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Forum mondial de l’eau Au Mexique, une rébellion antibarrage

Publie le dimanche 19 mars 2006 par Open-Publishing

Des paysans résistent au futur engloutissement de leur village.

Par Babette STERN samedi 18 mars 2006

JOn Julián est un paysan de l’Etat de Guerrero, l’un des plus pauvres du Mexique. Il a un faux air de Raimu mais, sous ses manières débonnaires, ce père de sept enfants est en guerre. Depuis trois ans, il ne quitte guère sa machette et son lance-pierres qui, entre ses mains, peuvent devenir meurtriers. Son lopin de terre, il l’a confié à des journaliers pour ne pas perdre totalement sa récolte de haricots noirs et de maïs. Car don Julián a d’autres occupations. Plus politiques. Comme les autres hommes de son village, Los Huajes, à deux heures de route d’Acapulco, il monte la garde à l’entrée des lieux. Ils se relaient, à côté d’une barricade de grosses pierres, pour filtrer la circulation.

Le gouvernement mexicain a décidé de construire un immense barrage sur le fleuve Papagayo, à La Parota, pour produire de l’électricité destinée à l’opulente station balnéaire voisine. Pour le réaliser, 17 500 km2 de terres cultivables et de forêts la moitié de la Belgique vont disparaître sous les flots. Si ce projet aboutit, Los Huajes, comme dix-huit autres villages, va être englouti. Et les paysans ne le veulent pas. Alors ils sont entrés en résistance.

Depuis bientôt trois ans, ils interdisent aux ingénieurs, aux camions de matériaux et aux pelleteuses de passer. Et, malgré les gaz lacrymogènes, les intimidations ou les incarcérations, la police a jusqu’à présent échoué à mater ce mouvement de rébellion. « Ce barrage ne va nous apporter que du malheur, affirme don Julián. La Commission fédérale de l’électricité (CFE), maître d’oeuvre de l’ouvrage, nous a dit que nous serions relogés. Mais nous voulons rester sur nos terres. Nous ne pouvons pas accepter que nos églises, nos cimetières, disparaissent sous les flots. Nous ne voulons pas abandonner nos coutumes. Nous sommes des paysans. » Et rien ne les fera reculer. « Nous mourrons peut-être, mais nous n’abandonnerons pas la terre de nos ancêtres », dit-il pendant que sa femme, Teresa, cuit des tortillas sur un feu de bois dans la cour de la maison où cohabitent poules et cochons. Au total, 25 000 paysans vont perdre leur foyer.

« Figurants ». Les hommes sont mobilisés. Les femmes aussi. Marciana, Leonor, Modesta, Norberta, sont prêtes à faire le coup de poing pour empêcher le barrage de se faire. « On va leur montrer, avec nos machettes, qu’on n’a pas peur », dit Violetta. Otitla, cheveux blancs jusqu’aux reins, se fait la porte-parole des femmes. « On bloque la route parce qu’on veut nous enlever nos terres. On est des Indiens va-nu-pieds et on souffre. Ils ont des sous et pas nous. Ils veulent nous enlever notre fleuve. On n’acceptera pas. »

Le projet de La Parota doit produire 900 mégawatts d’électricité. La CFE a annoncé fin décembre 2005 que les 25 000 habitants des dix-neuf communautés qui allaient être englouties s’étaient prononcés pour l’ouvrage. Bidulfo Rosales Sierra, avocat du Centre des droits de l’homme de La Montaña, qui défend les paysans en lutte, est formel. « Les consultations menées par la CFE pour obtenir l’approbation des paysans sur ce projet de barrage ont été manipulées. Dans certains cas, on a donné 200 pesos (environ 15 euros, ndlr) à des individus pour qu’ils votent oui. Dans d’autres, ce sont des "figurants" venus d’autres communautés non affectées par la construction du barrage qui ont voté, en dix minutes à main levée. » Alors, systématiquement, au nom du Conseil des communautés opposées au barrage de La Parota (Cecop), Bidulfo Rosales Sierra dépose des recours auprès du tribunal agraire de l’Etat.

Certes, tout barrage provoque des déplacements de population, la mise sous eau de villages entiers, l’assèchement du fleuve en aval, la disparition de centaines d’espèces et des dommages irréversibles sur l’environnement. Mais l’étude d’impact réalisée par l’université de Mexico va plus loin.

Stress hydrique. Le cas de La Parota est exemplaire de la mauvaise utilisation de l’eau. Car aux dommages causés aux hommes et à l’environnement s’ajoute le risque sismique lié à la localisation même du futur barrage. Sergio Alcocer Martínez de Castro et José Francisco Valdés, directeurs de l’Institut de génie civil et de géophysique, relèvent que « le côté gauche du barrage repose sur la zone sismique la plus dangereuse du Mexique, entre les plaques océanique Coco et continentale nord-américaine ». Le poids du barrage augmentera le risque sismique et contribuera au stress hydrique que vivra l’Etat de Guerrero en altérant les principaux fleuves qui approvisionnent les bassins d’alimentation pour la population et assurent la recharge des nappes phréatiques, soulignent-ils.

Et le but n’est pas d’améliorer la vie des communautés, comme le prétend la CFE, mais de faire plaisir aux entreprises privées, dénonce la Cecop. Selon Rosales Sierra, ce sont des entreprises privées chinoises, brésiliennes, mexicaines qui s’intéressent à l’appel d’offres lancé par la CFE. Faute de ressources financières suffisantes de la part du gouvernement, elles seront payées en électricité... pendant quarante ans.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=368108