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DU RMI AU RMA : PRECAIRES EN SOLDE, EMPLOYEURS ASSISTES

Publie le mardi 29 juillet 2003 par Open-Publishing

Le RMA, Revenu minimum d¹activité, adopté en mai dernier par le Sénat, livré
au bon vouloir des Conseils Généraux, centre exclusivement l¹insertion sur
la reprise d¹emploi.

En Île-de-France, près de 20 % des allocataires du RMI se déclarent comme "
artistes " auprès des services sociaux. Sans doute parce que la catégorie d’
" artiste " est difficilement cernable par ces services dont l’action est
principalement dirigée vers l’insertion des allocataires sur le marché de
l’emploi ; s’identifier ainsi permet à beaucoup d’échapper un temps aux
formes les plus violentes du contrôle social. Mais aussi parce que, bien que
le chiffre reste difficile à établir, on peut estimer à plus de 100 000 le
nombre de ceux qui, exerçant des activités dans un secteur du spectacle et
de la culture désormais plus important en effectifs et en chiffre d’affaires
que celui de l’automobile, cotisent pendant leurs périodes d’emploi, sans
parvenir à ouvrir des droits à l’assurance chômage. Ceux-là s’en vont, le
plus souvent, grossir les rangs des allocataires du RMI.

Le 26 mai dernier, le Sénat a adopté le projet de loi de réforme et de
décentralisation du RMI et d’instauration du Revenu minimum d’activité
(RMA). Lequel prévoit que le RMI sera confié à la gestion des seuls Conseils
Généraux, qui décideront à la fois de l’attribution, de la suspension, et de
la politique d’insertion relative au RMI. Le montant de l’allocation restera
dans un premier temps inchangé et fixé centralement (aucune revalorisation
n’est néanmoins envisagée), mais rien n’interdit, à terme, que les
départements le déterminent eux-mêmes.

Second changement d’ampleur : la politique dite " d’insertion ", qui,
d’après la loi de 1992 devait concourir à " une meilleure intégration dans
la vie de la cité " des allocataires, c’est-à-dire éventuellement à l’accès
à un logement, à la santé, à la formation, à la cultureŠ serait recentrée
exclusivement sur l’emploi. Un accès à la formation et un volet " logement "
sont bien prévus, mais leurs modalités et surtout leur financement restent
obscurs. Les allocataires seront donc largement incités, sous peine de
suspension de l’allocation, à la reprise d’emploi. Les conditions seraient
similaires à celles subies actuellement, le contrat dominant restant proche
d’un CES, soit 20 heures hebdomadaires pour un demi-SMIC mensuel (quelques
centaines de francs de plus que l’allocation).

Troisième modification décisive, un " mécanisme d’intéressement " permet
actuellement, lors d’une reprise d’emploi, à un allocataire du RMI de
cumuler son allocation avec le salaire versé par son employeur, pour une
durée limitée et de manière dégressive. Or, avec ce projet de loi, après
deux ans, l’allocataire entêté qui n’a pas voulu se laisser insérer ou n’a
connu que des contrats courts (80 % des embauches se font en CDD, leur durée
moyenne est de deux mois) sans ouvrir de droit à l’allocation chômage,
basculerait dans le RMA. En tant qu’il est une " dépense passive " et comme
le préconisent les directives européennes, il sera " activé ". Entendons par
là, qu’il sera inséré dans un emploi quelconque (secteur marchand compris),
mais qu’au lieu de bénéficier de l’actuel cumul allocation/salaire direct,
c’est son employeur qui percevra à sa place l’allocation, pendant la durée
du contrat, soit jusqu’à 18 mois. Un RMAste employé à mi-temps coûtera donc
la modique somme de 140 euros mensuels, moins de 2 euros de l’heure, à qui
l’emploie tandis que son revenu plafonnerait le plus souvent au demi-SMIC
mensuel. Ajoutons à cela que les cotisations retraites et chômage ne seront
prélevées que sur le différentiel entre le salaire et l’allocation. Il
faudra donc à notre RMAste demi-smicard cotiser environ 160 ans pour pouvoir
bénéficier d’une retraite à taux plein. S’il n’a pas cette patience, à 65
ans, il pourra pointer au Minimum Vieillesse, soit environ 530 euros
mensuels.

Cette destruction du mécanisme actuel de cumul, outre le fait qu’il
favorisera encore un clientélisme à l’échelon du département, déjà très réel
au sein du dispositif RMI (la distribution de la manne de RMAstes sera
entièrement aux mains du président du Conseil Général), prolonge une
orientation unanimement partagée par la classe dirigeante. Qu’il s’agisse de
l’allongement des périodes de cotisation exigées pour percevoir une retraite
à taux plein ; de l’ouverture des droits à une allocation chômage, dans le
régime général comme dans le régime spécifique des intermittents du
spectacle ; du projet RMA ou de la " prime pour l’emploi " crée par la
gauche et doublée par la droite, c’est l’ensemble des mécanismes de cumul
d’une allocation sociale et d’un salaire qui sont visés. Les politiques
sociales des gouvernements conditionnent toujours davantage l’accès aux
droit sociaux au verrou de l’emploi.

Déjà très largement insuffisant, conditionnel et interdit aux moins de 25
ans pour dresser des centaines de milliers de jeunes précaires et chômeurs,
non indemnisés par ailleurs, à la précarité, ce RMI, transformé en RMA après
deux ans, a donc d’autres traits communs avec la casse des annexes VIII et X
 : là où les périodes hors emploi étaient en principe rémunérées par un
régime d’assurance chômage adapté à la discontinuité de l’emploi, ou par
l’assurance d’un " minimum alimentaire ", il faudra désormais faire à tout
prix la preuve de son employabilité pour bénéficier d’un quelconque revenu
de remplacement.

Dès lors, les 30 % d’exclus à venir des annexes VIII et X auront beau, comme
tant d’autres, se signaler comme " artistes " auprès des services sociaux,
il faudra bien qu’ils aillent grossir les cohortes de précaires employés
puisqu’aucun statut ne leur reconnaîtra plus cette nécessité vitale pour
tous de disposer du temps et des moyens pour vivre, inventer, coopérer,
développer des formes d’existence sociale et productive non assujetties à
l’emploi.