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media, émissions en danger... et la liberté d’expression dans tout cela ?

Publie le jeudi 22 juin 2006 par Open-Publishing
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Concernant les menaces sur Là-bas si j’y suis et 2 autres affaires
montrant le pouvoir des propriétaire de médias, voici un texte
d’Halimi paru dans la "valise diplomatique".

Depuis plusieurs semaines, une série d’affaires secouent les médias
français, tant privés que publics, soulevant la question de leur
indépendance rédactionnelle.

Dans les médias privés, la baisse de diffusion de nombre de titres,
certains parmi les plus prestigieux, accroît l’influence du
propriétaire appelé à résorber les dettes.

Le fondateur de Libération, Serge July, s’est déclaré contraint au
départ par le principal propriétaire du titre, le banquier Edouard de
Rothschild, effrayé par les pertes du journal. L’affaire EADS concerne
elle aussi un industriel propriétaire de médias, M. Arnaud Lagardère.
En effet, des soupçons de délit d’initié visent certains actionnaires
importants de l’entreprise aéronautique, dont le coprésident d’EADS,
M. Noël Forgeard, ses enfants, et le groupe Lagardère. Tous ont vendu
de très nombreux titres peu avant que l’annonce d’un retard à la
livraison d’avions Airbus A-380 provoque la plongée de la valeur
boursière d’EADS (26 % de baisse le 14 juin). Enfin, l’affaire du
remplacement de M. Zacharias à la tête du groupe Vinci, consécutif aux
exigences financières démesurées de l’ancien PDG (plus de 200 millions
d’euros au total), implique un autre acteur des médias, M. Alain Minc.
Ce dernier, en tant que membre du conseil d’administration de Vinci, a
appuyé M. Zacharias et s’est opposé à son remplacement.

L’affaire EADS, la plus grave, implique directement le groupe
Lagardère. Or celui-ci contrôle de très nombreuses publications (de
Paris Match au Journal du Dimanche), plusieurs radios (dont Europe 1,
où le principal studio se nomme Lagardère), ainsi que des
participations au capital de plusieurs titres indépendants (dont Le
Monde). Dans ces conditions, ce n’est peut-être pas seulement
l’actualité de la Coupe du monde de football qui explique que les
développements à EADS aient suscité moins de fièvre dans les médias -
et moins de commentaires indignés des éditorialistes - que telle ou
telle déclaration secondaire d’un responsable politique ou d’un
amuseur.

Et ce n’est sans doute pas non plus par accident que M. Forgeard,
coprésident d’EADS, a choisi le micro (amical) d’Europe 1 pour livrer
ses premières explications à Jean-Pierre Elkabbach, journaliste mais
aussi conseiller d’Arnaud Lagardère. Quelques semaines plus tôt, M.
Forgeard, qui avait alors réalisé la vente de ses millions d’euros de
stock options, avait déjà choisi Europe 1, cette fois pour justifier
des charrettes de licenciements à l’entreprise Sogerma de Mérignac.

Face à une telle situation dans les médias privés, on pouvait espérer
que l’audiovisuel public demeurerait, lui, à l’écart des pressions de
ses « actionnaires », le pouvoir politique dans le cas d’espèce. Un an
avant l’élection présidentielle, il n’en est rien, apparemment. A
Radio France, l’émission produite par Daniel Mermet sur France Inter,
Là-bas si j’y suis, dont chacun connaît la capacité de critique
sociale, serait menacée.

Interrogé par Le Monde diplomatique, le directeur délégué de France
Inter, M. Frédéric Schlesinger, vient en effet de confirmer qu’il
envisageait de déplacer cette émission vers une tranche horaire (15
heures au lieu de 17 heures) qui la priverait presque automatiquement
de la moitié de son audience.

Selon M. Schlesinger, la décision ne serait pas encore prise. Mais sa
motivation (officielle) est déjà connue. Il ne s’agirait pas, bien
sûr, d’une mesure politique... M. Schlesinger, qui a exercé
précédemment des fonctions importantes au sein du groupe Lagardère,
préfère invoquer « les derniers résultats de Médiamétrie », même si,
dans une grille marquée par un recul général d’audience de France
Inter, Là-bas si j’y suis a conservé, voire accru le nombre de ses
auditeurs.

Quoi qu’il en soit, il est un peu étonnant qu’une radio publique
admette (ou prétende) déterminer ses programmes en fonction de
sondages d’audience, à la fiabilité incertaine, sans se soucier du
contenu de ce qui est diffusé. Et des missions de service public
imparties à la station. Au point que M. Schlesinger confie : « Et si
Daniel [Mermet] était capable de gagner 0,2 point ; et si l’équipe qui
le remplace était capable de gagner 0,2 point. Eh bien, France Inter
aurait gagné 0,4 point. »

Peut-être que l’idée de permettre à Là-bas si j’y suis de faire
remonter une audience très faible - « un challenge » selon le
directeur délégué de France Inter - n’est pas tout à fait sans rapport
avec la campagne électorale qui s’annonce. Car, quitte à « gagner 0,2
point » quelque part, pourquoi ne pas avoir choisi pour Daniel Mermet
et son équipe le « challenge » de faire remonter une tranche horaire
plus populaire encore que celle de 17 heures ?

Des milliers d’auditeurs de France Inter, qui se posent la même
question, ont déjà signé une pétition de soutien aux journalistes de
Là bas si j’y suis.

Lundi 19 juin, M. Schlesinger, directeur délégué de France
Inter, a apporté des précisions au Monde diplomatique sur deux projets
qui sont prêtés à la direction de France Inter. Le premier concerne le
non-renouvellement de la chronique d’Alain Rey, diffusée chaque matin
de semaine vers 8 h 50. Le second concerne l’éventuel déplacement de
la tranche horaire réservée à l’émission « Là-bas si j’y suis »,
laquelle pourrait désormais être diffusée à 15 heures au lieu de 17
heures.

Sur la chronique d’Alain Rey :

« La rubrique est stoppée. Il y a une baisse de l’audience et,
dans ce contexte-là, on renouvelle. Quelqu’un arrive : il faut donc
que quelqu’un parte pour qu’on puisse donner sa chance à des quadras
pleins de talent, trouver le José Artur [célèbre animateur de la
station] de demain. Cette décision relève de la rédaction. Elle a
estimé que ce décryptage-là n’était plus nécessaire. »

Sur l’émission produite par Daniel Mermet :

« Il y a des collaborateurs qui doivent savoir tout donner et
se remettre en danger. La décision n’est pas prise, mais si,
tactiquement, on estime que Daniel [Mermet] peut donner quelque chose
à un autre horaire l’après-midi, je ne veux certainement pas lui
enlever une heure d’émission. Encore une fois, aucune décision n’est
prise sur le sujet. J’attends les derniers résultats de Médiamétrie.
On propose par ailleurs à Daniel d’intervenir dans une autre émission,
une sorte de Masque et la Plume [émission culturelle diffusée le
dimanche soir], pour voir si France Inter serait plus efficace avec un
léger changement d’horaire pour Daniel.

France Inter est en danger ! Mais, chaque fois que je veux
modifier un tant soi peu un horaire, ça devient extrêmement compliqué.
C’est mon métier de construire la grille la plus équilibrée possible.
Je ne dis pas qu’il est responsable de l’audience de France Inter.
Mais je vous dis : et si Daniel était capable de gagner 0,2 point ; et
si l’équipe qui le remplace était capable de gagner 0,2 point. Eh
bien, France Inter aurait gagné 0,4 point.

Il n’est pas possible que quelqu’un ne joue pas le collectif.
Je n’imagine pas que Daniel ne relèvera pas le challenge qu’on lui
confiera. L’hypothèse [d’un déplacement de l’émission] est très
avancée, mais la décision n’est pas encore prise. Il y a un vrai
débat. J’attends d’avoir les derniers résultats de Médiamétrie. »

Serge Halimi

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