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Barreaux étoilés : dossier sur le Correctional Business aux Etats-Unis

Publie le jeudi 15 janvier 2004 par Open-Publishing

Barreaux étoilés : dossier sur le Correctional Business aux Etats-Unis

Prisonniers dans le monde

Neuf millions de personnes vivent dans le monde dans une dimension parallèle
et invisible : la prison. En Italie, la population carcérale compte environ 56
000 individus pour 43 000 places. 47% n’a pas une condamnation définitive.
72% était au chômage au moment de l’arrestation. Un tiers des détenus se compose
de citoyens étrangers. Pendant les derniers vingt ans, le nombre des détenus
a augmenté en Italie de 20%. Ailleurs dans le monde, la situation n’est pas différente :
pendant les dix dernières années, la population carcérale ne fait qu’augmenter.
Elle a augmentée en Espagne de 50%. En 2002 seulement, elle a augmentée en France
de 14% et il y a aussi des prisons de plus en plus bondées aux Pays-bas, en Belgique
et au Portugal.

USA : premiers au classement

Mais le record de croissance revient aux Etats-Unis, avec une augmentation moyenne
chaque semaine de 1500 unités. Sur 100 000 habitants, environ 700 sont en prison
(deux millions de personnes sur 275 millions d’Américains). Mille cents hommes
américains, majeurs, sur 100 000 ont vécu l’expérience carcérale. Si nous ajoutons à ceux-ci
les condamnés libres sur parole (environ 700 000) et ceux soumis à surveillance
(plus de trois millions), nous aurons un total d’environ six millions d’Américains
sous tutelle pénale.

Pendant les dix dernières années, la population carcérale américaine a doublé.
En 1999, à la suite de l’application du système "tolérance zéro" conçu par le
maire Giuliani, (rebaptisé pour cela "Amer Giuliani") (laxatif au goût amer bien
connu en Italie : NdT) vivait dans les prisons USA un quart de la population carcérale
mondiale.
60% des incarcérés, à l’ombre de la Statue de la Liberté, se compose de minorités
ethniques, dont la plus nombreuse est celle afro-américaine (50%). Des statistiques
de 1995 disent que sur 22 millions de Noirs majeurs 767 000 étaient en prison,
999 000 en liberté surveillée et 325 000 libérés sur parole. En 1970, les femmes
détenues étaient 5.600, en 1997 75 000, en majorité des Noires.

Dans les States (créateurs et exportateurs de démocratie) un million de personnes
sont détenues pour possession ou trafic de drogue, mais la consommation de stupéfiants
ne tend pas à diminuer.
En 2001, plus de 5 000 mineurs, entre 7 et 17 ans, immigrés clandestins, orphelins
ou abandonnés par leurs parents étaient enfermés dans les prisons américaines.
Au moins 500 enfants en-dessous de cinq ans, non adoptables parce que dépourvus
de documents, ont été gardés, des mois et même des années, dans les crèches des
prisons, dans l’attente que les bureaucrates décident de leur avenir. Tandis
que pour les adultes travailleurs, les autorités, sous la pression des entreprises
qui ont besoin de bras, ferment un œil, pour les mineurs la loi est inflexible.

L’industrie carcérale américaine

Les Américains l’appellent "Correctional Business" parce que même l’administration
de la peine est devenue une affaire. Le boom du business carcéral aux USA est
un phénomène relativement récent. Pendant le vingt dernières années plus de mille
nouvelles prisons ont été construites et dans les trente dernières années le
nombre de détenus a plus que doublé.
Le développement des privatisations a favorisé la naissance d’une "industrie
des prisons"grande et articulée. Dans les States, la dépense carcérale dépasse
20 milliards de dollars par an. Les prisons privées sont environ 160 éparpillées
sur 30 Etats, couvrent 7% du marché carcéral et augmentent au rythme de 35% par
an. Parmi les cinq sociétés qui gèrent le business, les deux majeures sont côtées
en Bourse et dominent le marché. La Correctional Corporation of America gère
environ 51% des prisons privées tandis que la Wackenhut Corrections Corporation
en gère 22%.

Le puissant lobby exerce de fortes pressions sur les hommes politiques et les
magistrats pour empêcher que de nouvelles procédures et normes sur la liberté provisoire
ou de nouveaux financements aux prisons publiques interfèrent avec ses intérêts,
encourageant, de facto, l’augmentation des incarcérations. La privatisation a
favorisé le développement d’un système carcéral de plus en plus impersonnel et
automatisé, avec de hauts niveaux de surveillance et la réduction de personnel
qui s’en suit. Le lobby n’a aucun intérêt vis-à-vis des programmes de réhabilitation
pour les détenus et donc n’œuvre pas pour réduire les pourcentages de récidive.

Sous-traitants, fournisseurs des forces de l’ordre et syndicat des gardiens de
prison ont fait approuver une loi qui prolonge les temps de détention : les cellules
ne restent jamais vides.
En Californie, 20% des programmes de réinsertion ont été coupés. L’administration
Bush, en 2004, dépensera 238 millions de dollars pour les programmes de réinsertion
et 750 millions iront au développement des Federal Prison Industries. Les prisons
fabriques passeront de 111 à 120 pour accueillir plus de deux mille nouveaux
détenus.

Le Correctional Business agit sur trois fronts : investissements pour projeter,
construire et gérer les prisons ; création de nouveaux emplois (dans les zones
rurales les élus locaux cherchent à obtenir une prison sur leur territoire pour
les opportunités de travail à son intérieur et à son extérieur (services)) ; exploitation
du travail des détenus. Les prisons privées sont construites, par les multinationales
des barreaux, en la moitié de temps par rapport aux publiques. L’exploitation
du travail dans les lieux de détention est répandue aussi en Russie et en Chine,
tandis que le business des prisons privées est présent, outre qu’aux Etats-Unis,
en Grande-Bretagne et en Australie. En Italie, le représentant de la Ligue lombarde
Pagliarini a proposé de confier aux privés la gestion des prisons.

La production des détenus

Le travail carcéral fut introduit aux USA en 1934 par le président Franklin Delano
Roosevelt, fondateur des Federal Prison Industries. La société for-profit, gérée
par le Département Prisons de Washington, a facturé en 2002 678,7 millions de
dollars. Plus de 6O% des biens et services produits sont destinés au Pentagone.
Environ 22 000 détenus, dans 111 prisons, sont utilisés surtout pour ravitailler
l’industrie de guerre. Déjà durant la deuxième guerre mondiale, les détenus produirent
des tentes, des parachutes, des avions, des bombes, à envoyer sur le front européen
et sur le Pacifique, pour une valeur de 75 millions de dollars. Les prisonniers
ont travaillé pour le Pentagone aussi durant la guerre du Vietnam, de Corée et
du Golfe. Les Federal Prison Industries sont parmi les plus grands fournisseurs
de l’administration états-unienne (39ème place). Trois mille "employés" dans
14 établissements des industries pénitentiaires travaillent exclusivement aux
systèmes de communication pour les forces armées.

Au Texas, à Beaumont, sont produits tous les casques Kevlar utilisés par les
soldats américains. Des établissements de Greenville, Illinois, sortent chaque
jour mille t-shirts mimétiques. En 2002, le Pentagone en a acheté presque deux
cent mille. Des sous vêtements, des matelas, des pyjamas, des autos, des radios,
des t-shirts, des cables électriques, des chaussures, utilisés par les militaires
américaines sont produits dans les prisons.
Les "fortunés" prisonniers ouvriers, qui vendent aussi des billets d’avion, pour
le compte de grandes compagnies, et confectionnent des jeans de marque (Levis),
sont rétribués avec un salaire de 20% inférieur au salaire minimum des collègues "libres".
Le Département Pénitencier en garde 80% pour couvrir les frais de gîte et de
couvert.

L’économie autour des prisons

Les affaires qui prospèrent autour du business carcéral valent des milliards
de dollars par an. Plus de cent entreprises spécialisées oeuvrent exclusivement
dans le cadre du bâtiment pénitencier, mais l’économie autour des prisons comprend
aussi, au-delà des constructeurs de "prisons clé en main", des fournisseurs de
services pour la gestion pénitentiaire, des producteurs de bracelets électroniques,
d’armes spéciales, de systèmes de contrôle. Dans l’industrie carcérale, le secteur
des nouvelles technologies est celui qui croît plus vite, à cause des hautes
technologies utilisées à l’intérieur des instituts de peine : le fichage électronique
concerne désormais un tiers de la population masculine.

Des technologies de deuxième
génération prévoient des dispositifs en mesure de contrôler l’individu 24 heures
sur 24, enregistrant le rythme cardiaque, la tension, la quantité d’adrénaline
et la présence dans le sang d’alcool ou de substances stupéfiantes. L’industrie
des barreaux a paradoxalement aussi un rôle antihausse vis-à-vis des taux de
chômage, en soustrayant au marché du travail des milliers de personnes, mais
crée de l’emploi dans le secteur des biens et des services carcéraux. On a calculé que
dans les dix dernières années les prisons américaines avaient contribué à réduire,
de deux points, le taux de chômage "en absorbant les excédents".

Qui entre dans le vaste réseau du système pénal américain, reste souvent pris
dans les mailles des très nombreuses agences et institutions, passant de l’une à l’autre
dans un processus appelé de "trans-incarcération". La privatisation a contribué à la
création de cercles vicieux, en provoquant non seulement le développement des
prisons, mais aussi l’augmentation des mesures alternatives et la naissance de
nouvelles activités de manager.

Les "épidémies dues aux arrestations"

La journaliste Megan Confort annonce sur Le Monde Diplomatique de juin 2003 la
construction de 28 nouvelles prisons en France, à l’horizon 2007. A ce rythme
effréné veut-on atteindre le "modèle" américain ? ,s’interroge Mme Confort, aux
Etats-Unis on compte environ deux millions de détenus... mais ces emprisonnements
de masse posent beaucoup plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Quand il sortent
de prison, écrit Mme Megan, les repris de justice américains reçoivent entre
2 et 200 dollars de "gate money" (indemnité de sortie) pour redémarrer, leurs
vieux habits et un billet pour rejoindre la ville où ils doivent résider.

Mais
ils sont nombreux à sortir de prison, en réalité, avec un bagage différent : parmi
les de détenus libérés en 2002, beaucoup sont porteurs du virus de l’hépatite
C, 137 000 ont attrapé le SIDA et 12 000 ont la tuberculose. Ces chiffres, fournis
par la Commission nationale pour la santé en prison, représentent respectivement
29%, entre 13 et 17% et 35% du nombre total d’Américains frappés par ces maladies.
Depuis des années, les chercheurs dans le domaine de la santé publique lancent
l’alarme sur l’"épidémie due aux arrestations" qui a frappé le pays et s’est
transformée en une couveuse de masse des maladies infectieuses dans les instituts
pénitentiaires.

Ida Sconzo

(Traduction de M.c. et G.R.)

15.01.2004
Collectif Bellaciao