de jeudi dernier, je ne l’ai pas sous la main), je n’ai plus trop envie d’aller m’exposer inutilement.
    Construisons les bases de la révolte et du règlement de compte dans les derniers espaces de liberté qui nous restent sans chercher à préserver des droits que finalement le pouvoir n’a jamais reconnu au peuple (la justice de classe, les prétextes de lutte contre le terrorrisme ne sont pas des nouveautés).
    Quant le droit à penser différemment est dénié à la population, elle s’est toujours arrangée pour faire passer son message par des canaux "non réglementaire".

    Faut qu’on, Y’a qu’à !

    Force Rouge

    • On interpelle aussi à Neuilly...

      Bavure . Odile et Alain ont fait l’expérience d’une garde à vue musclée. Récit.

      C’est une histoire de beau quartier, dans le fief de Nicolas Sarkozy. Il était autour de minuit, ce lundi soir. Alain, cinquante-sept ans, et sa compagne Odile, soixante-neuf ans, - sortent d’un restaurant de Neuilly-sur-Seine. Avant de rentrer chez eux, ils tiennent à raccompagner une amie. Odile la prend à son bord. Tandis qu’Alain, dans sa propre voiture, mène le convoi. Au bout de quelques minutes, des policiers interpellent le véhicule d’Odile. La dame n’aurait pas mis sa ceinture. Ce qu’elle conteste. « Dites que je suis un menteur... », lui suggère un policier. « Si vous soutenez que je ne l’avais pas, vous l’êtes ! » rétorque Odile. Le ton monte.

      On invite Odile à souffler dans le ballon. Elle assure avoir pris deux kirs en apéritif, puis trois verres de rosé au cours d’un repas qui a duré trois bonnes heures. Rien ne se passe. « Vous soufflez mal ! On va vous emmener au poste ! » s’agace un policier. Odile fulmine. Elle se retrouve menottée les mains dans le dos, puis placée sans ménagement à l’arrière de la voiture de police. Elle s’insurge. « Tais-toi, vieille salope ! » lui aurait alors lancé un agent. Alain, qui tente de prendre sa défense, a aussi droit aux menottes. Et voilà les deux délinquants en route pour le commissariat de Neuilly.

      Alain se retrouve en dégrisement, attaché à un banc, Odile en garde à vue, abasourdie. « Une cellule comme dans les films, avec trois verrous, l’odeur d’urine, une planche de bois pour s’allonger et des toilettes à la turque dans un coin. » Nouvelle séance de soufflette. Nouvel échec. Le policier se fâche. « Il s’est mis à crier : "Mais tu vas souffler, connasse !" Je n’en revenais pas... », raconte Odile. L’alcootest finit par accoucher d’un chiffre : 0,55 gramme. Soit 0,05 au-dessus du maximum autorisé.

      Alain, lui, hérite d’un PV pour « ivresse publique manifeste ». Sans subir, assure-t-il, le moindre alcootest. « Un policier s’est contenté de me dire que mon haleine sentait l’alcool ! » À 7 heures, il peut partir, mais refuse. « Pour ne pas laisser Odile seule. » Bousculade. Alain se cogne à la tête, veut porter plainte. Les policiers présents lui auraient fait comprendre qu’il ne fallait pas y songer. « On m’a même dit, en souriant, que je m’étais fait cette bosse avant d’arriver au commissariat... »

      Relâchée mardi, vers midi, Odile va immédiatement faire un certificat médical. Elle souffre d’hématomes aux bras et de contusions aux poignets, dues aux menottes. Le médecin la juge « déstabilisée psychologiquement » par cette affaire. Tout comme Alain, elle bénéficie de dix jours d’incapacité temporaire de travail. Et s’apprête à saisir le procureur de la République. Au commissariat de Neuilly, on avoue tout juste que le comportement d’Odile a posé problème, et nécessité un menottage. « Elle s’en est pris aux fonctionnaires, explique un gradé. Il a donc fallu faire ce geste technique pour assurer leur propre sécurité... » Rappelons qu’Odile aura prochainement soixante-dix ans.

      http://www.humanite.presse.fr/journ...

  • Ce qui est le plus dangereux est le "DELI DE DANGEROSITE"

    qui permet d’arrêter n’importe quel citoyen pour peu qu’il soit un opposant au régime en place,

    sans aucune preuve.

    Chacun de nous est menacé de se retrouver dans l’un de ces "SITES NOIRS" après avoir été

    enlevé et embarqué "INCOGNITO" s’il dérange certain puissant ou certain programme...

    Je me pose des questions sur le genre de prisonniers qui s’y trouvent

    BIEN INQUIETANT !

    Michèle