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Moyen Orient : le prix de l’apartheid

Publie le lundi 17 juillet 2006 par Open-Publishing
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de Nico Hirtt, Enseignant et écrivain

« Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation et à des accords honnêtes avec les arabes, alors nous n’aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et mériterons tout ce qui nous arrivera. » (Albert Einstein, lettre à Weismann, le 25 novembre 1929)

Aux yeux de nombreux observateurs, la politique actuelle du gouvernement israélien peut sembler parfaitement irrationnelle. Pourquoi courir le risque d’embraser le Liban, alors même que celui-ci se détache petit à petit de la Syrie ? Pourquoi attaquer militairement le Hamas, à l’instant précis où ce mouvment s’apprêtait à céder aux pressions internationales et à reconnaître le « droit à l’existence » d’Israël ? En réalité, ces actes ne sont incompréhensibles que si l’on s’obstine à la juger la politique d’Israël à l’aune de son discours officiel, celui qu’il tient sur la scène internationale, affirmant que « nous souhaitons seulement vivre en paix avec nos voisins ». Les choses deviennent beaucoup moins obscures lorsqu’on examine la politique de l’Etat israélien à la lumière de sa doctrine fondatrice : le sionisme.

Quand, vers 1885, des hommes comme Léo Pinsker, Ahad Haam et Theodor Herzl envisagèrent de créer un « foyer national juif » en Palestine, ils furent loin de faire l’unanimité autour d’eux. A vrai dire, la plupart des Juifs refusèrent ce projet. D’abord parce qu’il n’avait aucun sens : il était matériellement impossible d’envisager l’émigration de tous les Juifs du monde vers la Palestine (aujourd’hui encore, l’Etat d’Israël ne réunit qu’une infirme portion des Juifs de la planète, même s’il s’arroge le droit de parler en leur nom). D’autre part, la très grande majorité d’entre eux n’avaient aucune envie de quitter le pays où ils étaient nés ; malgré les persécutions et les discriminations, ils se considéraient très justement comme des citoyens de France, de Belgique, des USA, d’Allemagne, de Hongrie ou de Russie.

Enfin, beaucoup de Juifs, surtout les intellectuels et les progressistes, s’opposaient radicalement au caractère délibérément raciste et colonialiste du projet sioniste. Ils ne se reconnaissaient pas dans les propos d’un Ahad Haam quand celui-ci décrètait que « le peuple d’Israël, en tant que peuple supérieur et continuateur moderne du Peuple élu doit aussi devenir un ordre réel » ; ils ne pouvaient suivre Theodor Herzl quand il disait vouloir « coloniser la Palestine », y créer un Etat Juif et, pour ce faire, « rendre des services à l’Etat impérialiste qui protégera son existence ». Même après la guerre et l’Holocauste, des personnalités juives de premier plan, tout en apportant parfois leur soutien matériel et moral aux Juifs qui s’installaient en Palestine, continuèrent de refuser radicalement l’idée d’y créer un Etat Juif. Einstein : « La conscience que j’ai de la nature essentielle du judaïsme se heurte à l’idée d’un État juif doté de frontières, d’une armée, et d’un projet de pouvoir temporel ».

Le racisme et le colonialisme israéliens ne tiennent pas à la nature d’une majorité gouvernementale ; ils sont le fondement même d’un Etat qui se définit non par référence à une Nation, mais à une religion et à une ethnie particulières ; un Etat qui affirme, sur base de légendes poussiéreuses, le droit de « son » peuple à l’appropriation exclusive d’une terre pourtant déjà habitée et exploitée par d’autres populations. Quelle terre ? Là encore, les textes fondateurs du sionisme éclairent la politique actuelle. Lorsqu’il s’adresse en 1897 au gouvernement français, dans l’espoir d’obtenir son appui pour la fondation d’Israël, Herzl écrit : « Le pays que nous nous proposons d’occuper inclura la Basse-Egypte, le sud de la Syrie et la partie méridionale du Liban. Cette position nous rendra maîtres du commerce de l’Inde, de l’Arabie et de l’Afrique de l’Est et du Sud.

La France ne peut avoir d’autre désir que de voir la route des Indes et de la Chine occupée par un peuple prêt à la suivre jusqu’à la mort ». Après la Première Guerre Mondiale et les accords Sykes-Picot, les mêmes promesses seront adressées à l’Angleterre. Et depuis 1945 elles jouissent, comme on sait, de l’oreille très attentive du gouvernement américain. De la Basse Egypte au Sud-Liban... Il suffit d’un regard sur les cartes successives du Moyen-Orient, depuis la fondation d’Israël, pour observer avec quelle régularité systématique le plan de Theodor Herzl a été poursuivi. De la Galilée et de la bande côtière de Jaffa, les territoires proposés par le premier plan de partage de Bernadotte en 1948, Israël s’est progressivement étendu vers Jerusalem, la Mer Morte, le Neguev, le plateau du Golan au sud de la Syrie ; aujourd’hui elle phagocyte petit à petit la Cisjordanie et Gaza ; elle convoite même le Sud-Liban.

Israël est au Moyen Orient ce que l’Afrique du Sud de l’apartheid fut, jadis, à l’Afrique australe : une colonie euro-américaine, imposant aux populations autochtones une domination à caractère raciste, et dont l’existence serait impossible sans l’aide matérielle d’une puissance impérialiste « en échange de services rendus ». Souvenons nous d’ailleurs qu’Israël s’est vu condamner à plusieurs reprises par les Nations Unies en raison de sa collaboration militaire et nucléaire avec le régime sud-africain. Qui se ressemble s’assemble...

Quand un gouvernement juge que la vie d’un soldat est plus importante que celle de dizaines d’enfants et de civils, au seul prétexte que ce soldat est juif alors que les civils et les enfants sont musulmans, chrétiens ou sans religion, alors l’Etat que représente ce gouvernement est un Etat raciste. Quand des forces armées, dans les territoires qu’elles occupent illégitimement, interdisent aux civils de se déplacer, de puiser l’eau aux puits et aux sources, de labourer leurs champs, de visiter leur famille, de se rendre à l’école ou à leur travail, de circuler d’un village à l’autre, d’amener un enfant malade chez le médecin, tout cela pour l’unique motif que ces civils ne sont pas de confession juive ou de nationalité israélienne, alors cette armée est celle d’un Etat raciste et colonialiste.

Dire cela aujourd’hui, en Europe, oser contester les fondements du projet sioniste, c’est risquer de se voir attaquer comme antisémite, voire comme négationiste. Il est temps que cesse cette hypocrisie. La Shoah ne peut justifier les souffrances des Palestiniens et des Libanais. De quel droit les dirigeants israéliens, nés pour la plupart après 1945, parlent-ils au nom des victimes du nazisme ? De quel droit prétendent-ils s’approprier la mémoire exclusive d’un crime perpétré contre toute l’humanité ? Oser invoquer l’Holocauste pour justifier son propre racisme est une insulte, non un hommage au martyr juif.

On s’est offusqué d’entendre le président iranien dire qu’il fallait « rayer Israël de la carte ». C’est pourtant bien l’unique solution. Il faudra d’ailleurs, pareillement, rayer de la carte les prétendus « territoires palestiniens », ces nouveaux bantoustans. Gommons de la carte du Moyen orient la frontière honteuse entre Juifs et Arabes. La politique de « deux peuples, deux Etats », la politique du partage de la Palestine sur une base religieuse et ethnique, est une politique d’apartheid qui n’apportera jamais la paix. Revenons en à ce qui fut toujours, jusqu’à Oslo, le projet de l’OLP, mais aussi celui d’un grand nombre de juifs comme, derechef, le grand physicien et humaniste Albert Einstein : « Il serait, à mon avis, plus raisonnable d’arriver à un accord avec les Arabes sur la base d’une vie commune pacifique que de créer un État juif ».

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