Accueil > Les chômeurs au régime sec

Les chômeurs au régime sec

Publie le jeudi 18 septembre 2003 par Open-Publishing

http://www.humanite.fr/journal/2003-09-17/2003-09-17-378961

Le 1er janvier 2004, entre 610 000 et 850 000 chômeurs vont perdre plusieurs
mois d’allocation. Les ASSEDIC les informent depuis juillet de cette
conséquence d’un accord signé en décembre.

" Quand j’ai reçu cette lettre des ASSEDIC pendant la canicule, ça m’a foutu
un coup, raconte une chômeuse de Vitry-sur-Seine. J’ai appris que je perdais
sept mois d’allocation et qu’à partir du 1er janvier 2004, c’était fini pour
moi. C’est une spoliation, un vol. Ça touche des gens qui parfois n’ont plus
vingt ans, des gens qui n’en peuvent plus. " Depuis fin juillet, une vague
de violence, silencieuse, s’abat sur les demandeurs d’emploi. Des milliers
de chômeurs, inscrits aux ASSEDIC avant le 31 décembre 2002, sont informés
par courrier ou par téléphone que leurs allocations vont être recalculées au
1er janvier prochain, et amputées d’une durée pouvant aller jusqu’à neuf
mois. D’après une évaluation de l’UNEDIC en mai, entre 610 000 et 856 000
demandeurs d’emploi seront touchés et basculeront plus tôt que prévu, entre
début 2004 et fin 2005, vers l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou
le RMI. Sur ce total, entre 250 000 et 370 000 personnes auront épuisé leurs
droits dès le 1er janvier et sortiront immédiatement de l’assurance chômage.

Telle est la conséquence de l’accord signé à l’UNEDIC le 20 décembre dernier
par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CGC, dans l’indifférence générale. À
l’époque, il s’agit, selon eux, de " sauver l’UNEDIC ". Du fait de la
remontée du chômage et de la baisse des cotisations décidée en 2000, le
régime d’assurance chômage accuse un déficit de 3,7 milliards d’euros pour
2002. Pour rétablir l’équilibre financier, l’accord signé fait porter
l’essentiel des économies sur les demandeurs d’emploi. Au travers de la
refonte des " filières ", les durées d’indemnisation sont considérablement
amputées (voir tableau). Un demandeur d’emploi qui avait droit à trente mois
d’allocation tombe à vingt-trois mois. Les chômeurs de plus de cinquante ans
passent de vingt et un mois à sept. Les jeunes et les salariés précaires
accèdent plus difficilement à l’allocation, puisque la durée minimale
d’activité exigée pour ouvrir des droits passe de quatre à six mois.

Ce régime sec s’applique depuis le 1er janvier aux nouveaux allocataires.
Mais, fait rarissime dans l’histoire de l’UNEDIC, les " partenaires sociaux
" ont décidé qu’il serait aussi infligé aux allocataires en cours
d’indemnisation au moment de la signature de l’accord, sauf à une partie des
chômeurs âgés (voir tableau). Pour faire passer la pilule, ils ont gelé
l’année 2003 et repoussé au 1er janvier 2004 ce " basculement " dans le
nouveau dispositif. Selon leur date d’admission aux ASSEDIC, les 613 000 à
856 000 chômeurs concernés perdront entre un jour et neuf mois d’allocation.
Pour 60 % d’entre eux, la perte sera supérieure à six mois. Un coup de
massue pour une population déjà appauvrie, sur fond de remontée du chômage.
" Pour beaucoup, cela va compromettre des parcours de formation dans
lesquels ils étaient ou comptaient s’engager, ajoute Christophe Mathey,
secrétaire régional du SNU-ANPE Auvergne. Je pense notamment aux
emplois-jeunes qu’on a orientés vers des formations longues. "

" À l’UNEDIC, il y a souvent des modifications réglementaires, mais la
rétroactivité constitue une violence, une agression vis-à-vis des chômeurs,
dénonce Sandrine Minerva, de la CGT des organismes sociaux. On leur a
notifié des droits officiellement, et ils apprennent brutalement qu’ils ne
les toucheront jamais. C’est sûr qu’il y aura des réactions violentes. "
Pour gérer cette bombe à retardement, l’UNEDIC a cultivé l’opacité.

L’organisme s’est bien gardé d’informer rapidement et clairement les
allocataires des mesures prises, pourtant lourdes de conséquences. En
janvier, les ASSEDIC ont envoyé un courrier volontairement sibyllin. Depuis
fin juillet seulement, elles préviennent progressivement les chômeurs, à
quatre mois de la fin de leurs droits. En informant, " au fil de l’eau " et
sans confrontation physique avec les agents, l’UNEDIC espère éviter les
problèmes dans les antennes et atténuer la visibilité sociale du "
basculement ".

" Pour l’instant, ça se passe plutôt bien, on a peu de remontées de
mécontentement ", se félicite-t-on à l’UNEDIC. Mais depuis juillet, AC !,
l’APEIS, le MNCP et la CGT chômeurs reçoivent de nombreux témoignages de
chômeurs choqués. Outre les difficultés inextricables que peut créer la
perte de plusieurs mois d’allocation, ils se sentent floués. Le PARE, ce "
bon plan pour retrouver un emploi ", leur a été présenté comme un contrat,
un engagement réciproque (allocation contre recherche " active " d’un
emploi), que les ASSEDIC rompent aujourd’hui allègrement. AC !, l’APEIS et
le MNCP ont déposé en août un recours au Conseil d’État contre la portée
rétroactive de l’accord.

En attendant, pour soulever la chape de silence, les organisations de
chômeurs tractent dans les ASSEDIC et les ANPE, informent, essaient de
mobiliser. La CGT chômeurs a lancé une pétition sous forme de carte à
renvoyer au président de République, réclamant " la renégociation de la
convention UNEDIC et l’indemnisation de tous les chômeurs ". AC ! organise
lundi prochain une réunion d’information à Paris, à la Bourse du travail.

L’APEIS a envoyé un courrier aux maires de plusieurs départements pour
qu’ils interpellent Fillon, les syndicats, le patronat, pour " dire
l’urgence d’une renégociation de cet accord dont les conséquences sont si
dramatiques ". " Tant que ça n’est pas appliqué, on peut l’empêcher, on a
trois mois devant nous pour organiser la baston ", expliquait vendredi
dernier Malika Zediri de l’APEIS, lors d’une réunion d’information avec des
chômeurs, à Vitry-sur-Seine. " Il faut aller manifester devant le MEDEF,
lançait une autre militante. Mais aussi devant la CFDT, la CGC, la CFTC. Que
des syndicats affament les chômeurs, je ne comprends pas ! "

Fanny Doumayrou