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RM Jennard : LE PROGRAMME DU PS : DOMINE PAR LE SOCIAL-LIBERALISME

Publie le jeudi 21 septembre 2006 par Open-Publishing


Une lecture attentive de "Réussir le changement. Le projet socialiste pour la France" adopté par le Parti socialiste pour les échéances électorales de 2007 débouche sur un constat : ce programme est dominé par le social libéralisme. Il accompagne le modèle dominant. Il ne le change pas. Il l’ajuste. C’est un programme d’ajustement marginal d’un système politique, économique et social qu’on ne remet pas en cause.

Ce qui saute aux yeux à la lecture de ce document, c’est la facilité avec laquelle le PS s’accommode de la destruction du compromis social intervenu suite aux conquêtes du Front Populaire et de la Libération. Il ne remet pas en cause les avancées du néolibéralisme qui ont fait disparaître des dizaines de milliers d’emplois, qui ont appauvri la population, qui ont accentué massivement les inégalités, qui ont déstructuré le lien social et qui ont porté atteinte aux libertés fondamentales et aux valeurs républicaines : aucune remise en cause des privatisations Balladur-Juppé-Jospin ; aucune remise en cause des atteintes massives au droit du travail (au motif qu’il faut « repenser le système ») ; aucune remise en cause de la réforme Aillagon qui a démantelé le statut des intermittents du spectacle ; aucune remise en cause des législations discriminatoires Pasqua-Chevènement ; aucune remise en cause des lois liberticides Perben I et II ; aucune remise en cause des décisions en faveur de l’enseignement privé confessionnel qui affectent la laïcité de la République ; aucune remise en cause des traités et accords européens et internationaux qui ont été négociés avec l’appui des gouvernements français de droite et de gauche et qui sont à l’origine des dérégulations massives, de la précarité grandissante et des inégalités croissantes.

Sur des matières essentielles puisqu’elles conditionnent désormais les choix nationaux, le programme du PS présente un catalogue d’intentions. Il constate que « le cours trop libéral imprimé à la construction européenne a obscurci le projet d’une intégration solidaire » et que l’Europe « souffre d’un déficit démocratique et social ». Il entend « réformer la gouvernance mondiale » et proposera des réformes de l’ONU, de l’OMC, du FMI et de la Banque Mondiale. Il proclame « la nécessité de combattre les effets de la mondialisation financière ».

Convenons que ces intentions répondent à une attente justifiée, même si les propositions du PS restent bien timides (il veut que l’OMC devienne plus transparente et plus démocratique, mais il ne propose pas de lui enlever sa capacité de contraindre les États à démanteler leur Constitution, leur législation, leurs réglementations). Mais convenons également que ces objectifs s’inscrivent dans une perspective diamétralement opposée à celle inscrite dans le traité constitutionnel européen que la direction du PS a soutenu et que ses élus au Parlement européen continuent de soutenir puisqu’ils viennent, le 14 juin 2006, de rejeter un texte qui demandait le respect du choix démocratique exprimé par la France le 29 mai 2005. Dès lors, quelle confiance accorder à un parti qui formule aujourd’hui des intentions à l’opposé de ce qu’il soutenait l’an passé ?

A supposer qu’on prendrait le risque de faire confiance à des gens qui sont à l’origine de l’Acte unique européen (qui a permis de déroger à la règle de l’harmonisation et qui est la source juridique du principe du pays d’origine), qui furent les artisans du Traité de Maastricht (qui a programmé la privatisation des services dits « du secteur marchand » : transports aériens, ferroviaires, maritimes, routiers, poste, télécommunication,...), qui ont négocié et soutiennent l’Accord Général sur le Commerce des Services de l’OMC (négocié entre 1988 et 1991, c’est-à-dire par le gouvernement Rocard), un accord contraignant qui entend imposer « la libéralisation [c’est-à-dire la mise en concurrence] progressive de tous les services de tous les secteurs », qui n’ont jamais fait valoir au FMI une position européenne en usant, par exemple, de la minorité de blocage dont disposent les Européens dans cette institution et qui, donc, n’ont jamais remis en cause la politique de conditionnalité qu’ils proposent maintenant de revoir, qui, lors de sa nomination en 2005, ont exprimé un soutien sans faille au social démocrate Pascal Lamy, l’actuel directeur général de l’OMC, une institution dont la finalité, à travers des accords contraignants, est de déréguler massivement au profit des firmes transnationales,

Il faut quand même poser une question : par quels actes concrets, par quelle procédure précise le PS entend-il engager la France dans la réalisation de ces objectifs, compte tenu des réalités juridiques actuelles, européennes et internationales ? Faute de fournir des réponses à ces questions, les intentions exprimées ne servent qu’à appâter l’électeur mal informé. De ce programme d’ajustement marginal d’un capitalisme qui a retrouvé la sauvagerie d’avant 1936, examinons la crédibilité de quelques-unes des propositions :

Le SMIC à 1.500 euros : oui, mais c’est un SMIC brut et octroyé d’ici à 2012 « (« avant la fin de la législature », dit le texte) ! Alors que le niveau des revenus est si bas qu’il faut un SMIC net à 1.500 euros immédiatement, on propose une hausse qui ne dépassera pas la valorisation automatique. Et après ça, le PS ose écrire que son projet « répond à l’urgence sociale » !

La réforme de l’impôt : elle conduit à une remise en cause de la progressivité de l’impôt sur le revenu et à une remise en cause du financement mutualisé de l’assurance sociale, à sa fiscalisation et à la déresponsabilisation des entreprises dans le financement de la sécurité sociale ; la réforme que propose le PS aura pour effets que les riches paieront moins et que les entreprises déjà tellement gâtées par Jospin-Raffarin-De Villepin le seront encore davantage. C’est sans doute cela que le PS appelle « renforcer la solidarité » ;

Les services publics : ils seront, paraît-il, "confortés" Mais on ne dit pas lesquels. Ni comment. Rien n’est dit de la Poste ou de la SNCF. Rien n’est dit des activités de services où l’Etat détient encore une partie du capital (sauf EDF-GDF). On laisse le libre choix entre gestion privée et gestion publique de la distribution d’eau tout en promettant de soutenir cette dernière. Ce faisant, le PS renonce à instaurer la propriété publique de l’eau. Mais surtout, il fait comme si une véritable défense des services publics n’exigeait pas une remise en cause du droit européen actuel et donc une indispensable dénonciation par la France, des dispositions européennes qui tuent les services publics. On promet une directive cadre européenne sur les services d’intérêt général en omettant de préciser qu’une telle directive, pour protéger vraiment les services publics, réclamerait elle aussi une révision des traités existants qui n’est annoncée nulle part dans le programme socialiste. Ce qui manque dramatiquement, mais significativement dans le programme du PS, c’est l’affirmation pourtant simple d’un principe qui donne à la gauche son identité : les règles de la concurrence ne peuvent être imposées à la santé, à l’éducation, à la culture, ni aux autres activités de service qui permettent l’exercice par toutes et tous des droits collectifs fondamentaux tels qu’énumérés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le discours socialiste sur les services, c’est du trompe l’œil ;

Le PS indique qu’il veut « privilégier les transports collectifs et économes en énergie », mais il n’entend pas remettre en question les politiques européennes de privatisation de toutes les formes de transport ; s’il annonce une « forte augmentation des crédits au ferroutage » (ne sera-t-elle pas considérée par la Commission européenne comme une distorsion à la concurrence commerciale ?), il est muet sur le transport fluvial ;

Le PS promet la création d’un « pôle financier public autour de la Caisse des Dépôts et Consignations » sans indiquer que cela implique une renégociation des décisions adoptées en 1997 à l’OMC, avec le soutien du gouvernement Jospin, appliquant l’AGCS aux services financiers ;

Le PS annonce « la mise en œuvre d’une politique industrielle » sans dire comment la France va remettre en cause les pouvoirs d’une Commission européenne qui bloque la constitution de groupes industriels parce qu’elle refuse, au nom d’une conception dogmatique de la concurrence qu’on ne trouve même pas aux USA, la constitution de « champions nationaux » et même de « champions européens » ;

Le processus de Bologne, dont un des initiateurs fut Jack Lang, ouvre la voie au système américain où se juxtaposent des universités d’excellence accessibles aux étudiants de familles aisées, dont les diplômes sont très côtés, et des universités de second niveau accessibles aux étudiants de condition plus modeste dont les diplômes sont peu prisés par les employeurs. Le PS promet « une profonde rénovation de l’Université » sans indiquer nulle part ce qu’il entend faire du processus de Bologne décidé au niveau européen, qui organise la concurrence entre les universités et instaure ainsi une dualité contraire aux principes républicains ;

Dans le domaine de l’audio-visuel public, les intentions du PS n’abordent pas les dangers que fait courir à l’indépendance de l’information le poids grandissants des annonceurs publicitaires ; aucune proposition sur une limitation, voire une suppression de la publicité dans les stations et chaînes publiques ; quant aux industries culturelles, on aurait pu, au moins, attendre du PS qu’il s’engage à ce que la France fasse prévaloir la prééminence de la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle sur les accords de l’OMC. Rien à ce propos ;

Rien non plus, dans le domaine agricole, sur le vin français. Le « projet socialiste pour la France » ignore totalement la situation dramatique du secteur viticole qui apporte tant à la France à la fois sur le plan économique, mais également sociétal et culturel ; comme si la viticulture était en France un secteur marginal, un détail qu’un programme de gouvernement ne devrait pas aborder ! Même sur ce point, le PS a cessé d’être le parti de Jaurès. Sans doute entend-il laisser, dans ce domaine comme dans les autres, jouer la loi du marché européen et international ... ;

Lors de son congrès du Mans, le PS a rejeté le principe d’une VIe République. Le « coup d’État permanent » va continuer. Le PS propose quelques réformes, mais pas la modification de l’article 15 de la Constitution qui fait du Président le chef des armées, ni de l’article 52 qui lui confère le pouvoir de négocier et de ratifier les traités. Ces deux articles sont la base juridique du domaine réservé du Chef de l’État et de la présidentialisation du régime, ainsi qu’on a pu le vérifier en période de cohabitation. Sans annoncer la modification de ces deux articles, la promesse du PS d’associer le Parlement à l’élaboration de la politique étrangère et de défense n’est que du vent.

Dans ce domaine, comme pour les questions économiques et sociales, le programme du PS propose des ajustements, pas une refondation démocratique de la République qui devrait nécessairement apporter une nouvelle répartition des pouvoirs à tous les niveaux afin de privilégier les institutions les plus proches du citoyen, qui devrait mettre en place une nouvelle conception de l’exercice du pouvoir afin qu’il soit davantage collégial et surtout davantage contrôlé, qui devrait créer un statut de l’élu impliquant sa révocabilité, qui devrait garantir aux citoyens les moyens de l’information, de l’interpellation et du contrôle sur tout acte de tout pouvoir exécutif. Rien de tout cela n’est prévu par le PS.

Il y aurait encore beaucoup à dire de ce programme du PS. D’autres le feront. Mais il me paraît que ce qui précède suffit pour se faire une opinion. D’autant que ce programme ne garantit rien. Bien téméraire celui qui penserait qu’il s’agit d’une sorte de contrat entre le parti et ses électeurs. Que valent en effet les engagements du PS, quand on entend Mme Royal déclarer que ce programme, c’est seulement « un socle avec des grandes orientations. Nous ferons des choix, nous discuterons des priorités » ?

Ce qui domine le programme du PS, c’est la pensée de la « deuxième gauche », celle des Rocard-Delors-Lamy : le capitalisme a gagné, atténuons-en les effets. On ne peut qu’être d’accord avec Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il dénonce une "analyse complaisante du système économique mondial" et écrit que "le projet socialiste se démarque fortement de la critique de la mondialisation formulée par le mouvement altermondialiste et le reste de la gauche française. Il s’inscrit au contraire dans la thèse de la mondialisation heureuse." On ne peut qu’être d’accord avec Gérard Filoche lorsqu’il constate que ce projet, « c’est le projet le plus droitier présenté par une direction du Ps depuis plus de dix ans ; même par rapport au projet de Lionel Jospin de 2002, il est plus droitier ». Dans « L’Appel pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes » du 11 mai 2006, nous avons très précisément indiqué : « Nous ne participerons pas à un gouvernement qui serait dominé par le social-libéralisme ». Les choses sont maintenant tout à fait claires : impossible d’envisager une quelconque participation gouvernementale avec le PS ; mais beaucoup plus : impossible de conclure avec le PS, sur la base de son programme dominé par le social libéralisme, le moindre accord gouvernemental ou parlementaire. Nous devons tous en convenir.

Raoul-Marc Jennar anime l’URFIG (www.urfig.org) et est membre du Collectif national pour des candidatures unitaires antilibérales