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Proche Orient, la tentation du post-démocratique

Publie le lundi 30 janvier 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

de Bernard Lallement

Faut-il que les occidentaux soient bien naïfs, ou de mauvaise foi, pour s’étonner de la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes, obtenue après un scrutin incontestable, ce qui donne, au demeurant, plus de force au parti d’Ismaïl Haniyeh.

J’avais dit, ici, qu’après les élections municipales en Cisjordanie de décembre 2005, cette organisation revendiquant, dans sa charte, la destruction d’Israël était destinée à monter en première ligne dans les affaires de l’Autorité palestinienne

Mettre son succès sur le seul compte de la lutte contre la corruption gangrenant les dirigeants du Fatah serait une vision très réductrice. « Le problème principal c’est l’occupation sioniste et les agressions contre notre peuple » a rappelé le leader de l’organisation extrémiste.

Aussi, le mal vient-il de plus loin. Les raisons de ce raz de marée électoral, qui donne une majorité absolue (74 sièges sur 132 au Parlement) aux islamiques, sont à rechercher dans la genèse de l’Etat hébreu et de son rapport au religieux.

Il y a une mystique de la création d’Israël, celle du retour à la terre promise dans l’espérance de mettre fin aux persécutions des Juifs dont le point culminant, et incommensurable, fut la Shoah. Mais la constitution d’un Etat israélien imposa un plan de partage de la Palestine, qui fut élaboré sous l’égide des Nations Unies, et adopté le 29 novembre 1947. Il prévoyait la création de deux états, juif et palestinien, et l’administration de Jérusalem sous contrôle international. Alors que Ben Gourion pouvait déclarer, le 14 mars 1948, « nous proclamons la fondation de l’État juif en Terre sainte, qui portera le nom de Médinath-Israël » les pays arabes n’acceptérent nullement cette première partition et le conflit israélo-arabe de 1948 sera le point de départ d’une guerre sans fin sur fond de terrorisme et d’attaques préventives, entraînant une escalade de la violence propice à toutes les radicalités.

L’utopie pacifique

La paix est devenue une utopie qui, comme telle, est rejetée à peine avoir été envisagée, au point qu’il faut se demander si les dirigeants israéliens et palestiniens y trouvent un quelconque intérêt. Car au-delà de la nécessaire sécurité, moins des territoires devenus sans cesse aléatoires que des peuples respectifs, se pose la question tabou des idéologies, toujours évacuée et qui, comme telle, revient maintenant en force.

Sur un plan politique, Israël a pris, dès le départ, le parti des Etats-Unis. « Non seulement Israël est occidental dans son orientation, mais notre peuple est démocrate et réalise qu’il ne peut devenir fort et rester libre qu’à travers la coopération avec les Etats-Unis » avait mis en garde Ben Gourion. Les Palestiniens, quant à eux, ont recherché le front commun des pays arabes et le soutien de l’Europe.

Enfin, force est de ne pas occulter une autre ligne de démarcation, sous appréciée à l’époque : l’évidence du fait religieux. Bien qu’entretenant une ambiguïté, Israël s’est toujours revendiqué comme l’Etat juif, où la religion, antimonique d’une démocratie, se mêle du temporel. Situation perçue comme une provocation par ses voisins s’estimant chassés d’une terre, qui étaient leur, au nom d’une part, de persécutions dont ils allèguent n’y avoir aucune responsabilité et d’autre part, d’une réappropriation du message biblique qu’ils n’ont pas vocation à soutenir.

L’occident disqualifié

Les pays arabes, avec quelque raison d’ailleurs, ont toujours suspecté les occidentaux, au premier rang desquels les USA, de cautionner la politique israélienne, y compris dans ses excès. Mais notre attitude envers eux n’est pas, non plus exempte de reproches. Nous avons soutenu, complaisamment, les régimes dictatoriaux, notamment le Shah en Iran, Kadhafi en Libye, Saddam Hussein en Irak, et les avons complaisamment armés pour ensuite les renier. Même Ben Laden, avant d’être sacré ennemi numéro 1, fut un séide de la CIA.

Notre lecture du Moyen-Orient à l’aune de nos valeurs occidentales est, pour une bonne part, responsable du désarroi de ces peuples. Il ne faut pas y voir d’autres explications à l’instauration d’un régime islamique en Iran, avec l’Ayatollah Khomeini, qui sera appelé à faire école. De même, l’invasion de l’Irak, au nom d’une sauvegarde du monde libre, dont l’Amérique se veut le champion, n’a pas été de nature, quoi qu’on en dise, à apporter une once de pacification dans la région. Enfin, la tiers-mondialisation que ses ressortissants subissent, dans nos pays développés, n’est pas, non plus, propice à susciter l’espoir d’une vie meilleure dispensée à l’ombre de nos démocraties.

Tout concourt, donc, pour une radicalisation, et un évitement d’une réalité déniée, par l’adhésion à une religion revendiquée dans sa version la plus fondamentaliste. Situation préoccupante pour les populations arabes, dont la jeunesse n’a connu que le feu des armes, mais qu’on aurait tort, également, de mésestimer parmi la nation israélienne.

En s’invitant aux élections palestiniennes le religieux précipite toute résolution pacifique du conflit israélo-palestinien dans une totale nébuleuse. Quoi qu’il en soit, pour un certain temps du moins, l’occident est disqualifié à servir d’intermédiaire. D’ailleurs dans quelle perspective ? Car il est, au moins, une certitude : Israéliens comme Palestiniens, n’ont rien à proposer, d’autant que l’Etat hébreu refuse de reconnaître la réalité palestinienne sortie des urnes. Impossible destin.

« L’homme sera d’abord ce qu’il a projeté d’être » avait dit Sartre. Du côté de la Palestine, l’être tangue dangereusement vers le néant.

Bernard Lallement

Article publé le 27 janvier 05 sur le blog SARTRE de Bernard Lallement

 http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • ¨Tu écris que les Palestiniens ne proposent rien. Curieuse ignorance. Depuis des années et des années, ils proposent et demandent l’application des résolutions de l’ONU qu’Israël méprise honteusement alors qu’il appartient aux nations Unies et n’est pas sanctionné. En particulier, les Palestiniens demandent la destruction du mur d’annexion, l’arrêt de la colonisation, le démantellement des colonies, la restitutioon des territoires illégalement occupés par Israël, etc.

    La venue du Hammas au pouvoir n’a rien changé à la nature du "conflit". Il y a d’un côté un colonisateur, de l’autre un colonisé. L’aspect religieux n’est qu’un épiphénomène. Le hamas n’a pas été porté au pouvoir par les électeurs pour mener une guerre sainte, mais dans l’espoir que la situation des Palestiniens s’améliore et surtout par rejet de l’Autorité Palestinienne.

    Enfin il est curieux de reprocher au hamas de ne pas reconaître Israël et de vouloir sa destruction alors que ce reproche n’est jamais fait à Israël qui pourtant n’a jamais reconnu le principe d’un état palestiniens et qui d’autre part s’acharne à détruire ce qui pourrait ressembler à cet état. Une fois de plus il y a deux poids deux mesures. Les deux sont à mettre dans le même sac.