Accueil > Manifs grenobloises contre la guerre en Irak

Manifs grenobloises contre la guerre en Irak

Publie le mardi 18 mars 2003 par Open-Publishing

Un texte pour aller au-delà du consensus mou pacifiste. Quelques chiffres pour contextualiser.

Nous avons distribué le texte ci-dessous lors des 2 dernières manifestations grenobloises contre la guerre en Irak. Sous la forme d’1 joli tract A5 plié en 2, avec 2 photos de Jacques Chirac et George W. Bush bras dessus bras dessous. Nous étions 2 pour le distribuer le 7 mars, puis 5 le 15 mars.

Le samedi 7 mars, il y avait environ 5000 personnes dans les rues. Peut-être un peu moins. Pas de présence anarchiste caractérisée. Nous avons distribué les 250 tracts photocopiés pour l’occasion. Le samedi 15 mars, plus de 5000 personnes, mais moins de 10000. A priori. Un bon cortège anarchiste de plus de 100 personnes avec surtout des gens non-étiqueté-e-s. Seule la CNT (tendance Vignoles) était visible en tant qu’orga, avec ses drapeaux et ses tracts. Nous avons distribué les 400 tracts photocopiés pour l’occasion. Et nous nous sommes plus amusé-e-s que lors de la précédente manifestation.

"La guerre est engagée par chaque groupe dirigeant contre ses propres sujets, et l’objet de la guerre n’est pas de faire ou d’empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société." 1984, George Orwell

LES CAUSES DE LA GUERRE… ET DE LA PAIX.

La péninsule arabique et certains Etats d’Europe de l’Est se remplissent chaque jour un peu plus de matériel et de soldats américains et anglais. La guerre semble aujourd’hui "inévitable". C’est reparti pour un tour… Il est vrai que cela faisait bien un an que Bush n’avait fait des siennes et qu’on n’avait pas ressorti les banderoles. La grosse ficelle de Saddam Hussein étant usée et presque périmée, le prévisible spectacle de son élimination et ses préliminaires sont loin d’atteindre l’efficacité de précédents célèbres (Milosevic ou Ben Laden) ; d’ailleurs, cette fois-ci, ce qu’on appelle " l’opinion publique ", ici et ailleurs, n’est pas convaincue de la nécessité de cette guerre. Plusieurs millions de personnes à travers le monde se mobilisent pour dire " NON " à la guerre en Irak. Mais quand donc y aura-t-il plusieurs millions de personnes dans les rues pour dire " NON " au système politique qui justifie cette guerre comme la plupart des guerres qui éclatent chaque année sur cette planète ? Il est vrai que les médias français, qui semblent avoir récemment découvert les enjeux économiques et géostratégiques du Moyen Orient, démasquent sans peine, sous les rudimentaires prétextes juridiques et moraux, les objectifs des USA et de son complexe militaro-industriel-pétrolier. Mais cette pertinence a des limites, celles de la raison d’Etat, dont les journalistes sont les servant-e-s ; la position de la France (de l’Allemagne et de la Russie) est ainsi présentée comme celle du droit, de la raison et de la paix. On évoque peu les antagonismes économiques entre Etats capitalistes qui expliquent le parti pris " pour " ou " contre " la guerre en Irak : les entreprises françaises et russes seraient, en cas de paix et de levée des sanctions contre l’Irak, aux premières places pour emporter de juteux marchés (exploitation du pétrole, reconstruction du pays, …) ; l’intervention américaine les offrirait prioritairement aux compagnies anglo-saxonnes… Si, comme tout le laisse à penser, les USA envahissent l’Irak, nos diplomates, qui tentent de placer habilement leurs pions sur l’échiquier, négocieront au prix fort (en terme de contrats d’exploitation) le ralliement de la France au camp belliciste. Ni le sort de la population irakienne, ni celui de leur dictateur, ni les manifestations pacifistes ne détermineront leurs choix. Pas plus que l’absurdité de bombarder un pays dont le gouvernement détruit ses propres missiles pour être bien sûr de ne pas pouvoir se défendre (c’est quand même terrible de voir jusqu’où va la domination occidentale sur le reste du monde…). Par ailleurs, essayer de repousser au plus tard le déclenchement de la guerre, c’est oublier que depuis plus de 10 ans, depuis la guerre du Golfe, les bombardements de l’armée américaine sur le territoire irakien n’ont pas vraiment cessé (sans parler de l’embargo imposé à la population irakienne, allégé tout juste par un programme "pétrole contre nourriture").

PACIFISME A GEOMETRIE VARIABLE.

Les militant-e-s pacifistes et les organisations qui les encadrent (rejoint-e-s par les débris de la "gauche plurielle" qui ont géré au mieux les conflits précédents - Golfe, Kosovo, Afghanistan - et apprécient beaucoup moins les bombes et le sang une fois dans l’opposition) arpentent à nouveau le pavé contre les busheries les plus spectaculaires. Si durant la guerre du Kosovo nombre de pacifistes et même d’antimilitaristes encouragèrent les bombardements de l’OTAN, lors de l’intervention américaine contre l’Afghanistan les mêmes demandèrent que les massacres s’effectuent sous l’égide de l’ONU ("garant du droit international"). Les revoilà qui étalent aujourd’hui leurs incohérences en refusant la guerre contre l’Irak "qu’elle se fasse sous mandat de l’ONU ou non", maltraitant ainsi leur droit international chéri (qui ne leur convient plus) ; ils- elles espèrent néanmoins son bon fonctionnement quand ils-elles demandent à la France d’utiliser son droit de veto… On remarque au passage que, pour certain-e-s, si des guerres sont horribles, d’autres peuvent être "justes", légitimes, légales, nécessaires ou "humani-taires" (seules les mauvaises guerres faisant des victimes innocentes-civiles). La fonction idéologique spécifique de cette mouvance pacifiste est de nous présenter la guerre comme un dysfonctionnement, comme un déséquilibre à l’intérieur de la formation économique et sociale en place, déséquilibre qu’il s’agit de corriger pour revenir au point d’équilibre : la démocratie, l’amitié-entre-les-peuples, le respect-de-la-personne-humaine-et-de-ses-droits. Sursaut de nos politicien-ne-s, négociations, instauration de la taxe Tobin, d’une taxe sur les armements, d’un contrôle citoyen des institutions internationales, etc. : autant d’éléments qui sont sensés permettre de corriger ce dérapage guerrier. Il s’agit donc de cacher/oublier que la guerre fait au contraire intégralement partie du développement capitaliste, qu’elle en est une composante, un moment nécessaire à son bon fonctionnement. Nous ne pourrons nous débarrasser définitivement de toute guerre qu’en mettant fin à l’oppression sociale, économique et politique dont le capitalisme et l’Etat sont probablement la plus haute synthèse.

NI GUERRE EN IRAK, NI PAIX ENTRE LES CLASSES !

Manifester et mobiliser pour dire "non à la guerre" et demander au Parlement et aux autorités françaises de dire "non", c’est avant tout reconnaître la légitimité de ces institutions, de leur fonctionnement, du droit international comme norme politique devant régir le monde. C’est croire que la démocratie peut empêcher la guerre (toutes les guerres et massacres coloniaux menés par la France au XXème siècle ne l’ont été que par des gouvernements démocratiques, de gauche ou de droite, dans le respect des institutions, que les "opinions publiques" aient été pour ou contre). Plus que jamais, c’est à l’intérieur de ses propres rouages que le capital pourra être mis à mal, en remettant en cause sa capacité de production et la domination qu’il exerce, en refusant concrètement l’ordre capitaliste et les hiérarchies sociales, en mettant en pratique dès aujourd’hui la grève générale et l’abolition du salariat, en imposant la généralisation de l’autogestion à tous les domaines de la société et de la vie. C’est en refusant de marcher au pas pour la démocratie et pour le système actuel que le bouleversement et le renversement des rapports sociaux peuvent s’entrevoir.

LE CAPITALISME C’EST LA GUERRE. LE PATRIARCAT AUSSI.

Si le capitalisme a besoin de la guerre pour s’entretenir, la domination masculine passe elle aussi par l’idéologie belliqueuse. Quoi de plus viril qu’un soldat ? Quoi de plus masculin que la conquête, la colonisation et la concurrence ? La construction masculine est une quête vers le pouvoir. Dire " NON " au capitalisme sans dire " NON " au patriarcat, nous semble aussi absurde que dire " NON " à la guerre sans dire " NON " au capitalisme. Sans illusions, nous pensons que s’il est nécessaire de construire des rapports sociaux plus égalitaires sans attendre un hypothétique " Grand Soir ", nous pensons aussi que pour redéfinir complètement ces nouveaux rapports sociaux, il nous faudra bien abattre l’Etat, la capitalisme et le patriarcat, autrement dit les systèmes et les structures qui dirigent nos vies…

Eléments pour un bloc noir, Grenoble, le 7 mars 2003 (gasteropodes@no-log.org)

Ce texte est en grande partie inspiré par un tract distribué en Avignon par "Les IncivilEs" lors de la manifestation contre la guerre en Irak, samedi 1er mars 2003. Vous pouvez contacter les IncivilEs à cette adresse e-mail : incivils@freesurf.fr

" Les idées s’améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique ". Poésies II, Lautréamont