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Quand l’audiovisuel public abuse de l’intermittence

Publie le jeudi 15 janvier 2004 par Open-Publishing

Le rapport Gourinchas établit que l’intermittence représente plus de 20 % du travail dans l’audiovisuel public.

Combien y a-t-il d’intermittents du spectacle dans l’audiovisuel public ? Les télévisions creusent-elles le déficit de ce régime d’assurance-chômage spécifique, qui a atteint 828 millions d’euros en 2002, soit près du quart du déficit de l’Unedic ? Les intermittents de l’audiovisuel public ont-ils leur place dans ce système ou doivent-ils intégrer la masse des salariés permanents des chaînes et des radios ? Deux semaines après l’entrée en vigueur de la réforme qui avait mis le feu aux poudres, cet été, ces questions trouvent pour partie une réponse dans le rapport commandé par le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, à Bernard Gourinchas. Toutes les portes - à l’exception de celle de Jean-Marie Cavada, le président de Radio France - se sont ouvertes pour cette enquête dont l’audiovisuel privé était exclu.

Le premier constat de Bernard Gourinchas est simple : les neuf sociétés de l’audiovisuel public font très souvent appel à l’intermittence. Pour l’année 2002, ce système représente, en moyenne, 21 % du total de l’offre de travail contre seulement 10 % à la chaîne privée TF1. Dans le public, 10 871 professionnels ont effectué, en 2002, 534 381 jours de travail, hors artistes interprètes. Si l’on prend en compte la part des jours de travail effectués par les intermittents, les sociétés qui ont le plus recours à l’intermittence sont TV5 (37 % du travail, soit 13 433 jours de travail de salariés intermittents), France 2 (27 %, soit 80 392 jours), France 3 (25 %, soit 217 901 jours), RFO (24 %, soit 68 103 jours) et Radio France (19 %, soit 127 194 jours).

Plus les sociétés sont grandes, plus elles ont recours à ce système : les télévisions dont l’effectif dépasse le millier de personnes sont les plus gros employeurs d’intermittents en raison, souligne Bernard Gourinchas, d’une "pratique -qui- n’est pas légale" et qui consiste à remplacer par des intermittents les techniciens permanents absents. Le taux d’intermittents est plus faible pour les "petites structures" comme RFI (10 %, soit 14 594 jours), France 5 (9 %, soit 3 504 jours), Arte (5 %, soit 1 954 jours) et l’INA (4 %, soit 7 306 jours). Pour la production interne, comme les magazines, les émissions "récurrentes" ou les documentaires, le recours à l’intermittence est très élevé : pour France 2, il représente 50 % du total et 44 % pour les antennes régionales de France 3 ou 32 % à l’INA.

Toutes sociétés publiques confondues, les professions les plus représentées parmi ces intermittents sont les conseillers techniques et les collaborateurs artistiques (858), les cadreurs (619), les collaborateurs de production (1 010), les intervenants spécialisés (719), les monteurs (928), les réalisateurs (894), les preneurs de son (537). Mais on trouve également 39 accessoiristes, 25 coiffeurs, 3 stylistes, 48 lecteurs de texte ou 31 peintres décorateurs...

Le deuxième constat du rapport Gourinchas est plus étonnant encore : dans l’audiovisuel public, et c’est la révélation de ce rapport, les intermittents travaillent plus que les permanents. En 2002, indique le rapporteur, "les intermittents apportaient à l’employeur un potentiel de 220 à 240 jours travaillés alors que l’emploi permanent - du fait des congés, des RTT et des récupérations - n’apporte que 180 à 190 jours, et nettement moins s’il s’agit d’un emploi de journaliste". Pourtant, précise Bernard Gourinchas, les "contrats d’usage" réservés aux intermittents devraient être réservés aux emplois caractérisés par ""l’incertitude" commune à l’employeur et au salarié sur l’installation dans la durée de ce qui est mis à l’antenne ou la prévisibilité du volume d’activités".

Puisqu’ils travaillent autant, faut-il transformer ces intermittents en salariés permanents de l’audiovisuel public ? Bernard Gourinchas estime que la requalification des contrats des intermittents en contrats à durée indéterminée (CDI) est "illusoire". "Les diverses vagues de requalifications négociées ces six dernières années à Radio France et France 3 (de l’ordre du millier) ont certes accru l’effectif permanent et réglé des situations individuelles irrégulières mais n’ont nullement diminué le recours aux collaborations non permanentes." C’est, selon l’auteur, un "problème de fuite en avant". La vraie question, ajoute-t-il, consiste à organiser "la disponibilité réelle" des permanents.

UNE MEILLEURE COORDINATION

Ce qui fait le plus grincer les dents chez les dirigeants de France 2 vient d’une affirmation claire du rapport Gourinchas : "Le recours à l’intermittence dans le domaine de l’information n’est en principe pas justifiable." Pour le rapporteur, il faut cesser de considérer l’information comme de l’imprévu et mettre en œuvre une meilleure coordination entre les chaînes. L’auteur déplore ainsi qu’il existe à France 2 autant de permanents que d’intermittents chez les preneurs de son, qui peuvent, pour certains, avoir jusqu’à treize ans d’ancienneté... M. Gourinchas souligne également que certaines propositions de la direction - comme le fait de tourner d’ici à trois ans des sujets sans preneurs de son - se heurtent à "un blocage syndical complet".

L’auteur liste une série de métiers pour lesquels le recours à l’intermittence, selon lui, ne se justifie pas : l’exploitation et la régie finale - une activité linéaire et normée, tous les jours de l’année, qui devrait donc être confiée à des permanents - ou la documentation, qui relève du statut des travailleurs à domicile. Il ajoute le sous-titrage, le doublage, la conception des sites Internet, la fonction d’agent spécialisé, la réalisation de journaux télévisés et, dans certains cas, la formation. En revanche, pour les téléfilms, les séries à épisodes, les documentaires ou la captation d’événements exceptionnels, M. Gourinchas considère que le recours à l’intermittence prend tout son sens. Même si l’enchaînement de deux ou trois ans de contrats pose problème...

Proposer des contrats à durée indéterminée n’est pas toujours accepté : cette logique rencontre de fortes résistances chez les intermittents, qui perdraient ainsi le bénéfice d’un régime très avantageux. D’où l’idée d’une solution juridique à rechercher par les partenaires sociaux : un type de contrat adapté aux besoins spécifiques du secteur, comparable à ce qui se fait par exemple dans le bâtiment. Il pourrait s’agir, pour Bernard Gourinchas, d’un CDI "référé à un objet précis dont la fin serait réputée cause réelle et sérieuse de rupture du contrat. Il inclurait une possibilité de modulation en fonction de la grille de programmes ou du calendrier de production". L’auteur préconise également un recadrage sur la responsabilité juridique des producteurs qui abusent du recours aux intermittents et un contrôle accru des inspecteurs du travail. Surtout, il incite à négocier, ce qui n’existe toujours pas, une convention de branche dans l’audiovisuel - une hypothèse jusqu’à présent systématiquement refusée par TF1.

Aujourd’hui, le recours à l’intermittence, et donc à l’Unedic, finance donc bel et bien une importante partie du budget des chaînes publiques. Pour clarifier la situation, il faudrait injecter de l’argent frais dans les chaînes, ce que le ministère de la culture et de la communication ne semble pas avoir l’intention de faire : dans un récent rapport, la Cour des comptes rappelait d’ailleurs que l’évolution salariale des personnels de l’audiovisuel public n’était pas particulièrement défavorisée puisqu’elle avait suivi celle de la fonction publique.

Nicole Vulser

"Le service public doit être exemplaire"

Au plus fort de la crise des intermittents du spectacle, au début du mois de juillet 2003, alors que les festivals étaient annulés en cascade, le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, avait affirmé que l’audiovisuel public, grand employeur d’intermittents, se devait d’être "exemplaire" au regard des abus qui "fragilisent l’existence même de ce régime spécifique".

Il avait confié à Bernard Gourinchas, président de l’Association des employeurs du service public de l’audiovisuel, une mission "d’analyse, de coordination et de vigilance" sur l’intermittence dans les neuf sociétés de l’audiovisuel public. Il s’agissait de "recenser le recours à l’intermittence à France Télévisions, Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel, Radio France Internationale, RFO, TV5 et Arte", d’"examiner leur conformité au code du travail", de "lister les mesures à prendre" et de "proposer une charte énonçant les règles déontologiques du recours à l’emploi non permanent".

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-349130,0.html