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Televisus interruptus

Publie le jeudi 23 octobre 2003 par Open-Publishing

Vers l’homme futur Par François Taillandier
Televisus interruptus

C’était amusant de voir Star Ac’ interrompue par les intermittents du spectacle, autrement dit : la réalité faire irruption dans la télé. La télé n’aime pas du tout les irruptions de la réalité. Elle l’a prouvé en annonçant aussitôt " une pause " (autrement dit de la pub), suivie d’un épisode de Julie Lescaut, série réaliste (au réalisme contrôlé par la télé). Les intermittents furent donc plus intermittents que jamais ; l’un d’eux eut le temps de prononcer une phrase relative aux indemnités. Et tout fut dit.

Dommage. Je rêve de terroristes mieux organisés envahissant Star Ac’ et disant : " Téléspectateur, on se fout de toi. On te prive du réel au nom du spectacle et du spectacle au nom du réel. "

On te prive du spectacle : parce que le théâtre, la danse, la chanson, les comiques, tout ce qui se fait de bien sur les scènes françaises, on te le refuse, alors que ça ne serait pas difficile d’aller filmer des pièces, des tournées, des créations, et d’acquérir les droits de diffusion. On ne le fait pas, et 90 % de ce qui se crée en France est hors antenne.

On te prive par la même occasion du réel, parce que ces " vrais gens " qu’on prétend te montrer, ces vrais " jeunes " qui apprennent à chanter et ruminent leurs chamailleries (" pourquoi Sandra est-elle agressive ? ") sont parfaitement fictifs, triés sur le volet et soumis aux règles du jeu ; on peut compter sur eux pour ne pas le troubler.

On te prive donc à la fois du réel et du spectacle, de la vérité et de la fiction. Il n’existe que deux façons intellectuellement propres d’utiliser une caméra : c’est de viser au reportage ou de viser à l’invention - dans l’un et l’autre cas en indiquant ses moyens et en les soumettant par là à la critique. Redisons-le : c’est parce qu’il y a de la fiction que nous savons qu’il y a du réel. Toute mise en cause de cette frontière est une atteinte aux droits de l’esprit.

La télé passe son temps à truquer la fiction comme à truquer le réel. Il faut savoir que les " pics de suspense " de Julie Lescaut et des séries analogues sont calculés en fonction du moment où doit apparaître l’écran publicitaire. Il faut savoir que le JT s’arrange pour panacher les bonnes et les mauvaises nouvelles, car on a fait des sondages sur le stress du téléspectateur et il ne faut pas trop l’angoisser. Et cetera, et cetera. Tout ça porte un nom : manipulation permanente. Et quand le système craque, on sort le gros bâton.

Post-scriptum : est-il confirmé que M. Fabius aime beaucoup Star Ac’ ? C’est vraiment avoir un goût de chiottes.

http://www.humanite.fr/journal/2003-10-23/2003-10-23-381178
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