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La Palestine abandonnée

Publie le mardi 3 janvier 2006 par Open-Publishing
9 commentaires

3 janvier 2006

Le Monde diplomatique publie, dans son numéro de janvier 2006, deux importants articles sur le conflit israélo-palestinien. Le premier, écrit par Hussein Agha et Robert Malley, réfléchit sur « le pouvoir palestinien à bout de souffle », alors que se préparent les élections législatives du 25 janvier ; l’autre, du militant pacifiste Uri Avnery, mesure les changements politiques intervenus dans ce pays à la veille des élections générales de mars 2006. Le texte ci-dessous fait le point sur le virage de la communauté internationale, notamment de l’Union européenne, concernant la solution du conflit.

Subtilement, insensiblement, au cours des dernières années, dirigeants mais aussi médias européens ont changé leur manière d’aborder le drame de la Palestine et la solution du conflit israélo-palestinien. Durant tout ce que l’on a nommé le « processus d’Oslo », il était clair que la solution passait par une négociation d’ensemble fondée sur un retrait des troupes israéliennes des territoires occupés en 1967, y compris la partie Est de Jérusalem, l’établissement de frontières durables entre l’Etat palestinien et Israël, et une solution acceptable pour les réfugiés palestiniens. Les négociations de Camp David (juillet 2000) comme celles de Taba (janvier 2001) portaient sur ces contentieux.

L’éclatement de la seconde Intifada, fin septembre 2000, la répression sanglante mise en œuvre par l’armée israélienne dès les premiers jours - des mois avant les premiers attentats-suicide -, l’escalade de la violence, l’élection de M. Ariel Sharon au poste de premier ministre, la multiplication des attentats contre des civils israéliens, puis la reprise du contrôle total par l’armée israélienne des territoires occupés ont ponctué les dernières années. Pourtant, du point de vue du droit international, et quelle que soit l’appréciation que l’on puisse avoir sur la stratégie et de la tactique de l’Autorité palestinienne, les problèmes de base demeurent : la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est restent des territoires occupés, Israël reste une puissance occupante, et la création d’un Etat palestinien indépendant reste la clef de la paix.

Crimes de guerre occultés
Pourtant, à lire les déclarations des dirigeants européens, à suivre les actualités répercutées par les médias, on constate un renversement de perspective : désormais c’est aux Palestiniens, c’est-à-dire aux occupés, de faire la preuve de leur bonne volonté. Les références de l’Union européenne aux obligations de l’un et l’autre camp cachent mal le ralliement à la vision du premier ministre israélien : toute avancée sur la voie de la paix dépend de l’Autorité palestinienne ; c’est elle qui doit se réformer, liquider les groupes armés, faire la preuve de sa volonté de coexister avec Israël. Ce ralliement est aussi très sensible dans les médias, qui tendent à gommer la réalité de la politique israélienne sur le terrain, à sous-estimer son caractère répressif et contraire au droit international, à occulter les crimes de guerre commis. En France, les violentes campagnes menées contre certains journalistes et intellectuels, de Daniel Mermet à Edgar Morin, en passant par Jean Ferrat, ont contribué à tétaniser une partie des journalistes : qui souhaiterait être taxé, même à tort, d’antisémitisme ?

Un cas d’école est fourni par l’éditorial de Libération du 2 janvier 2006, qui se désole sur la situation qui prévaut en Palestine. Mais à qui la faute ? « Il y a un an, écrit Patrick Sabatier, l’élection de Mahmoud Abbas au fauteuil d’Arafat avait été une raison d’espérer. Une fenêtre d’opportunité avait été ouverte, par laquelle pouvaient souffler un vent de démocratisation et de réformes dans les Territoires palestiniens (sic !, surtout n’utilisons pas le mot d’occupation), en même temps que celui d’une démilitarisation de la politique palestinienne en vue d’une reprise des négociations avec Israël. Aujourd’hui, cette fenêtre est sur le point d’être claquée au nez des partisans de la paix. » La responsabilité du gouvernement de M. Sharon est à peine évoquée...

L’évacuation de la bande de Gaza durant l’été 2005 a représenté, de ce point de vue, un autre exemple édifiant. Pendant des semaines, les médias internationaux ont braqué leurs projecteurs sur les quelques milliers de colons évacués, s’étendant sur leur souffrance comme sur les pleurs des soldats chargés de les évacuer. Peu de journalistes ont rappelé que la « colonisation » représente, selon les normes de la Cour pénale internationale, un crime de guerre. Que nombre de ces colons sont des fanatiques près à faire le coup de feu contre les civils palestiniens. Que des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza ont été déplacés au cours de ces dernières années, sans que cela soulève la moindre émotion en Occident.

Pis, l’évacuation de Gaza a été présentée comme un « geste » significatif de M. Ariel Sharon. Elle lui a permis de renforcer son crédit aux Etats-Unis et en Europe, et lui a ouvert les portes d’une visite officielle, en grande pompe, en France. Pourtant, comme le rappellent les Nations unies, Gaza reste un territoire occupé, les troupes israéliennes y opèrent des nombreuses incursions - le gouvernement israélien vient même de décider d’installer une « zone de sécurité » sur le territoire palestinien, en évacuant une partie de la population... La menace de couper l’électricité pour toute la bande de Gaza constitue aussi une punition collective, contraire aux conventions de Genève. L’organisation américaine Human Rights Watch faisait remarquer, dans un communiqué du 23 décembre 2005, qu’une telle mesure représenterait une violation des lois de la guerre, comme celle que Tel-Aviv avait décrétée en interdisant, entre le 24 septembre et le 12 novembre, l’entrée de son territoire aux 5 000 travailleurs palestiniens, rajoutant aux souffrances d’une population qui vit à 68 % sous le seuil de pauvreté (1).

La colonisation avance
M. Moustapha Barghouti, candidat ayant obtenu environ 20 % de suffrages à l’élection du président de l’Autorité palestinienne, en janvier 2005, face à M. Mahmoud Abbas, a publié récemment un article intitulé « La vérité que vous n’entendez pas » (2). Il y fait le bilan de la situation sur le terrain, en Cisjordanie et à Gaza, un bilan bien éloigné de la version israélienne qui « présente une image à l’opposé absolu de la réalité » ; bien éloigné aussi de l’image que peuvent transmettre la plupart des médias occidentaux.

Ainsi, la colonisation avance rapidement. « La population totale des colons (...) est désormais de 436 000 : 190 000 à Jérusalem et 246 000 en Cisjordanie. Seulement 8 475, soit 2% de ce total, de colons illégaux ont été évacués de Gaza et de la région de Jénine. Durant la même période, la population des colonies de Cisjordanie a augmenté massivement de 15 800. »

Il raconte aussi la vie quotidienne imposée par le mur de séparation, qui entoure complètement une ville comme Qalqiya, avec une seule porte dont les soldats israéliens ont la clé. « Un permis est nécessaire pour franchir le mur, un permis qu’il est pratiquement impossible d’obtenir. Même quand on réussit, il faut se débrouiller avec les horaires spéciaux d’ouverture. Dans la région de Jayous, vous pouvez traverser entre 7h40 et 8 heures du matin, entre 14 heures et 14h15, et entre 18h45 et 19 heures : au total 50 minutes par jour. Parfois l’armée oublie d’ouvrir les portes, et les élèves, les professeurs, les fermiers, les malades, et les gens ordinaires doivent attendre indéfiniment. »

Les conséquences de la construction du mur de séparation sur la ville de Jérusalem sont confirmées par un rapport récent des chefs de mission de l’Union européenne à Jérusalem-Est (3). Ce texte, relève, parmi d’autres, certains axes de la politique israélienne dans la ville sainte :

le presque achèvement de la barrière autour de Jérusalem-Est, loin de la ligne verte (ligne de cessez-le-feu de 1967) ;

la construction et l’expansion des colonies illégales, par des entités privées et par le gouvernement israélien, à l’intérieur et autour de Jérusalem-Est ;

la démolition des maisons palestiniennes construites sans permis (qui sont presque impossibles à obtenir) ;

le plan d’expansion de la colonie de Maaleh Adoumim, qui menace d’achever l’encerclement de la ville par les colonies juives et de diviser la Cisjordanie en deux secteurs géographiques.

Et les consuls européens à Jérusalem soulignent que « les actions d’Israël à Jérusalem sont en violation de ses engagements envers la Feuille de route et du droit international ». Résultat de ces constats ? L’Union européenne a décidé, courageusement, de ne pas publier ce rapport...

L’Autorité n’est pas un Etat
Amira Haas, la correspondante permanente du quotidien Haaretz dans les territoires occupés, connue pour ses reportages courageux, commentait ainsi la victoire du Hamas aux élections municipales de décembre 2005 en Cisjordanie : « La victoire du Hamas aux élections locales a fleuri sur un terrain fertile. Les gens en ont assez des mensonges qui ont accompagné leurs vies durant les treize dernières années [depuis la signature des accords d’Oslo] ; qu’Oslo signifie la paix ; que la création d’une Autorité palestinienne est une victoire et un symbole, qui abolirait tous ses échecs ; que l’Autorité est un Etat (4). »

La journaliste ne dédouane pas pour autant le Hamas, dont la propagande s’appuie, selon elle, sur trois mensonges : le mouvement islamiste prétend que la bande de Gaza a été « libérée », alors que c’est le résultat d’une décision unilatérale israélienne ; que cette évacuation est le résultat de la « lutte armée », alors que « les attentats-suicide ont seulement renforcé le soutien de l’opinion israélienne à toutes les formes de prise de contrôle de la Cisjordanie » ; que les élections législatives de janvier 2006, auxquelles le Hamas a décidé de participer, sont fondamentalement différentes de celles de 1996, alors qu’elles se déroulent dans le même cadre, celui fixé lors des accords d’Oslo.

Les appels à la démocratisation de l’Autorité palestinienne apparaissent aussi vides de sens. Lors de l’élection présidentielle de janvier 2005, il était clair que l’Union européenne ne voulait qu’un vainqueur, M. Mahmoud Abbas : les nombreuses pressions exercées par le Fatah sur la commission électorale ne furent donc pas dénoncées par les observateurs internationaux ni relayées par les médias (5). Désormais, M. Javier Solana, haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) menace l’Autorité palestinienne de lui retirer le soutien de Bruxelles, en cas de victoire de Hamas au scrutin de janvier 2006. En somme, l’Europe des Vingt-Cinq accepte les élections à la condition que les candidats qu’elle préfère soient élus...

Comment s’étonner alors que l’Union renforce ses relations avec Israël, qu’elle soit plus prompte à faire pression sur l’Autorité qu’à mettre en œuvre les sanctions prévues par les accords d’association euro-méditerranéens en cas de violation des droits de la personne, violations qui sont quotidiennes dans les territoires occupés ; à recevoir les dirigeants israéliens pour les « encourager » à poursuivre dans la même voie, alors que cette voie mène directement à l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. La France, il faut le regretter, a renoncé à son action autonome et visible en faveur des droits des Palestiniens : elle reçoit le premier ministre Ariel Sharon et reprend sa coopération militaire et même sécuritaire avec Israël (6) ; nombre de ses ministres, dont M. Nicolas Sarkozy, multiplient les visites en Israël ; ce sont deux sociétés françaises qui construisent un tramway reliant le centre de Jérusalem à deux colonies juives situées à l’est de la ville, contribuant ainsi à la politique israélienne d’occupation. Cette stratégie, qui s’inscrit dans un rapprochement plus large avec les Etats-Unis au Proche-Orient, de l’Irak à l’Afghanistan, va à l’encontre de décennies de politique française sur le conflit israélo-palestinien.

Le « processus de paix » ouvert par les accords d’Oslo est mort et enterré. On peut penser qu’il aurait pu représenter une voie vers le règlement, que des occasions ont été manquées. Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible de revenir en arrière. Faut-il espérer en l’application de la Feuille de route, dans la victoire du « centriste » Ariel Sharon en mars prochain ? Non, car l’équation reste la même : les Palestiniens continuent de vivre sous occupation, leur vie quotidienne est insupportable, leurs aspirations à l’indépendance bafouées. Il est illusoire de penser que l’on pourra assister, dans la prochaine période, à un changement d’orientation du gouvernement israélien sans des pressions internationales soutenues pour faire appliquer le droit international, rien que le droit international, tout le droit international. La résistance des Palestiniens et la mobilisation de la fraction pacifiste de l’opinion israélienne doivent être soutenues par des sanctions internationales.

Comme le demande M. Moustapha Barghouti : « Une manière de corriger la situation est de faire ce qui a été fait avec succès en Afrique du Sud, appliquer des sanctions. Un élément-clé est de rompre les relations militaires avec Israël, le quatrième exportateur d’armes dans le monde. Nous avons besoin d’un mouvement de non-coopération militaire qui se concentre sur les désinvestissements dans ce domaine et qui lie les relations économiques avec Israël à l’application du droit international et l’application des résolutions internationales. » Un mouvement puissant en ce sens s’est développé dans le monde anglo-saxon. L’accord d’association entre l’Union européenne et Israël offre à Bruxelles d’immenses possibilités puisqu’il prévoit explicitement la possibilité de suspendre celui-ci en cas de violation de son article 2 : « Les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, stipule-t-il, se fondent sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guide leur politique intérieure et internationale et constitue un élément essentiel de cet accord. » C’est pourquoi, le 10 avril 2002, en pleine opération « Rempart » en Cisjordanie, le Parlement européen avait demandé, à une large majorité, à la Commission et au Conseil « la suspension de l’accord d’association euro-méditerranéen UE-Israël ». En vain... N’est-il pas temps de revenir à cette mesure qui permettra à l’Union européenne de mettre ses actes en accord avec ses paroles, de soutenir l’application du droit international et de jouer un rôle actif au Proche-Orient ?

Alain Gresh

Messages

  • Pourquoi la remise en cause des accords avec Israël ne se fait-elle pas ??? Pourquoi l’Union Européenne ne met-elle jamais vraiment en cause Israël ?

    Pourquoi le rapport accablant des diplomates européens sur la main mise totale d’Israël sur Jérusalem est-il caché ?

    A part un article dans le Monde, les journaux français n’ont pas repris cette information relayée par les médias militants de la Toile.

    Il doit bien y avoir des raisons sérieuses. C’est à dire des intérêts financiers. J’en ai la conviction, je ne comprends pas sinon l’attitude des gouvernements des pays européens.

    Y a-t-il plus d’informations dans les journaux étrangers ???

    Si vous avez des lumières, merci de m’en faire part...

    C’est trop épouvantable ce qui se passe.

    Orangerouge

    • .vous allez me traiter de xenophobe car comment voulez que le pere ici l europe puni son fils plus que naturel qui est israel....on peut voir ou demander qui est ou qui habite la palestine sous l empire othoman ou au moment d arriver des anglais....

    • Les israéliens ont du mal avec la paranoïa américaine actuelle quant à la diffusion de leur technologie. Malgré leur proximité sur le plan géo-politique, en effet, américains et israéliens s’éloignent de plus en plus dès qu’il s’agit d’armement. Il faut se rapporter à ce sujet aux ventes d’armement d’Israel à la Chine. Les américains voyant cela ferme leur robinet sur certains armements de pointe... même si sur d’autres armements, ce n’est pas le cas.

      Et donc... Quel est l’autre pays possédant un armement de pointe et qui est intéressé par de nouveaux débouchés ? A part la France, il n’y en a pas des milliers dans le monde...

      Donc. Voilà pourquoi Sharon est venu en France, et voilà pourquoi nos médias sont si silencieux sur le sujet.

      Je ne fais que citer des hypothèses... qui sont l’accumulation de plusieurs faisceaux d’informations.

      Ces hypothèses rapportent aussi qu’en feignant de se rapprocher de la France, les israéliens mettent en quelque sorte la pression sur leur allié américain... une sorte de mise en concurrence.

    • Je ne partage pas votre titre de Palestine abandonnée ,la palestine n’est pas abandonnée par tout dabord les palestiniens de partout et leurs freres de partout dans le monde ,et avant tout par nature leurs frere du monde musulman ,que l’Eu joue la carottes et les etats unis le baton c’est drole de notre monde c’est vue dans l’esprit "élémentaire mon chers watson "sachant que le plan balfour etait un plan "politique d’etats " c’est vite compris le camp mais si vive et prospere des coeurs comme les votres qui battent aussi pour dire vive la palestine

      Ramo de İstanbul

    • La ’’palestine’’ est un chaos qui va bientot tomber aux mains des extremistes...et bien sur, ce sont les israeliens les coupables. Bon sang, OUVREZ les yeux !!!!!!!!!

    • Si l’on se place au niveau des gouvernements on ne peut pas dire que les palestiniens soient plus soutenus par leurs "frères du monde musulman" que par les européens. Or le soutien des seules opinions publiques ne vaut pratiquemment rien sur le plan politique, surtout dans un rapport de force militaire aussi disproportionné.
      Quant aux extrémistes aux mains desquels la Palestine risque de tomber, si on ouvre bien les yeux il paraît évident que c’est exactement ce que recherche la politique israéliene depuis les accords d’Oslo.

      Valère

    • la Palestine est un chaos depuis bien longtemps deja ,merci pour le reveil ... que des soutiens existes, c’est la grande presse qui chante cela depuis des lustres ..que des gouvernements "musulmans" dessiner et mise en place par les lattes des sieurs Picot -Balfour sont pot du capitale un secret peut etre ? que des gens envahie ,depossede ,humilié ,ruiné sont poussée a extreme ...ca va de soi ,donc si Oslo n’etait pas accord c’etait propagande ,a banir a mon avis ..

      Ramo

  • Normal que la palestine soit abandonnée.

    L’impérialisme a gagné et le sionisme aussi

    • L’imperialisme ( sans race ni pays ) n’a pas gagné ,des preuves ? Chine ,monde Arabe ,corée ,cuba ,Palestine ,Cuba ,Venezuela et chaque jours plus nombreux les peuples se levent ...et gloire aux de peuples de Palestine qui par sa resistance a main nu ,tiens téte et fait perdre la tete a cet etat (camp militaire ) qu’est l’entité sioniste ,combattre peut devenir défaite mais ne pas combattre c’est deja une defaite