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Chomsky et le "complot médiatique". Des simplifications actuelles de la critique sociale

Publie le lundi 4 septembre 2006 par Open-Publishing
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de Philippe Corcuff *

Une certaine critique des médias a le vent en poupe dans la galaxie altermondialiste. Certains y voient un signe de bonne santé de la radicalité politique. J’y vois poindre aussi des indices de régression "pré-marxiste" de la critique sociale. Les études consacrées par Noam Chomsky aux médias constituent le pôle le plus sérieux de ce type de littérature.

Par contre, les usages français de Chomsky apparaissent souvent en décalage avec leur inspirateur : soit qu’ils présentent des analyses plus manichéennes associées à un style pamphlétaire(1), soit qu’ils rompent plus nettement avec la logique même de l’argumentation rationnelle qui est celle de Chomsky(2). Je me centrerai donc sur le texte chomskyen plutôt que sur les "chomskysmes" français, que je me contenterai de citer ponctuellement.

Ce ne sont ni les travaux renommés dans la communauté scientifique internationale du linguiste, ni le courage politique d’un militant anti-impérialiste au cœur de l’Empire américain, ni encore son intéressante insertion dans la mouvance libertaire(3), qui seront en jeu ici, mais son analyse politique des médias(4). Sur ce plan, je n’attribue pas à Chomsky, contrairement à Arnaud Rindel, "une place fondamentale dans la pensée critique moderne"(5), mais j’en fais plutôt un révélateur d’un certain recul théorique des discours critiques les plus diffusés aujourd’hui. Je m’arrêterai principalement sur l’ouvrage souvent considéré comme le plus construit par les partisans de Chomsky eux-mêmes, écrit en collaboration avec l’économiste Edward S. Herman : La fabrique de l’opinion publique américaine - La politique économique des médias américains (Manufacturing Consent - The Political Economy of the Mass-Media, 1e éd. : 1988)(6).

"Le système" et "le complot" : hésitations entre deux figures du "tout" chez Chomsky

Chomsky et Hermann définissent dans l’introduction de 2003, la préface de 1988 et le chapitre 1 (intitulé "Un modèle de propagande") le point d’appui théorique de leurs analyses empiriques : "le modèle de propagande". Ils indiquent ainsi que "L’objet de ce livre est de proposer ce que nous appelons un modèle de propagande, c’est-à-dire un cadre analytique capable d’expliquer le fonctionnement des grands médias américains à partir de leurs relations avec les principales structures institutionnelles qui les environnent. Nous pensons qu’entre autres fonctions, ces médias se livrent à une propagande qui sert les intérêts des puissantes firmes qui les contrôlent en les finançant et dont les représentants sont bien placés pour orienter l’information" (p.XI)(7). Si, dans la citation précédente, le vocabulaire ambigu du "contrôle" et de "l’orientation" pourrait suggérer la présence d’une tonalité intentionnaliste dans l’analyse, les deux auteurs s’efforcent cependant de mettre clairement à distance la thématique du "complot", classiquement reprochée à Chomsky : "Loin de nous l’utilisation de l’hypothèse d’une conspiration pour expliquer comment fonctionne le monde des médias" (p.LII). À un moment, cela débouche sur des pistes stimulantes, mais relativement peu reprises par la suite, sur le rôle des stéréotypes intériorisés par les journalistes : "La plupart des préjugés médiatiques ont pour cause la présélection d’un personnel bien-pensant qui intériorise des idées préconçues" (p.LII).

Le pôle anti-"complot" de l’analyse se révèle être, le plus souvent, un systémisme, ultra-fonctionnaliste et économiste, mettant en scène un "système" économique omniprésent et omniscient. C’est la logique économique des propriétaires et des publicitaires qui déterminerait d’abord et directement le contenu précis des messages médiatiques (pp.2-14), intégrant les "médias au marché" (p.5) et empêchant la moindre "autonomie" (p.4). Le systémisme et l’économisme apparaissent ici renforcés par rapport à la tradition marxiste, dont les secteurs les plus soucieux de prendre en compte les complications observables du réel ont essayé de doter "la détermination en dernière instance" (des rapports de production capitalistes sur les autres rapports sociaux) d’une plus grande souplesse, laissant place à de sphères autonomes (comme les mondes de la politique, du droit ou de la culture) et à des médiations (entre le pouvoir des détenteurs des moyens de production et les pratiques sociales). Par la suite, une théorie critique "post-marxiste" comme celle initiée par Pierre Bourdieu a même accru l’autonomie des différentes régions de l’espace social (avec l’hypothèse d’une pluralité de "champs" autonomes composant une formation sociale : champs économique, culturel, politique, journalistique, etc.)(8).

Le penchant économiste de l’analyse chomskyenne des médias s’avère une première façon d’appréhender nos sociétés comme des "touts" intégrés, homogènes, sans grandes contradictions, ni diversité de pratiques, ni incertitudes ou hasards. Cela est renforcé par les généralisations hâtives portées par le vocabulaire choisi : "constante et généralisée" (p.30), "totale" (p.73), "toujours" (p.75), "orientation structurelle systématique" (p.109), etc. Mais cet économisme est souvent débordé par la tendance intentionnaliste de l’écriture : le retour subreptice du "complot". La "conspiration" se présente comme une autre forme du "tout" : une forme subjective et volontariste, et non plus une forme objective et économiste (comme "le système" omniprésent).

Alors qu’ils ont récusé explicitement la figure du "complot" (citation ci-dessus, p.LII), nos deux auteurs y reviennent implicitement quelques lignes plus loin : "nous décrivons un système de "marché dirigé" dont les ordres viennent du gouvernement, des leaders des groupes d’affaires, des grands propriétaires et de tous ceux qui sont habilités à prendre des initiatives individuelles et collectives. Ils sont suffisamment peu nombreux pour pouvoir agir de concert (...) " (p.LII). Et d’utiliser la page suivante des expressions empruntées à un texte du philosophe Jacques Ellul sur les mécanismes de propagande : "les intentions réelles de ses actes" et "voiler ses véritables desseins" (p.LIII). Entre formulations anti-conspirationnistes et formulations à tonalité conspirationniste, il y a donc des va-et-vient et des chevauchements dans ces deux pages (pp.LII-LIII). Toutefois, dans l’ensemble de l’ouvrage, les notations les plus théorisées (celles qui portent une plus grande généralisation de l’analyse) pointent plutôt la direction de "la conspiration", dans une association/hésitation avec la figure du "système".

On peut lister une partie de ces formulations : "Le fin du fin du système, c’est de démontrer qu’il n’est pas monolithique tout en veillant à ce que ces discordances marginales n’interfèrent en rien avec le consensus officiel" (p.XII), "les maîtres qui contrôlent les médias ont choisi de ne pas diffuser un tel contenu : ainsi fonctionne le modèle de propagande" (p.XIX), "comment les médias ont suivi les ordres gouvernementaux dans leur traitement des élections de certains pays" (p.XXIV), "Le modèle de propagande et les compromis institutionnels qu’il reflète suggèrent que les forces qui suppriment cette compétition des partis seront à même de dominer et d’orienter dans le même sens les choix des médias" (p.XLI), "Le secret de la direction unique que prennent ces campagnes, c’est le système de filtres : les médias font en sorte que toute histoire susceptible de porter atteinte aux intérêts en place ne voie jamais le jour - ou disparaisse en catimini" (p.29), "Ce credo est basé sur des mensonges, mais les médias approuvent la définition que donne de ces élections le modèle de propagande de "Big Brother"" (p.115), "les grands médias se contentant de relayer l’information et de faire en sorte que la ligne gouvernementale ne soit pas sérieusement mise en cause" (p.117), "l’interprétation utile souhaitée par "l’élite" dominante de l’époque" (p.117), "Mais les médias serviles se contentent de reprendre et de colporter les arguments de Washington" (p.186), "leur obéissance aux autorités officielles rivalise avec ce qu’on peut trouver dans les régimes totalitaires" (p.187), « Après la guerre , la tâche principale des institutions idéologiques consiste à convaincre que "la guerre était moins un crime immoral que la stupide et monumentale erreur militaire d’avoir envoyé un demi-million de soldats dans une guerre ingagnable", comme Homer Bigart, le correspondant de guerre respecté du New York Times, l’explique (...) Le principal sujet, c’est le coût de cette noble entreprise pour les États-Unis. (...) Le problème accessoire des médias est de cacher à l’opinion publique le véritable héritage de destructions laissé par les États-Unis en Indochine » (p.189), « ils offrent l’expression étonnante de ce qu’on appelle, dans d’autres contextes, la mentalité totalitaire qui s’énonce comme suit : il ne suffit pas de dénoncer les ennemis officiels ; il faut aussi garder avec vigilance le droit de mentir pour servir le pouvoir » (pp.223-224)... Au bout du compte, nombre d’expressions suggèrent la primauté d’une action concertée et cachée associant les élites économiques, les dirigeants politiques et les journalistes, qui utiliseraient des mensonges conscients, bref nous ramènent à la figure du "complot".

Les indices de régression "pré-marxiste" sont ici encore plus flagrants que dans le cas de la pente économiste du texte, car la focalisation sur les actions conscientes et volontaires comme moteurs supposés de l’histoire apparaît particulièrement en décalage avec une lecture de l’histoire où les volontés individuelles rencontrent justement des circonstances indépendantes de leurs volontés, et notamment les héritages antérieurs de l’histoire, le poids des structures sociales et des rapports des forces sociales comme les mécanismes idéologiques. Avec le fil intentionnaliste du texte chomskyen, on est paradoxalement plus proche du modèle du libéralisme économique, celui de l’homo œconomicus, pour lequel le calcul coût/avantages d’acteurs individuels est le point de départ de l’analyse, que de la théorie marxiste. Mais dans ce cas, il ne s’agit pas du calcul de tous les individus mais de quelques membres "peu nombreux" d’une élite et leurs calculs sont cachés. On cumule ici un schéma intentionnaliste (ce sont les intentions individuelles qui comptent principalement dans l’explication des processus sociaux) et un schéma élitiste (ce sont les intentions d’une élite). Si cette convergence avec les schémas libéraux n’est pas souvent perçue, c’est qu’elle tend à être effacée par la coloration critique que semble lui donner le dévoilement d’actions cachées. Pierre-André Taguieff a pointé ce mélange d’attrait pour le caché, de vision élitiste de l’histoire et d’hypothèses relevant de l’école libérale dite du "choix rationnel" dans des classiques de la littérature conspirationniste : "Dans la théorie du complot (...) la puissance cachée n’est pas une force irrationnelle, elle est celle d’un groupe d’hommes à la fois décidés et dotés d’une faculté supérieure de calcul rationnel"(9).

Alors Chomsky : un critique néolibéral du néolibéralisme ? En tout cas, c’est une tendance implicite repérable dans ses analyses des médias. Ce qui nous éloigne également du modèle de sociologie critique proposé par Pierre Bourdieu : le croisement de la logique de l’habitus (l’inconscient social intériorisé par chaque personne au cours de sa socialisation) et de celle des champs sociaux (les structures sociales extériorisées, dans des dynamiques sociales s’imposant aux individus malgré eux) limitant la part attribuée aux volontés humaines dans l’explication des mouvements de l’histoire. Il faut alors être pris par un moment d’absence intellectuelle pour ne pas voir, comme le sociologue Patrick Champagne (habituellement mieux informé du contenu des analyses de Bourdieu) et comme le philosophe Henri Maler (habituellement mieux informé du contenu des analyses de Marx), les différences entre Chomsky, Marx et Bourdieu(10).

La philosophe Géraldine Muhlmann apparaît plus lucide quant à ce qui sépare Chomsky de Marx, comme Chomsky de Bourdieu. À propos du rapport Marx/Chomsky, elle note judicieusement : "L’idéologie, au sens de Marx, exerce une domination anonyme et diffuse sur tous, domination qui n’est pas réductible à de la "manipulation" de certains par d’autres"(11). Dans leur texte théorique le plus systématiquement consacré aux logiques idéologiques, L’idéologie allemande (1845-1846), Marx et Engels parlent ainsi, à propos des "idées dominantes" en tant qu’"idées de la classe dominante", de "l’illusion que cette classe nourrit à son propre sujet"(12). Dans une de ses analyses historiques les plus éclairantes, devenue un texte classique pour la sociologie politique, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852), Marx prend un exemple d’illusion idéologique : "Il ne faut cependant pas épouser l’idée bornée que la petite bourgeoisie voudrait faire aboutir, par principe, un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de son émancipation sont les conditions générales offrant seules la possibilité de sauver la société moderne et d’éviter la lutte des classes"(13). Dans l’analyse marxienne comme dans la tradition marxiste, les mécanismes idéologiques ne se réduisent donc pas, dans les textes les plus rigoureux, à une logique de manipulation consciente. La manipulation conscience n’y joue même, tout au plus, qu’un rôle secondaire.

Et les rapports entre la critique chomskyenne des médias - ainsi que certains de ses usages français (tels que ceux développés par Serge Halimi)(14) - et la sociologie de Bourdieu ? Muhlmann pointe une différence de perspective entre la "corruption des personnes" (privilégiée par Chomsky et amplifiée dans le style pamphlétaire d’Halimi) et une "corruption structurelle", associée à la notion de champ, chez Bourdieu(15). Muhlmann précise même judicieusement que "des approches comme celle d’Halimi" sont susceptibles de tomber sous le coup des critiques sociologiques de Bourdieu(16). Il faudrait ici aller plus loin que Muhlmann en relevant une confusion dans le sens donné au mot "connivences" fort usité dans les critiques ordinaires des médias : dans des analyses du type de celles d’Halimi, il a plutôt un sens volontariste et conspirationniste, synonyme de "copinage", alors que dans la sociologie de Bourdieu il a surtout un sens structurel : les évidences et les stéréotypes inconsciemment partagés au croisement du fonctionnement du champ journalistique et des habitus intériorisés par les journalistes(17). Dans le débat public, on confond couramment les deux sens, au profit du premier, privilégié à cause de son pouvoir plus sulfureux de dénonciation.

Le conspirationnisme se présente donc comme une trame narrative inspirant largement la critique chomskienne des médias, dans des croisements avec la trame narrative de l’économisme systémique. Trames narratives ? C’est-à-dire des mises en récit, des types de narration, qui construisent des liens entre les personnages, les événements et les faits sélectionnés par Chomsky. Paul Ricœur parle ainsi de mise en intrigue, entendue comme une "synthèse de l’hétérogène" : "par la vertu de l’intrigue, des buts, des causes, des hasards sont rassemblés sous l’unité temporelle d’une action totale et complète"(18). Ce sont ces liaisons narratives qui dotent les informations recueillies d’une portée théorique implicite, qui leur donnent une interprétation particulière qui n’est pas incluse dans la seule information prélevée dans le réel. Ce ne sont pas les faits mobilisés par Chomsky qui parlent d’eux-mêmes, mais les formes de récit dans lesquelles ils sont insérés qui leur attribuent certaines significations. En bref, les faits collectionnés par Chomsky pourraient parler autrement à travers des trames narratives autres que les trames conspirationniste et économiste.

Ce qui donne leur portée mythologique, et donc en décalage avec les complications du réel, aux récits conspirationnistes a été analysé par Raoul Girardet et Pierre-André Taguieff : la sur-cohérence et la sur-simplification. Sur-cohérence ? "Ainsi se trouvent reliés tous les fils de la manipulation", note Girardet(19). Sur-simplification ? "La simplification est ce qui, au centre de la théorie conspirationniste, jette une fausse clarté sur le champ politique. Toute explication par un facteur unique et simple est une mythologisation", avance Taguieff(20).

Une autre critique des médias est possible

Les critiques des médias se situant dans le sillage chomskyen, avec leurs simplifications "pré-marxistes", dans des tonalités conspirationnistes et/ou économistes, ne sont pas les seules envisageables. D’autres voies sont possibles, explorées par les sciences sociales critiques contemporaines, qui discutent d’ailleurs peu les analyses de Chomsky consacrées aux médias(21). Non pas, principalement, parce que leur supposée portée "critique" dérangerait "les chiens de garde" de l’Université, mais parce que leur pente manichéenne ne correspond pas à l’état d’avancement et d’affinement des outillages critiques.

Un des axes d’affinement "post-marxiste" de la critique sociologique actuelle a été la notion de champ initiée par Pierre Bourdieu. Le champ journalistique constitue chez Bourdieu un espace autonome autour d’enjeux, d’intérêts, de logiques et de formes de domination spécifiques, en interaction avec les autres champs sociaux (champ économique, champ politique, champ intellectuel, etc.). Certes l’analyse de Chomsky rend bien compte du mouvement de concentration économique en cours dans le secteur des moyens de communication, avec des effets réels du champ économique sur le champ journalistique. Mais l’erreur de Chomsky consiste à penser ces effets dans une logique directe et mécanique : sur le mode de la manipulation consciente et/ou sur celui du contrôle économique. À l’inverse, Bourdieu constate : "on ne peut pas expliquer ce qui se fait à TF1 par le seul fait que cette chaîne est possédée par Bouygues (...) Il y a une forme de matérialisme court, associé à la tradition marxiste, qui n’explique rien, qui dénonce sans rien éclairer"(22). Les effets du champ économique sur le champ journalistique passent alors par la médiation de la logique autonome du champ journalistique : "la concurrence pour la clientèle tend à prendre la forme d’une concurrence pour la priorité, c’est-à-dire pour les nouvelles les plus nouvelles (le scoop) (...) La contrainte du marché ne s’exerce que par l’intermédiaire de l’effet de champ (...) Inscrite dans la structure et les mécanismes du champ, la concurrence pour la priorité appelle et favorise les agents dotés de dispositions professionnelles inclinant à placer toute la pratique journalistique sous le signe de la vitesse (ou de la précipitation) et du renouvellement permanent"(23). Certes, les tendances néolibérales en cours à l’échelle mondiale ont pour effet une pression grandissante du champ économique sur le champ journalistique. Mais, si l’on suit Bourdieu, elles opèrent par l’intermédiaire des logiques propres de l’espace du journalisme. Et les résistances à cette pression marchande puisent aussi des ressources dans les valeurs autonomes qui ont été historiquement associées au métier de journaliste(24).

L’esquisse bourdieusienne de sociologie du champ journalistique a pu être affinée, par l’étude de régions autonomes à l’intérieur de ce champ social, par exemple les journalistes économiques(25) ou les logiques spécifiques régissant l’expression au sein des "tribunes" de différents titres de la presse écrite(26). Elle a aussi inspiré une auto-analyse critique de la formation des journalistes et de l’intériorisation non-consciente d’une série de stéréotypes(27). D’autres directions de recherche ont permis de complexifier ce modèle : en particulier une sociologie du travail journalistique, se centrant sur le contenu des pratiques professionnelles quotidiennes(28), ou une sociologie morale des repères déontologiques auxquels les journalistes (comme leurs critiques) recourent pour pointer les "fautes professionnelles" à l’œuvre dans leur métier(29), ou encore une sociologie pragmatique des jeux de la familiarité et de la distance dans les rapports des journalistes avec leurs sources(30).

Ces analyses pointent en général des contradictions entre les ordres dominants (champ économique, champ politique, champ intellectuel et champ journalistique, notamment) qui composent une formation sociale comme la société française. Ces contradictions donnent du jeu à l’intérieur des mécanismes de domination, dans lequel peuvent s’engouffrer les luttes sociales et politiques. C’est ainsi que l’hypothèse formulée par Patrick Champagne d’une tendance à la fusion de la logique politique et de la logique médiatique, au sein d’un nouveau "champ journalistico-politique"(31), a été infirmée par Michel Dobry. Ce politiste a montré, à partir de l’étude de cas de "la première cohabitation" de la Cinquième République (1986-1988) et en s’inspirant lui aussi de la sociologie de Bourdieu, que, tout en révélant des interactions nouvelles, les spécificités des jeux politiques et celles des jeux journalistiques demeuraient déterminantes, et entraient même par moments en contradiction(32). Dans cette perspective, ne voit-on pas des différences perdurer entre une fermeture du champ politique autour des forces les plus consacrées (comme aujourd’hui le couple UMP/PS), dans une logique d’accumulation d’un capital politique au sein d’appareils stabilisés, et la recherche par les médias de "nouvelles" figures politiques à l’écart de ces appareils (les Coluche, Bernard Tapie...et aujourd’hui Olivier Besancenot), dans une quête plus instable de "nouveauté", qui a ses propres travers mais différents (et parfois en contradiction) des travers du champ politique ?

Manque aussi au "modèle de propagande" de Chomsky - comme, cette fois, à la sociologie du champ journalistique de Bourdieu également - une attention à la réception des messages médiatiques. "La propagande" pour le premier et "l’emprise de la télévision" pour le second concentrent le regard sur l’émetteur, en laissant dans l’ombre la relation sociale émetteur/récepteurs. Cela n’a pas toujours été le cas pour Pierre Bourdieu, qui dans un article stimulant écrit avec Jean-Claude Passeron en 1963, avait justement pointé les limites sur ce point des théoriciens du "pouvoir des mass média" de l’époque (comme Edgar Morin) : "Et pourquoi ignorer les protections dont s’arment les masses contre le déferlement massmédiatique ?"(33). Les écarts entre l’hégémonie du "oui" dans les médias lors des référendums sur le traité de Maastricht (1992) et sur le traité constitutionnel européen (2005) et les résultats électoraux n’en sont-ils pas un exemple politiquement significatif ?

Convergeant avec ces intuitions originelles de Bourdieu et Passeron, la sociologie des médias a vu se développer un pôle dynamique d’études de réception, rompant avec "une vision réifiée et misérabiliste du public comme masse amorphe et passive", selon les mots de Brigitte Le Grignou qui a récemment proposé une riche synthèse critique de ces travaux(34). Les études de réception de la télévision ont ainsi été systématisées à partir du début des années 1980 sous l’impulsion des cultural studies britanniques(35). Les téléspectateurs révélés par ces études de réception tendent à filtrer les messages qu’ils reçoivent (en fonction de leur groupe social d’appartenance, de leur genre, de leur génération, de diverses dimensions de leur parcours biographique, etc.) et manifestent des capacités critiques variables (mais rarement complètement nulles). La fameuse "propagande" n’aurait ainsi pas d’effets nécessaires et univoques.

Un des auteurs les plus intéressants parmi les cultural studies britanniques est un de ses initiateurs : le "néo-marxiste" Stuart Hall. Car il a associé dans son modèle quatre aspects importants : les conditions capitalistes de production des messages médiatiques, le contenu stéréotypé de ces messages, l’autonomie relative des règles professionnelles dans leur production et leur filtrage critique variable par les téléspectateurs. Ainsi pour Hall, le "codage" des messages dans la logique des stéréotypes dominants, au sein d’une société dominée par des rapports de production capitalistes, laisse ouvert des écarts avec le "décodage" mis en œuvre par les téléspectateurs en fonction de leurs expériences sociales et politiques(36). Par ailleurs, il a pointé l’autonomie relative des valeurs et des règles professionnelles de ceux qui fabriquent les émissions télévisées : "les professionnels de la télédiffusion arrivent à opérer à partir de codes "relativement autonomes" qui leur sont propres, tout en se débrouillant pour reproduire (non sans contradictions) la signification hégémonique des événements"(37). Ce sont des dimensions que ne peut percevoir Chomsky, car il se concentre sur deux aspects : 1e) la structure de propriété des médias, et surtout 2e) l’analyse du contenu des messages diffusés (en privilégiant d’ailleurs le traitement de la politique internationale par la presse écrite, une catégorie de messages dont les études de réception montrent qu’ils sont parmi ceux qui atteignent le moins un large public : mais à quoi bon consacrer alors tant de pages à "la propagande" médiatique si elle ne touche presque pas ses cibles supposées ?). Car le "modèle de propagande", dans ses tonalités conspirationnistes et/ou économistes, ne s’intéresse pas vraiment au comment sont produits, puis reçus les messages médiatiques. Les liaisons narratives entre les personnages, les événements et les faits y sont alors largement postulées, sans vraiment de preuves empiriques quant aux fonctionnements concrets (multiplier les citations d’articles de journaux, comme le fait Chomsky, ne relève en rien de ce type de preuves empiriques).

En guise de conclusion : à propos du succès relatif des critiques conspirationnistes des médias

Je voudrais, pour finir, suggérer quelques hypothèses quant au pourquoi du succès relatif en France des critiques des médias recourant au schéma du "complot", en particulier à gauche. En premier lieu, on doit établir une corrélation entre les attraits pour ces dénonciations simplificatrices et la dévaluation du marxisme comme cadre intellectuel de référence à partir du début des années 1980 au sein de la gauche française. Cette dévaluation, qui aurait pu déboucher sur un développement de l’activité théorique dans la direction d’un élargissement des références intellectuelles utilisées (notamment dans un dialogue avec les sciences sociales et la philosophie contemporaines critiques mais non-marxistes), a, en dehors de revues comme Actuel Marx ou ContreTemps, plutôt participé au contraire à l’installation d’un certain anti-intellectualisme et à un recul de la culture théorique. Les échos de la critique des médias d’inspiration chomskyenne s’inscriraient dans un certain renouveau de la critique sociale depuis 1995, mais sous des formes fréquemment moins théorisées que dans les années 1960-1970, pâtissant de la dévalorisation des exigences théoriques associées auparavant au marxisme.

D’autre part, le succès des récits conspirationnistes, bien au-delà de la critique des médias, dans des formes culturelles comme le polar, le roman d’espionnage ou le cinéma hollywoodien, a vraisemblablement également à voir avec les caractéristiques de l’individualisme contemporain(38). Tout d’abord, ce succès rencontre certains préjugés actifs dans nos sociétés individualistes, et en particulier une sous-estimation de ce qui échappe à la volonté individuelleet une surestimation corrélative de ce qui en dépend. Et puis les médias constituant des lieux de concentration et de distribution inégale de la reconnaissance sociale, ils tendent à focaliser tout à la fois des attentes et des frustrations quant à cette ressource particulièrement valorisée dans les cadres individualistes ; d’où le mélange de fascination et de ressentiment qu’on peut souvent repérer dans les dénonciations ordinaires des médias.

Post-scriptum à propos de deux articles parus dans la revue Agone

Alors que la structure principale de cet article était bouclée (octobre 2005), j’ai eu connaissance de deux textes parus dans la revue Agone (n°34, 2005) et consacrés aux questions que j’avais traitées : l’un de Noam Chomsky et l’autre de Serge Halimi et Arnaud Rindel. Je n’ai pas souhaité bousculer le plan initial du texte précédent en fonction de ces articles. Je m’efforcerai seulement, dans ce complément, d’évaluer en quoi des éléments nouveaux y alimentent la controverse engagée ici.

On retrouve dans "Propagande & contrôle de l’esprit public" de Noam Chomsky l’entrecroisement de schémas économistes et intentionnalistes dans l’approche des médias à travers le thème de "la propagande entrepreneuriale", présentée comme "l’un des principaux éléments de l’histoire des États-Unis au XXe siècle" (p.28). Cette propagande aurait une portée systématique : "Bien sûr, elle s’affiche dans les médias commerciaux, mais elle concerne également tout l’éventail des moyens de communication à destination du public : l’industrie du divertissement, la télévision, une part importante de ce qui circule dans les écoles, et beaucoup de ce qui paraît dans les journaux" (ibid.). Elle serait la traduction directe de "la guerre menée contre les travailleurs" par "les milieux d’affaires" ; "une guerre de classe" à la fois consciente ("elle se mène de façon parfaitement consciente") et cachée ("même s’ils ne veulent pas que ça se sache") (p.27). Mais dans l’entrecroisement du systémisme économiste et de l’intentionnalisme, c’est le second qui tend à prendre le dessus sur le plan narratif : "Dès le départ, l’objectif aussi explicite que parfaitement conscient de cette industrie fut de "contrôler l’esprit public" - comme on disait alors" (p.28).

Dans ce texte, Chomsky insiste sur un argument : des intellectuels, associés à "l’industrie des relations publiques" auraient thématisé explicitement "la manipulation consciente de l’opinion et des comportements sociaux des masses" (p.29). Mais le fait que quelques membres des classes dominantes aient conscience de certains aspects des logiques de domination implique-t-il que ces logiques soient l’œuvre directe d’une maîtrise consciente, que la volonté des dominants constitue le facteur principal des mécanismes de domination ? Est-ce que cette appréhension par des "élites" de la domination comme "manipulation consciente" est nécessairement la vérité principale de cette domination ? Est-ce que cela implique que les capitalistes, et les journalistes supposés être sous leur totale dépendance, aient la même conscience, quotidiennement, de ces processus et que c’est cette conscience qui les oriente en dernière instance ? Ce n’est qu’une hypothèse qui supposerait, pour être dotée d’une plus grande véridicité, la description des médiations entre les dits écrits consacrés à "la manipulation conscience de l’opinion" et les interactions sociales qui fabriquent quotidiennement les logiques médiatiques. Une hypothèse inverse, davantage nourrie par les travaux des sciences sociales, a été énoncée par Pierre Bourdieu : "les mécanismes sociaux ne sont pas le produit d’une intention machiavélique ; ils sont beaucoup plus intelligents que les plus intelligents des dominants"(39). Si des intentions manipulatrices comme des concertations partielles existeraient bien chez les dominants (le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, etc.), elles ne constitueraient qu’une part, et une part secondaire, dans les modes de domination, et donc aussi dans la domination médiatique.

L’article de Serge Halimi et Arnaud Rindel, "La conspiration - Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l’analyse critique des médias", ne s’inscrit pas dans la tradition de l’échange rationnel d’arguments qui est celle de Noam Chomsky. On entre dans un autre registre, un registre violemment pamphlétaire, où amalgames polémiques, approximations et ironie insultante participent de la diabolisation des "adversaires". Exhiber les monstruosités supposées de "traîtres" et de "vendus" (aux médias et au néolibéralisme) désignés à la vindicte publique se substitue à la recherche tâtonnante de la vérité. Ainsi l’article propose de moi un portrait paradoxal : d’une part, je ne serais qu’un double nain intellectuel et médiatique (comme Géraldine Muhlmann mes "travaux, plus ou moins aboutis, n’ont rencontré qu’un public relativement confidentiel", p.58) - ce que je reconnais volontiers - et, d’autre part, j’officierais comme un agent omniprésent de la dévalorisation de "la critique radicale des médias" au profit des "grands médias" et du néolibéralisme (si l’on en croit le nombre de fois où je suis cité comme une figure malfaisante dans l’article, ainsi que le titre qui m’est généreusement attribué de membre de "la nomenklatura médiatique", p.63) - ce qui excède mes biens faibles capacités plus justement identifiées dans le premier temps du paradoxe. Mais, laissons de côté le cadre rhétorique principal de l’article et ses incohérences logiques, en tentant de nous replacer sur le terrain des arguments.

Tout d’abord, l’article associe ma critique de l’analyse chomskyenne des médias à des "falsifications". La "falsification" principale consisterait à doter d’une tonalité conspirationniste le "modèle de propagande". Je ne reviendrai pas sur ce qui est développé dans l’article ci-dessus, les lecteurs pourront juger de mes hypothèses et de mes arguments (qu’il n’est pas nécessaire, quand on exprime un désaccord et qu’on se situe dans une logique rationaliste, de qualifier de "falsifications"). Par contre, les deux auteurs se livrent à deux reprises à un travestissement direct de mes écrits :

1e) Alors que mes analyses dissocient clairement la sociologie de Bourdieu de l’approche conspirationniste des médias (comme on a pu s’en apercevoir ci-dessus), mes procureurs m’attribuent un amalgame entre les deux : "il découvre à son tour en Pierre Bourdieu, en Noam Chomsky (mais aussi en Acrimed et en PLPL) une "rhétorique du complot"" (p.52), écrivent-ils en faisant référence à un texte mis en ligne sur le site alternatif Calle Luna ("De quelques aspects marquants de la sociologie de Pierre Bourdieu", ). Pourtant, dans ce même texte, j’écris à l’inverse : "Or, justement la sociologie de Bourdieu fourmille de mises en garde contre les explications par "le complot"".

2e) Comme exemple de mon caractère "coutumier de l’administration d’une preuve par voie de citation trafiquée" (note 24, p.52), ils avancent : "quand dans un passage de Manufacturing Consent, Herman et Chomsky reprochent au New York Times de propager une vision à la "Big Brother", Corcuff utilise le terme de "Big Brother" comme preuve...de la vision conspirationniste des deux auteurs !" (ibid.)(40). Pourtant, la phrase que je citais (mise en gras par moi dans le passage suivant) de La fabrication de l’opinion publique est incluse dans le passage suivant qui indique explicitement que Chomsky et Herman reprennent bien à leur compte l’expression "Big Brother" (entre guillemets, que j’ai d’ailleurs laissés tels quels dans ma citation) : "Étant donné les précédents en République dominicaine (1966) et au Viêt-nam (1967), nous pouvons tenter une généralisation : les médias américains trouveront toujours que les élections organisées dans un pays du tiers-monde soutenu par les États-Unis sont "un pas vers la démocratie" alors que d’autres élections ne seront que farces et attrapes chez un adversaire que Washington cherche à déstabiliser. Le 1er décembre 1987, un éditorial du New York Times enjoint le gouvernement américain de ne pas trahir les démocrates haïtiens sous peine de "décrédibiliser ses exigences d’élections libres au Nicaragua". Les remarques de ce texte brumeux sur Haïti ignorent naturellement l’appui de Washington aux duvaliéristes qui ont transformé les élections haïtiennes en mascarade et le journal endosse clairement la ligne reaganienne qui soutient que les élections de 1984 au Nicaragua n’ont pas été libres, et qu’il incombe aux États-Unis de rectifier la situation. Ce credo est basé sur des mensonges, mais les médias approuvent la définition que donne de ces élections le modèle de propagande de "Big Brother"" (op. cit., pp.114-115).

Vraisemblablement la conception de la polémique qui guide Halimi et Rindel implique que tous les moyens sont bons (y compris la malhonnêteté intellectuelle la plus facilement démontrable) pour dévaloriser un contradicteur...

Halimi et Rindel présentent la critique des médias dont Chomsky serait une des figures principales comme la seule critique "radicale" possible. On a vu que, pour moi, il y a là une confusion entre radicalité (au sens de Marx de "saisir les choses à la racine") et simplification. Certaines ressources d’une critique plus radicale, car moins superficielle que les simplifications chomskyennes, ont été présentées plus haut dans cet article ; la sociologie de Bourdieu et les travaux qui s’en sont inspirés y participent de manière non exclusive. Ces recherches sont mises en œuvre aujourd’hui au sein des sciences sociales, et ne sont donc pas réductibles au "monopole de la critique du journalisme" par les journalistes eux-mêmes, contrairement à ce qu’indiquent Halimi et Rindel (pp.60 et 62).

Un des rares arguments utilisés par Halimi et Rindel pour appuyer l’hypothèse du caractère non-conspirationniste de la critique chomskyenne des médias est le suivant : "le linguiste n’a cessé de répéter que son analyse ne reposait sur aucune forme de conspiration" (p.48). On a vu que ces dénégations n’empêchaient pas le recours à une trame narrative conspirationniste. Cependant quelque chose apparaît particulièrement intéressant dans cet argument d’Halimi et Rindel : sa dissymétrie (de type "deux poids, deux mesures") qui l’affaiblit considérablement. Ainsi, dans le cas de Chomsky, ses dénégations seraient une preuve suffisante de la vérité de son analyse, alors que les dénégations de ses critiques (dont les miennes) constitueraient quant à elles une preuve supplémentaire de leurs "falsifications". Sans doute parce qu’on aurait, par essence, toute la Vérité d’un côté (les amis d’Halimi et Rindel) et tout le Mensonge de l’autre (les ennemis d’Halimi et Rindel), tout le Bien d’un côté et tout le Mal de l’autre !

Ce schéma typiquement manichéen nous ramène du côté du "complot". Au départ Halimi et Rindel récusent pourtant le thème du "complot" au nom d’"analyses structurelles" (p.44). Cette perspective les conduit à réduire les critiques du conspirationnisme à une intériorisation du "système de valeur néolibéral" (p.58). Mais ils n’arrivent pas à tenir ce raisonnement "structurel" jusqu’au bout : "Les journalistes ne sont pas inconscients à ce point. Une partie d’entre eux a bien perçu la menace que la critique radicale faisait peser sur l’illusion de pluralisme qui fonde leur position sociale et leurs privilèges de "contre-pouvoir"" (p.59). La critique de la thématique de "la conspiration" devient alors une composante d’"un stratagème" des "hiérarques médiatiques" (p.62), bref un nouveau complot...Pierre-André Taguieff a pointé la circularité dans laquelle tendent à s’enfermer les explications conspirationnistes, les rendant hermétiques à la critique rationnelle : "pourquoi les hommes n’ouvrent-ils pas les yeux ? (...) Pourquoi refusent-ils donc la lumière qui s’offre ? La réponse conspirationniste est simple, et d’une infaillible logique : les pauvres humains sont aveuglés par les conspirateurs, ce qui prouve en même temps la terrible puissance de ces derniers"(41).

Face au jeu de la consolidation des certitudes dogmatiques, qui se renforcent même quand on les critique et parce qu’on les critique, les rationalistes ne disposent que d’hypothèses et d’arguments partiels et provisoires, adossés à une éthique du débat contradictoire, bien fragile face à la pente anti-intellectualiste des médias dominants comme de ceux de leurs critiques qui substituent l’insulte à la démonstration.

* Notes :

(1) C’est le cas du succès éditorial de Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde (Liber-Raison d’agir, 1e éd. : 1997).

(2) En tendant à remplacer les arguments et les faits vérifiés par des insultes, des procès personnels, des rumeurs non vérifiées et des informations erronées, comme le journal satirique PLPL (Pour Lire Pas Lu). PLPL a existé entre juin 2002 (n°0) et octobre 2005 (n°26). Son ancienne équipe a participé en mars 2006 au lancement d’un nouveau bimestriel critique des médias : Le Plan B. Voir mon texte : "De quelques problèmes des nouvelles radicalités en général et de PLPL en particulier" (dans Le Passant Ordinaire, n°36, septembre-octobre 2001 ; ).

(3) Voir notamment Instinct de liberté - Anarchisme et socialisme (trad. franç., Agone, 2001 ; 1e éd. : 1970 ).

(4) Cet article a pour origine un débat public organisé par l’association libertaire Maloka avec Guy Ducornet, traducteur de Chomsky, le 27 mai 2004, au "local libertaire" de Dijon.

(5) Voir Arnaud Rindel, "Noam Chomsky et les médias français ", mis en ligne le 23 décembre 2003 sur le site de l’Acrimed (Action-Critique-Médias) : .

(6) Trad. franç. de Guy Ducornet (Paris, Le Serpent à plumes, 2003) ; Serge Halimi écrit ainsi dans Le Monde diplomatique (n°593, août 2003, p.11) à propos de cette traduction française que "c’est le livre à lire. Il réduit à néant le propos, plus ignorant que malveillant, de ceux qui imputent à Chomsky une "théorie du complot"".

(7) Les passages mis en italique dans cette citation et les suivantes l’ont été par moi.

(8) Voir mon livre Bourdieu autrement (Textuel, 2003) et sur Calle Luna : "De quelques aspects marquants de la sociologie de Pierre Bourdieu" (octobre 2004), .

(9) Dans Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion - Faux et usages d’un faux (Berg International/Fayard, 2004, p.24 ; 1e éd. : 1992) ; sur la thématique du "complot", voir aussi sur Calle Luna : ""Le complot" ou les mésaventures tragi-comiques de "la critique"" (avril 2005), .

(10) Dans Patrick Champagne, "Philippe Corcuff, critique "intelligent" de la critique des médias" (19 avril 2004) et dans Henri Maler, "Une crise de nerfs de Philippe Corcuff" (5 mai 2004) ; pour l’ensemble des pièces de la polémique, voir : .

(11) Dans Géraldine Muhlmann, Du journalisme en démocratie (Payot, 2004, pp.37-38).

(12) Dans Karl Marx, Œuvres III, éd. établie par M. Rubel (Gallimard, 1982, p.1081).

(13) Dans Karl Marx, Œuvres IV, éd. établie par M. Rubel (Gallimard, 1994, p.467).

(14) Dans Les nouveaux chiens de garde, op. cit.

(15) Dans G. Muhlmann, op. cit., pp.42-47.

(16) Ibid., p.43 ; Bourdieu écrit, par exemple : "Je crois même que la dénonciation des scandales, des faits et des méfaits de tel ou tel présentateur, ou des salaires exorbitants de certains producteurs, peut contribuer à détourner de l’essentiel, dans la mesure où la corruption des personnes masque cette sorte de corruption structurelle (mais faut-il encore parler de corruption ?) qui s’exerce sur l’ensemble du jeu à travers des mécanismes tels que la concurrence pour les parts de marché, que je veux essayer d’analyser." (Sur la télévision, Liber éditions, coll. "Raisons d’agir", 1996, p.15).

(17) Pierre Bourdieu parle ainsi des "relations sociales entre les journalistes, relations de concurrence acharnée, impitoyable, jusqu’à l’absurde, qui sont aussi des relations de connivence, de complicité objective, fondées sur les intérêts communs liés à leur position dans le champ de production symbolique et sur le fait qu’ils ont en commun des structures cognitives, des catégories de perception et d’appréciation liées à leur origine sociale, à leur formation (ou à leur non-formation)" (Sur la télévision, op. cit., p.39).

(18) Dans Paul Ricœur, Temps et récit, tome 1 : L’intrigue et le récit historique (Seuil, coll. "Points-Essais", 1983, pp.9-10).

(19) Dans le chapitre consacré par Raoul Girardet à "La Conspiration", dans Mythes et mythologies politiques (Seuil, coll. "Points-Histoire", 1986, p.41).

(20) Dans Les Protocoles des Sages de Sion, op. cit., p.32.

(21) Par exemple, les écrits de Chomsky ne sont pas cités dans la large synthèse, à tonalité pourtant critique, des travaux des sciences sociales proposée par Érik Neveu dans Sociologie du journalisme (La Découverte, coll. « Repères », 2004 ; 1e éd. : 2001).

(22) Dans Sur la télévision, op. cit., p.44.

(23) Ibid., pp.85-86.

(24) C’est, par exemple, le cas des journalistes de l’hebdomadaire Lyon Capitale dans une lutte menée entre décembre 2005 et mars 2006 contre les menaces sur leur indépendance rédactionnelle, que firent peser les coups de butoir conjugués de l’homme d’affaires Bruno Rousset (leur actionnaire principal à l’époque) et du maire PS de Lyon, Gérard Collomb. Ce combat a été (provisoirement) victorieux en mars 2006. Voir .

(25) Voir Julien Duval, Critique de la raison journalistique - Les transformations de la presse économique en France (Seuil, 2004).

(26) Voir Louis Pinto, "L’espace public comme construction journalistique - Les auteurs de "tribunes" dans la presse écrite", Agone, n°26-27, 2002.

(27) Voir François Ruffin, Les petits soldats du journalisme (Les Arènes, 2003).

(28) Voir Alain Accardo, Georges Abou, Gilles Balbastre et Dominique Marine, Journalistes au quotidien - Outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques (Le Mascaret, 1995).

(29) Voir Cyril Lemieux, Mauvaise presse - Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques (Métailié, 2000).

(30) Voir Thomas Berjoan, Le journaliste politique et ses sources - Régime de familiarité et figures de la subjectivité, mémoire de DEA de science politique, sous la direction de Paul Bacot, Institut d’Études Politiques de Lyon et Université de Lyon 2, septembre 2002, 266 p. hors annexes.

(31) Dans Patrick Champagne, Faire l’opinion - Le nouveau jeu politique (Minuit, 1990, notamment pp.249-250, 261 et 277).

(32) Dans Michel Dobry, "Le président en cohabitation - Modes de pensée préconstitués et logiques sectorielles", dans Le président de la République - Usages et genèses d’une institution, sous la direction de Bernard Lacroix et de Jacques Lagroye (Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992).

(33) Dans Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, "Sociologues des mythologies et mythologies de sociologues", Les Temps Modernes, n°211, décembre 1963, p.1009.

(34) Dans Brigitte Le Grignou, Du côté du public - Usages et réceptions de la télévision (Economica, 2003, p.14).

(35) Pour une présentation critique des cultural studies, voir aussi Armand Mattelart et Érik Neveu, Introduction aux Cultural Studies (La Découverte, coll. "Repères", 2003).

(36) Dans Stuart Hall, "Codage/décodage" (1e éd. britannique : 1977), trad. franç., Réseaux (CNET), n°68, novembre-décembre 1994.

(37) Ibid., p.37.

(38) Voir sur ce point Philippe Corcuff, Jacques Ion et François de Singly, Politiques de l’individualisme - Entre sociologie et philosophie (Textuel, 2005) ; sur l’individualisme contemporain, voir aussi sur Calle Luna : "Individualité et critiques du capitalisme, entre sociologie et philosophie" (septembre 2005), .

(39) Dans Questions de sociologie (Minuit, 1980, p.111).

(40) Sur la pente diffamatoire de ce passage du texte d’Halimi et Rindel, voir des précisions dans mon communiqué du 31 octobre 2005 « Une accusation inacceptable : à propos d’un article de Serge Halimi et Arnaud Rindel dans la revue Agone », mis en ligne sur le site Calle Luna .

(41) Dans Les Protocoles des Sages de Sion, op. cit., p.31.

* Ce texte est la version longue d’un article paraissant en même temps dans la revue ContreTemps (Éditions Textuel), n°17, septembre 2006, sans le « Post-scriptum à propos de deux articles parus dans la revue Agone ». Dans le même n°17 de ContreTemps, le politiste Gilbert Achcar répond à Philippe Corcuff en défense de Noam Chomsky dans un article intitulé : « Corcuff et la "théorie du complot" ». Ce n°17 de ContreTemps contient par ailleurs un dossier sur le thème « Lumières, actualité d’un esprit ».

La revue ContreTemps existe depuis mai 2001. Il s’agit d’une revue théorique et politique qui s’efforce de faire converger des réflexions issues de milieux universitaires et de milieux militants, en faisant se croiser une pluralité de radicalités intellectuelles (notamment les traditions marxistes et les sociologies critiques) au sein de la galaxie altermondialiste. Son directeur de publication est le philosophe Daniel Bensaïd. Pour tout renseignement sur la revue (contenu des n° précédents, comité de rédaction, abonnements, etc.), voir son site internet : http://www.contretemps.ras.eu.org. ContreTemps est publiée par les éditions Textuel : 48 rue Vivienne 75002 Paris (http://www.editionstextuel.com).

* Maître de conférences de science politique, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC

Messages

  • Pauvre Corcuff ! Le spécialiste médias de la LCR, qui a théorisé la pipolisation nécessaire de Besancenot via Ardisson et Philippe Bouvard (pour quel profit ?) en est réduit à essayer d’enfoncer des coins parmis les critiques un tant soit peu radicaux des médias qui ont pointé sa courtisanerie auprès des tenanciers des pages "médias" des journaux à fin de publication de ses brouets indigestes. Et pour celà il emprunte aux méthodes des faussaires, à coups de citations tronquées, inventions délirantes de propos qu’il prète à ses adversaires, manipulations diverses enrobées d’un jargon sociologisant et, pour couronner le tout, reproches réitérés de complotisme.
    Alors qu’au contraire les travaux de ceux qu’il accusent montrent toutes les interactions aboutissant à ce que la pensée de marché irrigue la ligne éditoriale des principaux médias. Nul trace de complot ni de complotisme là dedans !

    Corcuff avait déjà tenté le coup de se faire passer pour une victime sur Bellaciao. Si l’on en juge par la majorité des commentaires, il a raté son coup. C’est sans doute pourquoi il récidive aujourd’hui :
    http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=20110

    On lira également avec profit "Philippe Corcuff, critique « intelligent » de la critique des médias" :
    http://www.acrimed.org/article1572.html?var_recherche=Corcuff

    Michel

    • Et oui cher Michel !
      Pour ceux qui n’auraient pas encore intégré l’amertume de Noam Chomsky à l’égard de certains "intellectuels parisiens", voici une parfaite illustration de ces bavardages totalement inutiles même à la loupe de la Critique de la critique.
      ELISE

    • J’avoue que j’ai failli m’étouffer lorsque j’ai lu que Corcuff qualifiait Géraldine Mulhman de "philosophe"... m’enfin passons, ça n’est qu’un détail dans un flot de blabla qui oscille entre l’incompréhensible absolu et l’auto-victimisation.

      Plus généralement j’en ai marre de ce genre de penseur qui passe l’essentiel de son temps à sortir des textes totalement ineptes. Et qui travesti son absence d’analyse crédible derrière la désignation inujurieuse des "ennemis de sa pensée", dont il déforme les positions avant de les accuser de manquer d’arguments...

      Plus généralement, est-il nécessaire de sortir de tels pavés indigestes pour essayer de nier que les médias de masse sont aujourd’hui totalement conditionnés et qu’ils ne sont plus que la caisse de résonnance de la pensée néo-libérale / libertaire molle ?

      Les derniers masques sont tombés pendant la campagne référendaire pour le TCE, trouvez -vous un métier utile monsieur Corcuff.

  • Edifiant !

    Comment est-il encore possible de donner dans la confusion à un tel point ? Tout public, un tantinet "informé" doit savoir aujourd’hui que le(s) pouvoir(s) ne se perpétue(ent) qu’au travers de mensonges ! En France, M. Jacques Chirac avec "sa" fracture sociale (pour faire court), M. GW Busch avec les "armes de destruction massive.".., "sa" "guerre totale contre le terrorisme", contre Al Quaeda en Irak... qui n’y était pas et qui y est maintenant (peut être...), la récente "guerre contre le Liban", ledit "choc des civilisations", la "fin de l’histoire", la "fin du travail", le "nouveau moyen orient", la lâcheté des pays européens, de l’Europe, etc....

    Qui peut encore croire que tout cela ne serait que la résultante d’un "dysfonctionnement démocratique". Si le hasard a une place, il se situe certainement du côté de la "résistance" (sans moyen "institutionnel") au nouvel "ordre (désordre) mondial". Pas dans le sens forcé et effréné que veut (ou souhaite) l’histoire "racontée" par les médias.

    Comment une résitance dénuée de toute technologie "avancée" peut-elle mettre en échec les "pouvoirs" les plus sophistiqués ?

    On appelera cela "complot" ou "lutte d’influence". Quelle différence, à partir du moment que cela échappe à la vigilance du citoyen, à sa sous-information ou à sa désinformation ? Mais, pour le moins, cela vaut également pour les "puissants".

    Qui a "éradiqué" les "indiens d’Amériques", quel est l’Etat qui a utilisé pour la première fois l’arme atomique contre des civils ? Allende, ça vous dit quelque chose ? Etc.

    Etait-ce des "complots", des défenses, des volontés, une(des) fatalité(s) ou je ne sais quoi encore...?
    Qui en porte la responsabilité ?

    Rien ne sera plus jamais comme avant... Affiirmation "millénariste", annoncée en l’an 2001. Hasard du calendrier ?

    Trop de hasards tue le hasard. S’il n’existe sans doute pas de "complot unique", il n’en existe pas moins des luttes d’influences, des lobbys de plus en plus puissants qui parasitent tout ce pouvait ressembler à de la "démocratie". Du même coup elle est dévoyée, en la rendant inopérante pour le "peuple". Et l’Europe inconsistante, "irréelle", mais bien "américanisée", et de se conformer au dominant des dominants, les EU, néocons, devenus maintenant, sans conteste, super-prédateurs mondiaux, contre l’espèce humaine, la planète, à l’exception des intérêts de leurs dirigeants.

    Caste "allumée", s’il en est une.

    S’il n’existe pas "une fabrique de l’opinion publique" aujourd’hui, il n’en a jamais existé une auparavent !

    Aller, M. Ph. Corcuff, un peu d’honnêté intellectuelle (peut-être un peu de hauteur d’esprit), plutôt que de la confusion phraséologique "sélectionnée", s’il vous plaît !

    Tout le monde sait bien, qu’il vaut mieux d’être "du côté du manche". C’est bien plus confortable... Cependant prendre appui sur l’autre (inventif ou savant) pour démolir le tout, sans apporter un nouvel éclairage est tout à fait contre-productif.

    En fait, et au fond, quelle est l’originalité de votre pensée ? Votre apport critique ?

    Excepté la critique primaire de ceux qui tentent de contribuer au décryptage de la complexité du (des) pouvoir(s)... pour les "débiliser", quels sont vos apports authentiques à la critique sociale ? Ne vaut-il pas mieux être porteur d’une pensée maîtrisée en fonction des connaissances du moment, que d’être porte-parole d’une pensée allégeante, destructive, négationiste des avancées ? Quel avantage intellectuel peut-il y avoir, à vouloir faire dire à une personne engagée en recherche scientifique, en société, à vouloir lui faire dire, ce qu’il ne dit pas, à vouloir interpréter sa pensée de manière contradictoire, sans prendre en compte toutes les nuances, en les stigmatisant sans nuances, les exacerbant en toute interprétation ?

    Ne vous trompez pas M. Corcuff, mépriser les personnes qui vous lisent, n’est pas un bon calcul. Rien n’est plus désagréable que de se rendre compte que l’on a été dupé pendant des années... C’est bien le problème de "nos" politiques, mais c’est surtout le problème de ceux qui prétendent faire du "journalisme", de ceux qui prétendent "informer" à partir de pseudos-critiques de "savants engagés" (qui en font leurs choux gras). Les chercheurs, malgré tout, sont des "découvreurs" (dont la critique est permise, voire souhaitée (mais pas jusqu’à la dénégation et la confusion...). Et il n’est pas anodin de constater que les plus pertinents, sont les plus attaqués et les plus dévalorisés... par des petits soldats, qui sont loins de posséder leur envergure... Cf. tous les philosophes de talent, les sociologues, eu égard des BHL et autres imposteurs quiontle vent "en poupe", se préconisant et passant pour des "intellectuels" "médiatiques", se voulant peut être vulgarisateurs, mais en réalité, qui ne réussissent qu’à être extrêmement ... sommaires et vulgaires.

    PS : Je vous lisais régulièrement dans Charlie Hebdo, tout comme M. Ph. Val.

    J’ai arrêté l’achat et la lecture de ce "journal" depuis quelques années car il m’était devenu inssuportable. Je dois dire, tout d’abord d’une manière confuse. Mais il convient de rajouter que ce journal m’a fait plus longtemp illusion que les médias "ordinaires" qui m’avaient depuis bien plus avant rendus réfractaire à leurs grossières manipulations. En effet, pour quelqu’un qui suis l’actualité et qui s’interroge sur les tenants et aboutissants, il n’est vraiment pas difficile que d’imaginer les réthoriques... C’est même désespérant !

    Ce qui est redoutable et désespérant dans le système qui oppresse les "citoyens" de cette planète, c’est qu’il existera toujours des complices, "collaborateurs" aux illusions qui sont, sans cesse, nécessaire de renouveler, afin que la "machine tourne".

    C’est tout simplement déplorable, car beaucoup de ces "complices" ne doivent leur "culture" qu’à la chance d’avoir réussi, d’une manière ou d’une autre, à suivre les enseignements consolidés (mais "remoulinés selon la circonstance du "pouvoir"), au travers d’une expérience humaine, qui les dépasse, et dont ils se saisissent, en les détournant.

    Ce n’est pas l’illusion que j’avais de "La République".

    Dans ces conditions, prendre l’essentiel quantitative et qualitative de l’humanité pour des cons, c’est un tantinet "abuser". Il n’y a même pas de "talent", il y a tout simplement de la manipulation -à usage individualiste- (que l’on ne confondra pas avec "le complot", mais qui pourra toutefois y contribuer...).

    Si pour tenter d’exister de façon autonome, il faut en arriver là..., il y a de quoi s’interroger sur le comportement de l’"homme".

    Mais la sophistication extrême peut engendrer des effets inattendus... Ne jamais oublier cela.

    Cela étant dit, je ne suis un inconditionnel de personne... Mais plutôt contre les "faiseurs" d’opinion, à peu de frais...

    • Pourquoi les poly doué(e)s formant la dite élite, les pédagogues, ayant parfaitement conscience des analogies existant entre ces questions de dimension(s) et celles rencontrées dans les espaces vectoriels (en mathématique), n’ont-ils/elles jamais jugé bon de demander d’introduire la prise en considération de ce phénomène dès l’école primaire ?

      (Rappel : Dans les espaces vectoriels, un problème sans solution ou n’ayant pas de sens dans un espace E de dimension « n » peut parfois être résolu dans un espace F plus large de dimension « n+1 ». Un individu structuré ou vivant dans un monde de dimension « n » ne peut avoir accès aux données existant dans la dimension « n+1 ». De même, le chien ou la bactérie ou le virus n’éprouvent pas les mêmes sensations, manques et besoins, que nous …)

      Quels pourraient être les inconvénients ?
      - Ces constats ne seraient-ils pas politiquement très incorrects ?
      -Les gouvernements, quels qu’ils soient, ne veulent-ils pas d’abord laisser croire qu’ils détiennent la ou les solutions …. , histoire de ne pas décourager le peuple, de le tenir en haleine, dans « l’Espoir » … ?
      -Les rationalistes ne désiraient (ou ne désirent-il/elles pas toujours) laisser croire que l’homme est un dieu en devenir ? N’ont-ils/elles pas décrété que l’homo sapiens sapiens est le chef-d’œuvre de l’Univers ? !
      -Les littéraires ne se contentent-ils/elles pas de rêver, de raconter des histoires ?
      Si les rôles d’Antigone et de Créon créés par Sophocle ou Anouilh ne sont pas du tout obsolètes, probablement ont-ils/elles d’autres préoccupations ! ! !
      -Les philosophes et les scientifiques ont certainement aussi des excuses … ! ! !

      Quant à moi, je noterai humblement que notre élite a été capable de laisser les industriels et techniciens polluer et dévaster l’environnement de la planète ; qu’elle se retrouve allègrement insérée et intégrée dans l’Establishment.
      A décharge, étant donné que notre patrimoine génétique est différent de moins de 2 % de celui des grands singes, puisque nous ne sommes que des sortes de chimpanzés « boostés », est-il étonnant que nous ayons préféré privilégier nos intérêts à court terme ?
      D’autres personnes évoqueront probablement l’image des adolescents chroniques (que nous serions) aussi optimistes qu’imprudents, qu’irresponsables, plongés dans leurs « bulles » …
      (Voir aussi l’article de J.-F. Kahn dans Marianne du 2 septembre 2006 ou son livre « Les bullocrates »)
      Dans le premier cas, une nouvelle consultation de Darwin ne vous éclairerait-elle pas sur la suite du programme ? !
      Dans le second, le scénario de Freud n’explique-t-il pas que les jeunes doivent d’abord se heurter au mur des réalités, etc. ? !
      Ne serait-il pas prévu que celles et ceux qui ne s’y écraseront pas et donc survivront, après avoir tué symboliquement le « Père » (ou/et le ou les dieux …), commenceront à évoluer … ? !

      NB. Cet exercice élémentaire clarifie le propos sur les espaces vectoriels et s’adresse aux non initié(e)s. Il propose de disposer 6 allumettes (figurant 6 segments de même longueur) sur une table plate illustrant un plan de manière à configurer 4 triangles équilatéraux ayant pour côtés ces 6 segments.
      Si on est obligé d’abandonner la recherche de ce problème sans solution dans le plan (dimension 2) ; l’idée consistant à décoller, à se mouvoir dans l’espace traditionnel (dimension 3), aboutit de suite à la construction d’une pyramide triangulaire de type équilatérale formée des 4 triangles souhaités.
      N’est-il pas clair que l’organisme sans épaisseur se déplaçant sur un plan ne peut pas avoir conscience de la notion de relief …
      N’est-il pas amusant de relever que beaucoup de scientifiques maîtrisant bien les mathématiques ont été anesthésié(e)s par les normes de l’establishment rationaliste (une sorte de religion prolongeant le Christianisme mais par symétrie, tout aussi binaire …) ?
      Cordialement.

      & Les problèmes du chômage et/ou des délocalisations partielles ou totales, de la raison d’Etat, de l’intérêt supérieur du pays, de la realpolitik, etc., ne seront-ils pas « toujours plus » d’actualité ? !

  • J’aimerais soumettre à votre sagacité et à votre esprit critique cette définition que Castoriadis donnait de la conspiration :

    "Il y a là une conspiration, non pas au sens policier, mais au sens étymologique : tout cela "respire ensemble", souffle dans la même direction, d’une société dans laquelle toute critique perd son efficacité"

    Si l’on admet cette définition alors lorsque philippe Corcuff écrit :

    « Toutefois, dans l’ensemble de l’ouvrage, les notations les plus théorisées (celles qui portent une plus grande généralisation de l’analyse) pointent plutôt la direction de "la conspiration", dans une association/hésitation avec la figure du "système". »

    Ne fait’il pas un contre sens ? Je ne vois pas d’hésitation ente ces deux figures, la conspiration chez chomsky n’est qu’une des caractéristiques du système médiatique et des forces qui le structurent.

    Ebag

  • Bonjour,

    je suis tombé assez tardivement sur ce texte du professeur Corcuff.
    J’aime l’aplomb de ce personnage, au profil idéal pour un scénariste de bande dessinée.
    Juste une question : est-ce que l’on peut sérieusement analyser les textes de Chomsky à partir de leur (mauvaise) traduction française ? Ne peut-on au moins , puisqu’il s’agit d’éduquer le peuple, rendre visibles les innombrables problèmes de traduction ?

    Entrer dans la compétition des grands penseurs de l’altermondialisme et de la critique radicale sans travailler dans la langue anglaise - qui est certes celle de vos ennemis - c’est là une limitation fort douloureuse.

    N’y a-t-il pas de bons profs d’anglais à l’université populaire ?

    Enfin... comme disait votre maître, s’inspirant faute de mieux de la bonne vieille morale populaire, elle-même redistribuée par les locataires des églises et des presbytères) : "’on ne prêche que des convertis" ...

    Amaury Duval

  • mauvais accueil monsieur corcuff.
    Actuellement étudiant, fraîchement initié aux joies intelectuelles de la "recherche du complot" j’apprécie le rappel éthymologique concernant le mot conspiration.
    Je ne peux que regretter l’hargnosité dont on fait preuve les "défenseurs du complot" dans les commentaires qui précèdent, cependant je dois avouer que la lecture de votre texte (laborieuse, mais certaines bonnes lectures le sont aussi) ne m’a rien appris de plus que ceci "chomsky est volontariste, marx est marxien, les marxistes sont mieux que les prémarxiste, bourdieu est un bel homme et halimi me ferait peur si je le croisais dans la rue". Problème : il existe bien une mentalité, pire une philosophie de la domination élitiste qui trouve ses fondements jusque dans une mauvaise interprétation des écrits de nietzsche, il existe également des groupes sociaux trés cloisonnés(sous la forme de fraternités à plusieurs étages) censés representer et orchestrer la domination, comme en témoigne, au moins dans l’imaginaire, nombre d’écrits étant à la base des sociètés maçonniques, il existe en fin, grâce à l’activité de chercheurs et de scientifiques trés certainement bien intentionnés, des disciplines de gestion de la masse (psychologiques) dont l’efficacité n’est pas parfaite, mais qui en prennant pour champs expérimentale la surface du globe, n’en ont pas moins des représentations locales indéniables.
    Enfin je voudrais ajouter que les analyse de chomsky et bourdieu loin d’être diamètralement oposées se complètent et s’affinent dans la compréhension d’une domination volontariste mise en oeuvre par des acteurs inconscient d’en être les maçons( si je puis me permettre) (et en restant dans vos termes.)
    Monsieur corcuff je ne souhaite pas vous faire passer pour un de ces maçons inconscients ; sans quoi quiconque ne s’élèverait pas contre les moeurs stériles des autoproclamées"élites", serait mis dans le même panier. Cependant en adoptant, pour la postérité, et dans la droite ligne du journal dans lequel vous écrivez, une position contre révolutionnaire, aussi contestable que la position d’origine, vous allez dans le sens de la décrédibilisation d’une critique qui m’apparaît nécessaire. (mais c’est la règle du jeu la critique de la critique doit elle aussi subir la critique)
    Car s’il y a bien un progrés (ce que l’empirique conteste autant qu’il l’affirme) il passe par un meilleur discernement par les sociètés des actions occultes que pratiquent leurs "élites".