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La guerre n’est pas un jeu vidéo

Publie le mardi 25 mars 2003 par Open-Publishing

http://news.independent.co.uk/world/americas/story.jsp?story=390525
(traduit de l’anglais)

Changement d’état d’esprit alors que l’Amérique découvre que la guerre
n’est pas un jeu vidéo
par Andrew Gumbel - The Independent
Los Angeles - 25 mars 2003

Soudainement, la réalité brutale fait irruption. Avant le début de
l’invasion de l’Irak, beaucoup d’Américains se représentaient la
campagne
comme dans les films hollywoodiens ou à partir de l’abstraction style
jeu
vidéo des reportages TV de la 1ère guerre du Golf ; cette réalité
virtuelle
où on lache des bombes et seul l’ennemi meurt, et qui plus est,
hors-champ.

Mais après les revers, les embuscades de type guerrilla, les
hélicoptères
abattus et les images perturbantes de soldats américains mourants ou
faits
prisonniers au cours de ces deux derniers jours, l’humeur a brusquement
changé. "Mon dieu, c’est en train de s’embrouiller plus que je ne le
pensais", a réagi une jeune enseignante d’une école d’infirmière en
Californie. Tous ses collègues sont tombés d’accord.

Dans tout Los Angeles, l’humeur prédominante était celle de la
consternation et d’une certaine peur. "J’ai un sale pressentiment sur
là où
ça va nous mener. Ils nous ont fait croire que ce serait du gateau et
maintenant regardez ce qui est en train de se passer", a dit une autre
femme, écrivain mariée à un avocat dans le show-biz. "Cela ne peut que
pousser le monde à haïr davantage les Américains." C’est peut être un
indice des temps actuels qu’elle n’ait pas voulu décliner son identité.

Il est difficile de dire dans quelle mesure de telles opinions sont
représentatives, en particulier parce que la Californie du sud est un
bastion de longue date des sentiments anti-guerre. Quelques personnes
croyant à la guerre ont été citées affirmant qu’il fallait s’attendre à
ce
qu’il y ait des pertes humaines et des revers dans cette mission.

Mais il est vrai aussi que l’administration de Bush a suscité des
attentes
concernant la vitesse et la facilité de l’opération militaire visant à
renverser Saddam Hussein. La semaine dernière avant le début de la
guerre,
le président lui-même - via ses déclarations télévisées, sa conférence
de
presse du 6 mars et ses interventions hebdomadaires à la radio -
discourait
comme si le combat était déjà terminé et que la reconstruction de
l’Irak
avait commencé.

Au début du mois, alors que la guerre semblait inévitable et
prédominante
dans les actualités, 43% des personnes ayant répondu à un sondage
entrepris
par le New York Times et CBS ont dit qu’elles souhaitaient une campagne
rapide et réussie. A la fin de la semaine dernière, alors que les
premières
bombes pleuvaient sur Bagdad et que les forces armées terrestres
étaient en
route pour sécuriser les champs pétrolifères dans le sud, le chiffre
est
monté à 63%. Plus de la moitié disait penser que la guerre serait
terminée
en quelques semaines.

Maintenant, la tendance s’est toutefois inversée. Dans un autre sondage
publié dans l’édition d’hier du Washington Post, 54% pensent que les
Etats-Unis vont essuyer des pertes humaines "significatives" en Irak,
contre 37% dans un sondage identique mené mardi, premier jour de la
guerre.
Une participante au nouveau sondage du New York Times et de CBS, Daphne
Nugent, agée de 40 ans et originaire de New York, a commenté : "je ne
m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de problèmes là-bas. Et je suis
un
peu contrariée par ce que j’entends dire au sujet des pertes humaines
et
des prisonniers de guerre. Je pensais que cela se terminerait sans
difficulté et rapidement, en tout cas la guerre en elle-même, pas la
phase
d’occupation".

D’autres new-yorkais, dont ceux ayant survécu à la destruction du World
Trade Center, ont aussi fait état de leurs sentiments mitigés en voyant
des
scènes identiques d’immeubles en proie au bombardement aérien à
Bagdad.

Les marchés financiers réagissent également. Après 8 jours de gains
ininterrompus, l’indice Dow Jones a dégringolé de 300 points hier à
l’heure
du déjeuner, bien qu’ayant un peu remonté par la suite. Les prix du
pétrole
brut sont également à la hausse en réponse à la perspective d’une
guerre
plus longue.

Plusieurs aspects font que cette guerre est très différente des autres
opérations militaires américaines récentes. Elle s’appuie beaucoup
moins
sur les seules forces aériennes, ce qui rend le combat et la mort plus
immédiats. Et il est plus ouvertement question de s’emparer d’un
territoire. Il ne s’agit pas d’un rapide aller et retour comme dans les
opérations de l’OTAN en Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999. Comme
plusieurs soldats situés au front ont pu l’évaluer, c’est très
différent de
1991, quand la coalition menée par les USA concentrait ses efforts à
expulser les forces irakiennes du Koweit, un pays qui l’avait conviée à
cet
effet.

"Les gens pensait que les Irakiens agiteraient des petits drapeaux
américains comme dans la France occupée durant la 2nde guerre
mondiale", a
commenté Vincent Cannistraro, un retraité et ancien agent de la CIA
dans
l’anti-terrorisme. "Ce n’est pas un pays occupé. C’est l’Irak et il est
dirigé par des Irakiens, et pour le meilleur ou pour le pire, ils
n’accueillent pas les Américains comme des libérateurs".

Les anti et pro-guerre sont en fait d’accord pour dire que ceci est
susceptible de se transformer en conflit le plus frontal auquel les
troupes
américaines - et tout aussi bien l’opinion publique américaine - ont
fait
face depuis la guerre du Vietnam.

"Ce type de chose n’a pas été vu sur les écrans de TV depuis plus de 30
ans", dit Sandy Cate, un professeur en anthropologie orginaire de San
Francisco. "Vous avez là une, voire peut-être même deux générations qui
ont
grandi sans aucune idée de ce qu’est réellement la guerre, autre chose
que
la violence type bande dessinée qu’ils voient au cinéma. Eh bien,
maintenant ils sont en train d’apprendre".

Une part de ce changement d’attitude est due aux média. Contrairement à
la
1ère guerre du Golf, lorsque les journalistes étaient écartés du front,
les
reporters sont maintenant "détachés" sur des unités armées et équipés
de la
technologie permettant de transmettre des commentaires et des images
sur le
théatre des opérations. Quelques critiques des médias se sont
inquiétées de
que des journalistes s’identifient avec excès à leurs unités armées,
mais
elles concèdent aussi que cet arrangement fournit un reportage beaucoup
plus détaillé et moins aseptisé qu’en 1991.

Ce sont les premiers jours et l’opinion des experts est divisée sur le
degré de tolérance de l’opinion publique concernant les pertes
humaines. Un
sociologue, James Burk, a relaté au Washington Post qu’il pensait que
l’opinion publique pourrait accepter les pertes humaines tant qu’elles
seront subies "dans le cadre d’une mission estimée raisonnable".

Mais d’autres comme John Mueller, de l’Université de l’Etat de l’Ohio,
croient que la tolérance sera très limitée. Personne au sein du
gouvernement, a-t’il observé, n’a fait la moindre allusion aux sacs
sanitaires (body bags).